Légendes : Roy Ward Baker /2ème partie

Devenu, sur le tard, un pilier de la Hammer, Roy Ward Baker contribuera parallèlement à la réputation d’une autre société de production britannique spécialisée dans le fantastique, la Amicus. Son savoir-faire y sera parfois mis à rude épreuve…
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En dépit du tournage chaotique des 7 vampires d’or, du budget contrariant d’Alerte satellite 02 et du délicat cahier des charges de The Vampire Lovers, Roy Ward Baker conserve un bon souvenir de ses années Hammer. « Même s’il s’agissait d’oeuvres de commande, on pouvait s’y épanouir artistiquement » insiste-t-il. « À partir du moment où vous en respectiez le cachet gothique, vous étiez libre d’y imprimer votre personnalité, notamment en opérant des modifications sur le scénario. À la projection des rushes, vous ne subissiez pas la moindre remarque déplaisante. Une grande liberté ! N’empêche que, au bout de plusieurs années, j’ai commencé à me sentir prisonnier, captif du succès des Monstres de l’espace. En clair, les producteurs ne voyaient plus en moi qu’un réalisateur de films d’horreur ou de science-fiction. Pas question qu’ils me confient autre chose. Pourtant, j’aurais tant aimé qu’ils me proposent une comédie, quelque chose comme Ailleurs, l’herbe est plus verte », chassé-croisé amoureux de Stanley Donen avec Cary Grant, Robert Mitchum et Deborah Kerr.

LES ESPIONS S’AMUSENT 

À la comédie, le réalisateur y touche néanmoins par l’intermédiaire de la plus illustre des séries sur lesquelles il travaille entre deux films de cinéma : Chapeau melon et bottes de cuir. Une série d’espionnage, mais pas seulement, celle-ci maniant également l’humour, le fantastique et la science-fiction. Un cocktail que Roy Ward Baker apprécie grandement. « Les scripts se déroulaient en marge de la réalité, dans une espèce de no man’s land. Nous pouvions tout y expérimenter, nous y permettre des fantaisies proscrites ailleurs. Si, brutalement, je désirais situer telle scène au fond d’une piscine à sec, je le faisais, sans chercher de raison particulière. Dans Chapeau melon…, les policiers ne portent pas d’uniforme ; plutôt que le facteur, on voit la lettre glissée sous la porte… Qu’importe que les deux héros marchent vers le Parlement et ne croisent personne dans la rue, alors qu’on se trouve en plein Londres. Après une bagarre, Emma Peel se recoiffe face à un miroir. Le tout fait partie d’un univers étrange dont les habitants vivent en autarcie. Un univers qui ressemble à la réalité sans y appartenir. C’est pourquoi nous pouvions ponctuer les histoires et dialogues de références littéraires, historiques, de divers clins d’oeil, sans jamais avoir à nous justifier. Et tant pis si le public ne captait pas. Nous nous en fichions ! »


Unique dans les annales de la télévision, Chapeau melon et bottes de cuir s’offre les services de Roy Ward Baker à huit reprises. Huit épisodes où les agents Emma Peel (Diana Rigg)/Tara King (Linda Thorson), et John Steed (Patrick Macnee) affrontent un savant fou qui décongèle les cadavres pour les réanimer, échappent à des balles de golf envoyées par un bazooka, éliminent un père Noël doublé d’un comploteur, infiltrent un hôtel servant de couverture à un centre de lavage de cerveau… De vrais petits chefs-d’oeuvre, portés par des mises en scène ingénieuses, baroques et rythmées. « Maille à partir avec les taties est mon épisode préféré parmi ceux que j’ai réalisés » précise Roy Ward Baker. Une histoire délirante qui s’appuie sur un cercle de tricoteuses dont les aiguilles se retrouvent le plus souvent plantées dans le dos des indiscrets, ainsi que sur un antiquaire pressé de vendre la Tour Eiffel à un pétrolier texan. 

« Kidnappée, Diana Rigg s’y trouve enfermée dans une cage géante, déguisée en oiseau. Elle porte un collant blanc très près du corps et des plumes, notamment sur la poitrine. Ses toilettes ont toujours été une grande distraction pendant la préparation et le tournage de chaque épisode. Il fallait que ses costumes soient en accord avec le contenu des scripts illustrés. Dans l’un des épisodes, j’ai pris le risque de lui faire revêtir une mini-jupe. C’était la première fois qu’on voyait ça à la télévision, ce qui m’a valu quelques problèmes. » 

Pas étonnant que Chapeau melon et bottes de cuir compte parmi les expériences télévisuelles préférées de Roy Ward Baker. Le Saint en est une autre, avec Roger Moore dans le rôle du redresseur de torts Simon Templar. « Particulièrement l’épisode Les Créateurs de fiction » précise-t-il. « En deux épisodes, il a donné lieu à un long-métrage exploité en salles un peu partout dans le monde, sauf en Grande-Bretagne. Nous l’avons conçu sous l’angle de la comédie, tel un pastiche des James Bond. » Il y est question d’un super criminel qui s’inspire des situations et personnages d’un roman pour organiser le casse d’une réserve d’objets d’art… « En regard des restrictions budgétaires et d’un calendrier de tournage très serré, nous avons vu grand, sans doute un peu trop, mais le résultat n’est tout de même pas si mal. »

DU CÔTÉ DE BAKER STREET 

Des séries TV, Roy Ward Baker en tournera bien d’autres, jusqu’en 1992, année où il se résigne à prendre sa retraite. La plupart sont policières (Amicalement vôtre où il remplace à nouveau Val Guest, Le Retour du saint, Poigne de fer et séduction) ou d’espionnage, comme Alias le Baron, Les Champions et ses trois agents secrets aux aptitudes hors du commun ou encore Département S. En 1979, il accepte la proposition du producteur américain Sheldon Reynolds : réaliser cinq épisodes de Sherlock Holmes and Doctor Watson. « Sheldon Reynolds avait trouvé là l’occasion de recycler les scripts qu’il avait, au milieu des années 50, utilisés pour d’autres Sherlock Holmes destinés à la télévision. Le tournage se déroulait en Pologne, dans de vastes studios du centre de Varsovie où avait été reconstituée une grande partie de Baker Street. Pas le meilleur de mon travail à la télévision, mais le résultat reste correct. À peine étais-je revenu à Londres que j’ai appris par les journaux que plusieurs responsables de la télévision polonaise venaient d’être arrêtés pour corruption. Sheldon Reynolds l’aurait également été si, à ce moment-là, il n’avait pas été en déplacement à l’étranger. Sa femme l’a été à sa place, avant d’être innocentée et remise en liberté. » Au-delà de la chronique judiciaire, ce Sherlock Holmes ne laisse pas un souvenir impérissable, desservi il est vrai par un interprète peu charismatique (Geoffrey Whitehead), à l’opposé de Peter Cushing que le réalisateur dirige en 1984 dans le téléfilm Les Masques de la mort, un Sherlock Holmes unitaire.

« Peter avait alors plus de 70 ans » commente Roy Ward Baker. « Son âge posait d’autant moins [...]

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