Légendes : Roy Thinnes

Au même titre que le cinéma, la télévision génère elle aussi des légendes du fantastique. Parmi elles, Roy Thinnes, un comédien plus connu sous le nom de son personnage, David Vincent, un automobiliste qui, à la recherche d’un raccourci que jamais il ne trouva, assiste à l’atterrissage d’un vaisseau spatial…

La rançon du succès et des grands rôles de télévision, qui emprisonnent littéralement ceux qui les incarnent : Larry Hagman et le J.R. Ewing de Dallas, Patrick McGoohan et le n°6 du Prisonnier, Robert Conrad et le James T. West des Mystères de l’Ouest, Patrick Macnee et John Steed dans Chapeau melon et bottes de cuir… Vampirisé, absorbé, l’acteur s’efface derrière son personnage. Dépossédé de son nom, Roy Thinnes ne s’appelle plus ainsi pour le grand public ; il se nomme David Vincent, architecte de San Francisco qui court pendant les 43 épisodes des Envahisseurs après des extraterrestres d’apparence presque humaine, et les débusque pour mettre fin à « une invasion qui a déjà commencé. » Un personnage qui colle à la peau de son interprète, même si la série ne s’étend que sur deux saisons. Les rediffusions se chargeront d’accentuer le phénomène, d’instaurer une confusion à laquelle l’acteur contribue, répétant pendant des décennies : « Oui, je crois aux soucoupes volantes. ». Une manière de revivre dans la réalité ce qu’il avait vécu par procuration.
Avant que Les Envahisseurs n’en fasse David Vincent, Roy Thinnes avait déjà pas mal de rôles derrière lui, fruits d’une passion pour l’art dramatique née pendant des études de médecine durant laquelle il participe à des émissions radiophoniques. De la lecture de classiques de la littérature au journal d’information destiné aux adolescents Teens Unlimited, il donne si bien de la voix qu’un agent le remarque. Dix ans avant Les Envahisseurs, il apparaît dans des documentaires institutionnels, puis prend un faux départ avec la série avortée Chicago 212 dont il anime le pilote sous les traits d’un jeune pyromane. Rejet des networks. Coup dur pour le jeune homme, refusé par le prestigieux Actors Studio, après avoir été éloigné d’une carrière de footballeur américain par deux chevilles brisées… Roy Thinnes s’acharne néanmoins, apparaît dans des séries TV comme Peter Gunn, Les Incorruptibles, Les Aventuriers du Far West ou The Reporter. Quand il ne prend pas la lumière sous les sunlights, pour joindre les deux bouts, il exerce des boulots alimentaires : copiste dans la presse, vendeur de vitamines, de meubles, réceptionniste dans un hôtel, chauffeur de taxi, livreur… Tout est bon à prendre pendant ces quatre années de vache maigre ; il faut bien payer le loyer, nourrir une première épouse et une petite fille. 



Y CROIRE 
L’ascension professionnelle de Roy Thinnes a lieu en 1963 : coup d’accélérateur avec le soap opera médical Hôpital central, dont il incarne l’un des rôles réguliers, le Dr Phil Brewer. Mais au bout de trois ans, la chaîne ABC et les producteurs décident de le remplacer par un autre interprète. Protestation immédiate des téléspectateurs (surtout des téléspectatrices) : « Rendez-nous Roy Thinnes ! ». Mais la chaîne ne cède pas. Le comédien oublie sa déception pour se concentrer sur une nouvelle série : The Long, Hot Summer, déclinaison TV du long-métrage Les Feux de l’été qui, lui-même, adaptait très librement le roman Le Hameau de William Faulkner. Le temps de 26 épisodes, Roy Thinnes y reprend le rôle de Ben Quick (tenu au cinéma par Paul Newman), un marginal qui s’oppose au potentat d’une petite communauté rurale. The Long, Hot Summer s’arrête plus rapidement que prévu, et son héros se retrouve à jouer les guest-stars dans Sur la piste du crime et Le Fugitif, deux productions Quinn Martin, l’un des plus gros producteurs de télé de l’époque, pour lequel il avait auparavant animé trois épisodes des Incorruptibles. « Un excellent producteur, très différent de certains autres, attentif à ce que tout le monde soit bien payé et bien traité » commente Roy Thinnes, qui doit alors convaincre Martin qu’il correspond mieux au rôle du David Vincent des Envahisseurs que Paul Burke et Buddy Ebsen, deux comédiens alors beaucoup plus populaires que lui. Le producteur aurait certainement penché pour l’un d’eux si la chaîne n’avait pas estimé que leur cadet constituait un meilleur choix. Pourquoi ? Beau gosse, il avait déjà orné la une du programme télé TV Guide pour The Long, Hot Summer, provoquant un déluge de courrier des lectrices…
Satisfait de l’opportunité que lui offre Les Envahisseurs, Roy Thinnes ne se montre pas moins circonspect : « N’étant alors pas un mordu de science-fiction, je redoutais que la série ne me catalogue dans un domaine dont je ne pourrais plus sortir. Je me méfiais un peu. ». Larry Cohen, le créateur de la série, n’approuve pas forcément le choix de Thinnes – il imaginait un héros plus âgé – et le fait savoir à Quinn Martin et ABC, avec qui il a déjà eu maille à partir sur le projet. Cohen préfère quitter le navire.
Confirmé dans ses fonctions, rémunéré 7500 dollars par semaine (coquet au milieu des années 1960), Roy Thinnes s’empare littéralement du personnage de David Vincent. Il se l’approprie au point qu’il ne tient pas compte des indications du producteur et de son principal lieutenant, Alan A. Armer. « Roy s’était focalisé sur le concept d’un héros convaincu que la Terre entière pensait qu’il était fou à lier » déclare le second. « Sur le plan du jeu, il l’a par conséquent abordé ainsi, comme un gars constamment sur la défensive, en guerre contre presque tout ses contemporains. Nous étions franchement inquiets de ce tournant et nous lui avons dit qu’il devait se préoccuper du public, que les gens devaient s’attacher à David Vincent, se soucier de lui. Il n’en a jamais tenu compte, il a continué à l’interpréter comme bon lui semblait. » Soit constamment au premier degré, sans le moindre humour, là où Paul Burke et Buddy Ebsen auraient injecté de la légèreté, la dose nécessaire d’autodérision pour mettre les téléspectateurs dans leur poche. Roy Thinnes incarne David Vincent comme Robert Stack donne vie à Eliot Ness dans Les Incorruptibles, de façon hiératique, se montrant courtois et professionnel selon certains membres de l’équipe, distant et renfermé selon d’autres.
De son côté, le comédien trouve dans Les Envahisseurs la tribune idéale à ses certitudes croissantes : il croit dur comme fer au phénomène des ovnis. « Pourtant, au départ, j’étais plus que sceptique » avoue-t-il. « Je n’étais pas très intéressé par les extraterrestres et l’ufologie. Je dois ce changement d’opinion au chef-opérateur Andrew J. McIntyre. Pendant les trajets que nous effectuions souvent ensemble jusqu’au tournage, il m’a raconté un tas d’histoires à ce sujet. Pilote de bombardier pendant la Seconde Guerre mondiale, Andrew avait assuré un grand nombre de missions en Europe, plus particulièrement en Italie. Il m’a confié dès le début qu’il avait observé des formations d’objets qu’il n’avait pas pu identifier dans le sillage de son appareil. Certaines de ses histoires me donnaient la chair de poule. »
Assez vite, donc, Roy Thinnes se prend au jeu des Envahisseurs. Il se documente, multiplie les rencontres, adhère de plus en plus étroitement à la pensée d’un personnage qu’il imbibe des nombreux témoignages écrits de « témoins » à l’intrusion alien. De là à prétendre que, derrière le costume de David Vincent, il interprète son propre rôle, il n’y a qu’un pas que certains franchissent allégrement. Comme Anthony Spinner, producteur associé : « Roy s’est mis à penser que nous étions entourés d’extraterrestres, qu’ils avaient déjà débarqué sur Terre. Il nous a même ra [...]

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