Légendes : Sergio Martino

Alias Martin Dolman ou Christian Plummer selon les circonstances, Sergio Martino aura marqué le cinéma populaire italien de son empreinte. D’abord en lettres de sang avec le giallo, puis par le biais de l’aventure fantastico-exotique et de la science-fiction, genres dans lesquels il parvient à se distinguer malgré des moyens financiers réduits.

Un héritage familial ; j’avais ça dans mon ADN » : c’est ainsi que se présente Sergio Martino, effectivement héritier d’un grand-père lui-même cinéaste, Gennaro Righelli, en activité de 1910 jusqu’en 1949, année de sa mort. « Quand j’étais encore tout gamin, il m’a fait venir sur ses tournages » se rappelle-t-il. « J’en garde encore le souvenir émerveillé d’un monde très fellinien. Vittorio De Sica m’a même pris dans ses bras et Anna Magnani sur ses genoux ! »
Né le 18 juillet 1938 à Rome, Sergio Martino rêve naturellement de prendre la succession de son aïeul, sauf que son propre père espère le voir embrasser, comme lui, une carrière dans la banque. « Ce qui explique que j’ai mis un certain temps à faire mes débuts sous les spotlights » déplore-t-il. « J’y suis parvenu grâce aux amis et relations de mon grand-père. » Ce n’est qu’à la trentaine que Sergio Martino fait du cinéma son métier, suivant l’exemple de son grand frère, Luciano, un producteur avec qui il travaillera beaucoup. « J’ai commencé par lire des scénarios pour une commission chargée d’accorder des subventions » précise-t-il. « Cela m’a appris à écrire et à structurer un récit. » Il devient ensuite deuxième assistant sur Le Démon dans la chair et Le Corps et le fouet, directeur de production sur A 077 défie les tueurs et le western Le Temps des vautours… Dans ce registre, il joue même les chefs-opérateurs sur Adiós hombre. Néanmoins, lorsqu’on évoque ses débuts, Sergio Martino préfère retenir son poste de premier assistant de Mauro Bolognini, l’un des cinéastes italiens les plus importants des années 60 et 70. Plus chic. C’est également avec un western, le très classique Le Jour de la haine, qu’il prend du galon en tant que scénariste.
Son parcours de réalisateur, Sergio Martino l’inaugure avec le mondo L’Amérique à nu en 1969 « Une formidable première expérience, le tableau des crises qui secouaient alors les États-Unis » s’enthousiasme le réalisateur. « Pendant trois mois, j’ai sillonné le pays en compagnie d’une équipe réduite. » L’affiche du film, elle, annonce deux ans de travail. L’exercice lui réussit si bien qu’il récidive avec Tous les vices du monde, qui exploite le même filon en évoquant sans pudeur la libération des moeurs, toujours aux USA. « Beaucoup m’ont accusé d’avoir tout reconstitué en studio, à Rome. Faux. À part les séquences de liaison, tout a été filmé sur le terrain ! »

LE ROI DU COUTEAU 
Non sans s’être essayé au western (Arizona se déchaîne), Sergio Martino trouve avec le giallo un genre qui lui convient parfaitement. « Si le péplum avait conservé sa popularité, j’en aurais probablement réalisé plusieurs. Le giallo l’ayant en grande partie remplacé, je m’y suis attelé à mon tour, également motivé par l’envie de toucher un public plus vaste que celui, restreint, des documentaires mondo. Les réalisateurs doivent évoluer en fonction des goûts du public, de ses attentes. On ne peut pas aller contre lui. »
Des giallos, Sergio Martino en tournera sept au total, de 1970 à 1999. L’Étrange vice de Madame Wardh ouvre la marche, portrait de l’épouse délaissée d’un diplomate convaincue que l’un des hommes de sa vie (le mari, l’amant et l’ex-amant) pourrait être le tueur qui sévit dans les rues de Rome au moyen d’un rasoir. Arme blanche, mains gantées de cuir noir, érotisme, fétichisme, stylisation extrême des meurtres, cadrages expressionnistes… En un essai, Sergio Martino capte toutes les caractéristiques de cette forme de thriller horrifique. « Je pense y avoir mis en scène des situations originales et nouvelles » déclare-t-il, confiant dans les ressources d’un scénariste, Ernesto Gastaldi, avec lequel il fera souvent équipe. « Je dois cependant reconnaître que Dario Argento a pratiquement tout inventé en deux ou trois tentatives. Il est le genre à lui seul. L’Étrange vice de Madame Wardh m’a surtout permis de me familiariser avec ses codes et règles. J’ai dû apprendre très rapidement car les producteurs imposaient des agendas de tournage serrés. » Des tournages à l’italienne, improvisés au jour le jour, généralement sans préparation. « Un état de fait que j’ai plus tard essayé de corriger » précise-t-il.
Sur les écrans, le premier giallo de Sergio Martino recueille les faveurs du public. Le réalisateur confirme rapidement ses dispositions avec La Queue du scorpion dont le maniaque, armé d’un cran d’arrêt et toujours ganté de cuir noir, s’attaque à tous les individus liés à l’héritage d’une police d’assurance par une jolie veuve. Laquelle, suivant l’exemple de Janet Leigh dans Psychose, rend l’âme dans le premier tiers de l’histoire. « La Queue du scorpion n’a rien à voir avec le film de Hitchcock ! » réagit Sergio Martino qui, en revanche, reconnaît une autre influence : « Je me suis surtout reposé sur le rythme rapide que Costa-Gavras impose à ses réalisations, notamment dans Z. » Un tempo implacable, à défaut d’innovation, pour un résultat soigné et porté par une superbe photographie, La Queue du scorpion constitue une éclatante démonstration du savoir-faire d’un artisan qui apprend vite et bien, comme le prouve ensuite L’Alliance invisible (aka Toutes les couleurs du vice). Une fois de plus, le récit s’articule autour d’une femme, bourgeoise traumatisée par un accident à l’origine de son avortement et de cauchemars mettant en scène des crimes horribles perpétrés par un inconnu aux yeux bleus perçants. Psychiatres et thérapeutes étant dans l’incapacité de la soigner, elle rejoint une secte dont elle ignore les orientations satanistes. Une idée de scénario dictée par Rosemary’s Baby. « Oui, L’Alliance invisible a beaucoup emprunté à Roman Polanski » avoue Sergio Martino. « Rien de très neuf dans cette histoire. Bien que je n’aime pas particulièrement la tournure qu’a prise le projet, il m’a cependant permis de rencontrer le producteur Carlo Ponti et de travailler sur Torso. » Torso que le cinéaste considère comme son giallo le plus abouti de sa carrière. « L’idée m’en est venue après avoir vu Terreur aveugle et lu un article dans un quotidien. Il relatait le cas d’un assassin qui, régulièrement, revenait dans la maison du crime pour découper les cadavres de ses soeurs et frères, morceaux de corps qu’il jetait ensuite dans les environs. Carlo Ponti a apporté sa contribution en installant l’action à l’Université pour les étrangers de Pérouse. Ce qui ajoute un côté international au projet. » Pérouse où débarque une étudiante américaine, victime potentielle d’un tueur particulièrement porté sur les jeunes femmes délurées qu’il découpe à l’aide d’une scie. Plus tard, elle se trouvera à sa portée immédiate, cachée dans une vaste demeure dans laquelle le fou furieux vient de faire un massacre.
À la différence des précédents thrillers du cinéaste, Torso se singularise par un style plus brut, sensiblement moins stylé, à mi-chemin entre le giallo et le slasher américain. « D’ailleurs, certains y ont vu un précurseur de films comme Vendredi 13. Quentin Tarantino compte même parmi ses fans. Comme mes autres giallos, Torso n’a pas posé de problème particulier, sinon un agenda serré. Sur le plateau, l’atmosphère était assez décontractée. Les scènes violentes prêtaient davantage à la plaisanterie qu’au stress. À ce titre, je pense aujourd’hui que toute cette violence n’était pas utile, qu’elle est parfois gratuite. » Et Sergio Martino de se souvenir de l’hilarité que provoqua l’une des séquences les plus tendues de La Queue du scorpion, lorsque le tueur passe la main par l’ouverture d’une porte qui se referme dessus, poussée par la victime en puissance. Cri de douleur de l’acteur. Un bobo. La scène pourrait sortir de Ton vice est une chambre close dont moi seul ai la clé, un autr [...]

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