Légendes : Tsui Hark 1ère partie
Vingt juillet 1979. Débarque sur les écrans de Hong Kong Butterfly Murders, audacieuse tentative de révolutionner le film de sabre (le wu xia pian) par l’injection d’une dose massive de fantastique. Rejet du public. Son réalisateur, Tsui Hark, reprend le chemin des studios TV, où il devra encore ronger son frein sur un bon paquet de séries. « Avant Butterfly Murders, The Family a été la première production sur laquelle j’ai été engagé, en remplacement d’un réalisateur tombé malade » se souvient-il. « The Family est un soap opera. Pas d’action, pas d’effets spéciaux, mais c’était difficile de tenir le rythme, car la production et la chaîne TVB exigeaient un rendement d’une heure utile quotidienne. Six réalisateurs se relayaient tous les six jours. J’ai ensuite enchaîné sur The Cold Dagger Romance. » Une autre série, chevaleresque cette fois, inspirée de Gu Long, le romancier à l’origine du Tigre de jade, The Sentimental Swordsman et Le Complot des clans, des productions Shaw Brothers élégamment filmées par Chu Yuan. « Malgré tout le respect que j’avais pour Gu Long, je n’ai rien compris à son livre tant les personnages changeaient fréquemment d’identité et même d’apparence. Pour nous en sortir et permettre au spectateur de s’y retrouver, nous avons notamment joué sur les éclairages. Contraints de tourner neuf épisodes d’une traite, nous autres réalisateurs perdions parfois le fil d’un récit dont nous finissions par oublier certains personnages. »
En dépit de la confusion narrative de The Cold Dagger Romance, Tsui Hark tire son épingle du jeu et se fait remarquer par le producteur Ng See-Yuen, littéralement scotché par l’un de ses épisodes. Convocation du débutant. « Quand je l’ai rencontré pour la première fois, j’avais face à moi un type maigrichon, débraillé » assure le producteur. « Il avait l’air de tout sauf d’un réalisateur. » De quoi étayer un profil déjà très inhabituel au sein de la production TV hongkongaise.
Né le 2 janvier 1951 à Saigon, dans un Vietnam toujours français, Tsui Hark grandit à Hong Kong. « Plutôt que de marcher sur les traces de mon père qui me voyait pharmacien, comme lui, je suis parti aux États-Unis au début des années 70 » se rappelle le réalisateur. Plus exactement à l’Université d’Austin, au Texas, où il suit des cours de cinéma. Trois ans et demi de théorie plus tard, avant de partir découvrir le pays, il travaille dans un journal et s’essaie au documentaire historique. « J’ai commencé par le compte-rendu de l’arrivée des premiers migrants chinois aux États-Unis, puis par l’évocation d’autres Chinois, exilés et quasiment réduits à l’esclavage sur les chantiers du chemin de fer. » Et Tsui de toucher également au théâtre au sein d’une petite troupe.
L’EFFET PAPILLON
Nul doute que Tsui Hark aurait pu inaugurer sa carrière de réalisateur aux USA, mais fin 1976, il éprouve le besoin de rentrer à Hong Kong. En moins de deux ans, il enchaîne à vive allure les séries TV et acquiert une solide réputation. Résultat, la société Seasonal lui propose de tourner Butterfly Murders en 1979. « Honnêtement, ne me sentant pas prêt, j’ai hésité, mais Ng See-Yuen s’est montré convaincant. » En contrepartie de son implication, Tsui Hark obtient l’autorisation de sortir des sentiers battus du wu xia pian. « Fasciné par les papillons, j’ai demandé au scénariste d’en ajouter dans l’histoire. Il m’a pris pour un fou. » Surtout qu’il s’agit de papillons sanguinaires, de vrais petits vampires, littéralement parachutés dans un récit de rivalité entre clans. Un script en réalité très alambiqué, tortueux, mais toujours dans la tradition du genre dans ses affrontements, complots et effets de manche. « Du moins jusqu’au moment où certains des personnages se retrouvent dans la forteresse abandonnée, attaqués par ces papillons qui m’ont été inspirés par le cinéma occidental de science-fiction. Ils sont authentiques. Aussi curieux que cela puisse paraître, je n’ai jamais envisagé d’effets spéciaux pour simuler leur présence et leur agressivité. Tout est réel dans ce film. » Ou presque, les fournisseurs taïwanais de lépidoptères faisant si bien monter les prix – et leur mortalité étant si forte – que la production finit par réduire les commandes, utilisant de faux insectes pour les arrière-plans.
Bien plus maîtrisé que beaucoup des films de ses aînés, entre tradition martiale et modernité stylistique, Butterfly Murders essuie pourtant un échec cuisant. « Curieusement, les gens de Seasonal ne m’en ont pas tenu rigueur. Ils auraient pu, car sur le plateau, on m’a laissé libre de faire ce que je voulais. À la condition que je respecte budget et délais, je n’avais pas de comptes à rendre. J’étais donc le seul responsable. Malgré les doutes de certains membres de l’équipe qui l’ont appelé pour lui dire que j’étais incohérent et que jamais je ne terminerais le film, Ng See-Yuen m’a soutenu jusqu’au bout. Considérant en dépit de ce flop que j’avais peut-être du potentiel commercial, il m’a rappelé pour un autre projet. » En l’occurrence Histoire de cannibales (titre international : We’re Going to Eat You), comédie horrifique dans laquelle, lancés sur les traces d’un malfaiteur, un détective et un aventurier tombent entre les mains d’une communauté anthropophage…
« Là encore, j’ai essayé de tester de nouvelles idées, avec pour référence Le Bal des vampires de Roman Polanski. À l’origine, il était question d’un film à la fois politiquement très subtil et commercial, de façon à ce qu’il puisse être exploité à Taiwan. D’après un roman de Lu Sun, je suis parti sur une satire dont le héros, un fou, imagine que ses voisins sont des cannibales. J’ai ensuite pris une autre direction, modifié le scénario… Ayant opté pour l’humour noir, j’ai dû attendre plusieurs années pour qu’il puisse être projeté à Taiwan. » Pas étonnant, le public de Hong Kong ayant rejeté ce si peu aimable spectacle, davantage pour ses outrances graphiques que pour un message anti-consumériste à peine perceptible.
TRANSGRESSION
« Les gens ont pris Histoire de cannibales comme une provocation. » Pour sa défense, Tsui Hark plaide la farce, le clin d’oeil appuyé, surtout lorsqu’une jolie jeune femme tend vers la caméra un coeur humain chaud et palpitant. « Avec une certaine ironie, j’ai voulu dire aux spectateurs : « Tenez, je vous aime de tout mon coeur ! ». Ils ont compris le contraire, ont cru que je les défiais. » Un constat tempéré par Ng See-Yuen : « Effectivement, le film n’a pas du tout marché. Mais il avait coûté si peu cher que je suis vite rentré dans mes frais. ».
Unanimement conspué, y compris par la critique qui avait pourtant soutenu Butterfly Murders, Tsui Hark enrage du sort réservé à son deuxième long-métrage. Une rage qu’il laisse exploser dans le troisième, mis en chantier avant la sortie d’Histoire de cannibales : L’Enfer des armes, polar teigneux dans lequel une anarchiste entraîne trois étudiants terroristes dans une véritable guerre contre des mercenaires et trafiquants d’armes. « En colère, j’ai poussé la violence à son paroxysme. Partageant l’état d’esprit négatif des protagonistes, j’ai surenchéri sur tous les plans. Je voulais que les personnages s’entretuent. Sur le plateau, même l’équipe pensait qu’elle avait affaire à un fou furieux. Le portrait que j’ai fait de la jeunesse de Hong Kong s’est avéré si négatif que le film a été interdit. À la demande du producteur, que j’avais mis dans une [...]
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