Légendes : Roy Ward Baker /1ère partie
Quel parcours ! Venu au monde le 19 décembre 1916 à Londres, fils d’un poissonnier, Roy Baker (encore loin d’avoir Ward à son nom) grandit dans sa ville natale, puis à Rouen, en France, où il use ses fonds de culottes sur les bancs du lycée Corneille. Retour dans la capitale anglaise, où il suit les cours de la City of London School. « Pendant ma scolarité, j’ai envoyé des candidatures spontanées à des sociétés de production » se rappelle le futur réalisateur. « Je voulais être preneur de son. Cela me passionnait, dans la mesure où j’ai grandi en écoutant la radio. »
Si, en 1936, le jeune homme décroche un travail au studio de Gainsborough, ce n’est toutefois pas dans cette branche. Il y débute comme grouillot chargé de servir le thé, puis passe assistant de production. En six ans, Roy Baker travaille ainsi sur une quarantaine de longs-métrages, dont Une Femme disparaît d’Alfred Hitchcock en tant qu’assistant-réalisateur. « En observant Hitchcock au travail, j’ai commencé à prendre conscience de ce qu’était le cinéma » avoue-t-il.
La Grande-Bretagne entrant en guerre contre l’Allemagne nazie, il revêt l’uniforme de l’infanterie. « Mon expérience professionnelle m’a ensuite valu une affectation spéciale au Service Cinématographique des Armées. Chargé de production, j’ai travaillé sur des films d’entraînement au combat, d’autres sur les premiers soins… Un jour, le commandement recherchant un réalisateur, je me suis porté volontaire pour tourner la série des Home Guard Town Fighting qui, en huit segments, indiquait aux troupes la manière dont il fallait opérer pour prendre une ville… » Essai concluant. En quatre/cinq semaines, le novice met en boîte 80 minutes de film. Il enchaîne sur une bande apprenant les bases de la pédagogie aux instructeurs, une autre touchant à la façon de contrôler les populations civiles en territoire occupé… C’est aussi sous les drapeaux que Roy Baker rencontre le romancier Eric Amber parmi les responsables de la production cinématographique de l’armée.
Quand, après la guerre, Eric Amber s’aventure dans la production avec L’Homme d’octobre en 1946, il songe immédiatement à Roy Baker pour mettre en scène ce calvaire d’un homme qui, au terme d’une année dans un hôpital psychiatrique à la suite d’un accident mortel dont il s’accuse, se voit soupçonné du meurtre de sa voisine. Un suspense que le public accueille chaleureusement.
Dès lors, le réalisateur cumule les longs-métrages dans les registres les plus divers : tableau de la vie quotidienne en temps de guerre (The Weaker Sex), faux coupable (Paper Orchid), sauvetage de l’équipage d’un sous-marin (La Nuit commence à l’aube), espionnage sur fond de menace bactériologique (Highly Dangerous).
HOLLYWOOD, ME VOILÀ…
En quelques films, la flatteuse réputation de Roy Baker est faite. Le succès de La Nuit commence à l’aube suscite même l’intérêt de Darryl F. Zanuck, le grand patron de la 20th Century Fox. « Sous contrat avec le studio, je suis parti pour Hollywood, d’où je suis vite revenu. Le tournage du film The House in the Square, que je devais réaliser, ne pouvait se faire aux États-Unis parce que sa vedette, Tyrone Power, traversait une période d’exil fiscal. » Sur un plateau britannique, le comédien incarne un savant atomiste transporté en 1784 par une décharge électrique. Il y découvre la dureté de l’existence en ces temps pas si reculés et tombe amoureux… « En dépit de ma déception de revenir si vite au pays, je me suis concentré sur les aspects – à mon goût – les plus intéressants du projet : la romance, l’aspect visuel… Pendant le tournage, je devais composer avec Georges Périnal, un illustre chef-opérateur qui, à ce point de sa carrière, ne cachait pas que cette production le barbait. De plus, à cause du Technicolor, il devait employer une énorme caméra qui imposait un rythme de travail très lent. Qui s’est encore réduit lorsque se sont présentées les scènes de Constance Smith. Débutante, elle manquait de l’expérience nécessaire pour tenir un tel rôle et n’a pas supporté le rythme des prises de vues, la patience qu’elles nécessitaient. Me rendant responsable de la situation, elle a menacé d’obtenir mon renvoi auprès de Darryl Zanuck. » En réalité, guère enthousiasmé par la prestation de la plaignante, le nabab la vire et la remplace par Ann Blyth. Roy Baker reprend à zéro les scènes impliquant le personnage. « Je me suis fourvoyé » reconnaît le cinéaste quand il lui faut dresser le bilan de ces premiers pas dans le cinéma américain.
Sa carrière aux États-Unis, le réalisateur britannique la poursuit avec Troublez-moi ce soir qui donne à Marilyn Monroe son premier rôle important. Celui d’une baby-sitter instable. « J’ai essayé d’y poser la question : « Qu’est-ce que la folie ? ». Un sujet proche de la réalité, car personne ne pouvait dire si Marilyn Monroe était normale ou non ! » Il enchaîne sur le thriller Night Without Sleep, puis sur le mélodrame Les Neiges du Kilimandjaro dont il tourne les extérieurs, et surtout La Piste fatale, récit des épreuves traversées par un homme d’affaires que sa femme et son amant abandonnent, blessé, dans le désert.
« Parmi mes films américains, La Piste fatale est mon préféré. Les prises de vues dans le désert de Mojave n’ont pas été simples, à cause de la chaleur et d’un tournage complexe en relief. En revanche, l’éloignement nous protégeait des ingérences du studio, dont l’état-major ne se préoccupait que de La Tunique, sa grosse production du moment. En dépit de sa satisfaction, Darryl Zanuck m’a demandé de modifier la fin. Selon lui, le héros devait prendre sa revanche. Ce qui n’était pas le cas dans celle que nous avions tournée. La Piste fatale m’a presque offert l’opportunité de réaliser « le film à un seul acteur » auquel j’ai longtemps aspiré. »
CASE DÉPART
La parenthèse hollywoodienne de trois ans de Roy Baker se ferme sur La Piste fatale. Pourquoi un séjour aussi bref ? « Mon peu d’affinités avec la culture américaine, l’absence de saisons en Californie » se justifie-t-il.
Revenu en Grande-Bretagne en novembre 1953, il réalise l’année suivante Passage Home, drame nautique bâti autour de la présence indésirable d’une femme sur un bateau. Puis ce sont Jacqueline (une gamine débrouillarde aide son père poivrot à trouver du travail), Tiger in the Smoke (un type louche annonce à une veuve de guerre que son mari est toujours vivant), L’Évadé du camp 1 (la grande évasion d’un pilote allemand). De cette période, Atlantique, latitude 41°, brillante reconstitution du naufrage du Titanic, est sans conteste la meilleure réalisation de Baker, un film que James Cameron cite en exemple.
Au début des années 60, la cote du réalisateur se trouve au beau fixe. « Les choses auraient sans doute continué à bien aller pour moi si je n’avais pas accepté de faire Le Cavalier noir, sous pression de la firme Rank Organisation. J’ai conseillé à sa direction de confier le projet à Luis Buñuel, un catholique, plutôt qu’à moi, un protestant. Même si je me sentais étranger à l’éthique et à la morale du héros, cette histoire m’a suffisamment fasciné pour que je cède finalement à la Rank. Je me suis pris au jeu au point d’y mettre beaucoup de moi-même. »
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