Légendes : Tod Browning

Il est le premier réalisateur de l’Histoire à s’être fait un nom dans le cinéma fantastique et de terreur. En une demi-douzaine de films, muets comme parlants, il en devient même le symbole, peu avant que James Whale ne devienne son égal avec Frankenstein. Avec Dracula, Tod Browning ne l’aura précédé que de quelques mois sur l’agenda de production d’Universal…
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Né le 12 juillet 1880 à Louisville, Kentucky, de son vrai nom Charles Albert Browning, Tod Browning grandit dans une famille nombreuse. D’un tempérament anticonformiste, il trouve un modèle dans la personne de son oncle Pete, un original, ancienne gloire du baseball qui mourra en 1905 de la syphilis. Encore adolescent, il produit et anime ses premiers spectacles, au carrefour de l’acrobatie, du comique et de la magie ; il se fait si bien remarquer que la presse locale lui tresse des lauriers, un journaliste allant jusqu’à parler de lui comme d’un Phineas T. Barnum en devenir. Flatteur. Parallèlement, le gamin donne de la voix dans la chorale de l’église locale.
Pour Tod Browning, les choses auraient pu en rester là. Mais tous les ans, à l’occasion de Mardi gras, le cirque The Satellites of Mercury débarque à Louisville, avec sa parade, ses phénomènes de foire, ses clowns, ses animaux, ses artistes exotiques… Fascination de l’adolescent qui, assez vite, nourrit le rêve de quitter sa petite ville, de mener une vie de saltimbanque. Comment s’y prendre ? « Petit à petit, j’ai mis de l’argent de côté » confie-t-il à un ami, en 1958. « C’était l’argent que me donnaient des couples pour la garde de leur cheval, dans le parc près duquel j’habitais. Je le mettais dans une petite boîte que je cachais dans les combles de ma maison. Je le recomptais, anticipant sur ce que je pourrais en faire. »


DU CHAPITEAU AUX STUDIOS
Selon une légende bien établie, Tod Browning se serait glissé parmi des forains de passage, visiblement sous le charme d’une danseuse. Là, adopté, il s’impose en hurleur des spectacles, chargé d’attirer le chaland dans des baraques instables en exagérant les mérites de l’attraction à découvrir, « le sauvage de Bornéo » dont il fait les louanges n’étant en réalité qu’un Noir du Mississippi maquillé. Dans ces sideshows assez sordides sont aussi complaisamment exposés d’authentiques hommes-troncs, des hydrocéphales, des femmes à barbe… Vrais et faux monstres cohabitent. Un monde à part : Tod Browning y évolue à son aise, il est dans son élément. De l’estrade extérieure, il passe à la scène, livrant des prestations inouïes, comme cette fois où il est enterré vivant 48 heures durant. Du chiqué, car un discret petit tube lui permet de respirer. Mais il ne démérite pas pour autant. « Aujourd’hui, rien que de penser au bruit de la terre tombant sur le bois du cercueil, j’en frisonne » reconnaîtra-t-il des années plus tard. Le jeune homme prend parfois des risques : pour s’être donné en spectacle un dimanche dans un patelin très religieux de l’Indiana, il écope d’une sérieuse amende. Toutefois, pas de quoi lui faire passer l’envie de récidiver, même s’il versera par la suite dans un répertoire plus varié, proche du music-hall. Ainsi, sillonnant les campagnes américaines, Tod Browning s’associe avec l’illusionniste français Léon Herman, puis avec un magicien chinois… Il joue même les contorsionnistes dans la troupe de la Willard and King Company.
Si, le temps d’un premier mariage raté (il aurait abandonné sa femme !), le futur réalisateur met ses ambitions « artistiques » entre parenthèses, il y revient rapidement, passant au vaudeville – une forme de distraction où se mêlent danse, comique et jonglage – puis au burlesque. Il y excelle si bien qu’un critique de Variety le juge « à mourir de rire » et d’une « irrésistible drôlerie » dans la pièce The Whirl of Mirth. En 1913, sur la scène de Broadway, le comédien Charles Murray le remarque et le présente à D.W. Griffith, le plus grand cinéaste américain du moment. Un tournant dans l’existence du jeune homme qui, bientôt, fait ses premiers pas sous les spotlights, dans des courts-métrages dont le premier, Scenting a Terrible Crime, lui donne un rôle d’entrepreneur des pompes funèbres. Prémonitoire. Une comédie cependant, comme il s’en produit à la chaîne à l’époque. Dans la société alors très active de Griffith, Tod Browning trouve sa place. Pour preuve : son patron lui offre un poste d’assistant sur Intolérance ainsi que le rôle d’un automobiliste fier de son véhicule.


DE LA TÊTE AUX PIEDS
Tod Browning ne tardera pas à accéder lui-même à la réalisation après avoir fait l’acteur (comique) dans de nombreux films d’une bobine, notamment la série des Ethel, dans laquelle il tient le rôle régulier d’un patron de presse. Dans Dizzy Joe’s Career, il incarne même… le propriétaire d’un cirque. En 1915, il se sent prêt à tourner The Lucky Transfer, récit de l’enquête d’une journaliste aux trousses de voleurs de bijoux. Suivent le western The Slave Girl, The Highbinders, qui traite d’un mariage intercommunautaire dans le Chinatown de San Francisco, The Electric Alarm, sur le nouveau système d’alarme d’un jeune ingénieur, A Love Sublime et sa variation moderne sur le thème d’Orphée… Avant d’en venir au long-métrage en illustrant une histoire de course de chevaux avec Atta Boy’s Last Race en 1916, Tod Browning aligne une bonne quinzaine de courts-métrages, des productions d’une ou deux bobines toutes disparues aujourd’hui, à l’instar de l’immense majorité des films des années 1910 à 1920. Son premier vrai succès, Tod Browning le trouve en 1920, par le biais de La Vierge d’Istanbul, tableau des amours d’un officier de l’armée britannique et d’une belle mendiante de Constantinople. Une sorte de Cendrillon oriental, en somme.
Bien que son réalisateur dépasse largement la ligne rouge en dépensant 500.000 dollars (une fortune pour l’époque) sur cinq mois de tournage, La Vierge d’Istanbul déplace le public en masse et gagne de l’argent. La critique applaudit également. C’est sur ce film que Tod Browning se lie d’amitié avec Irving Thalberg, l’un des responsables du studio. Sûr du talent du cinéaste, le mogul lui accorde une confiance absolue, alors que le remplacer n’aurait été qu’une simple formalité.
Le réalisateur fait à la même époque une autre rencontre, de prime abord anodine, mais pourtant décisive. Celle de Lon Chaney, auquel il confie un personnage de mauvais garçon antipathique dans Fleur sans tache. Un acteur alors obscur qui, plusieurs mois plus tard, devient une star en se métamorphosant en contorsionniste patibulaire pour Le Miracle. Marqué par l’intensité de son jeu et ses aptitudes physiques uniques, Tod Browning ne tarde pas à le rappeler pour Les Révoltés, deuxième étape d’une association qui s’étendra sur huit collaborations supplémentaires : Le Club des trois, L’Oiseau noir, L’Inconnu, Londres après minuit, Le Loup de soie noire, À l’ouest de Zanzibar, Loin vers l’est et enfin dans le remake parlant du Club des trois. Les deux hommes tournent ensemble une moyenne d’un film par an, des oeuvres frappées du sceau du macabre, du mystère et du mélodrame. « Quand je travaille sur le scénario d’un film pour Lon Chaney, je ne pense jamais à l’intrigue » explique Browning en 1928. « L’histoire naît d’elle-même. Pour L’Inconnu, je suis parti de l’idée d’un homme sans bras. Je me suis dit : « Voyons un peu, quelles sont les situations les plus surprenantes pour une telle difformité ? ». L’intrigue est née selon cette logique : le récit d’un homme de cirque qui utilise ses pieds comme d’autres les mains, qui aime et perd une fille. Et commet un horrible délit avec ses doigts de pieds. »
Dans les films de Tod Browning, Lon Chaney campe tour à tour un vicaire aux jambes paralysées et difformes, un ventriloque déguisé en vieille dame, un infirme avaleur de sabres, un borgne balafré, un vampire et une sorte de Ma Dalton. Dans À l’ouest de Zanzibar, une scène dévoile l’acteur en « homme canard », stupéfiante attraction de foire. Pas de bras, pas de jambes… Une image inouïe. Comme celle, également perdue, d’un gang [...]

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