Légendes : Roy Ashton 2ème partie

La Hammer et Roy Ashton, une histoire aussi houleuse qui passionnelle qui donnera naissance, souvent dans des conditions spartiates, à de puissants mythes cinématographiques. Mais cette belle relation ne sera pas exclusive, l’artiste se mettant également au service du plus grand rival de la firme au marteau…
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Arrivé avec La Nuit du loup-garou au sommet de son art, Roy Ashton ne se repose pas pour autant sur ses lauriers. Ainsi, lorsque Anthony Hinds l’oriente vers une nouvelle version du Fantôme de l’Opéra, le maquilleur n’entend pas imiter ses prédécesseurs. « J’ai fait tout ce que j’ai pu pour m’en écarter » assure-t-il. « Pourtant, j’admire beaucoup ce que Lon Chaney avait accompli sur le film de 1925. Lorsque j’étais enfant, cela m’avait secoué ! » Naturellement, il lit le roman originel de Gaston Leroux, y relève la description des traits ravagés du compositeur spolié… Précisément le Fantôme tel que l’a représenté Lon Chaney. Pas question, non plus, de reprendre la brûlure que Claude Rains arbore dans la version de 1943. Le script indiquant que le héros reçoit de l’acide nitrique au visage, Roy Ashton réfléchit à des blessures plus profondes, plus étendues, qui nécessiteraient non pas une moitié de masque pour les dissimuler, mais un masque tout entier. En quête d’inspiration, il se souvient des photos des irradiés d’Hiroshima qui l’avaient tant marqué quelques années plus tôt. Les essais sont concluants, du moins à son goût. Car Anthony Hinds réagit mal à la proposition. « Roy était allé trop loin. Nous ne pouvions pas employer un maquillage aussi réaliste » se justifie-t-il. D’autant que le maquilleur exige un planning et un budget trop conséquents pour la Hammer…


QUOI, MA GUEULE…
Cruellement déçu par le refus d’Anthony Hinds de se caler sur l’exemple des victimes de la bombe A, Roy Ashton reprend ses recherches pour Le Fantôme de l’Opéra, multipliant les croquis de gueules cassées. L’hésitation est telle que le tournage démarre sans qu’un choix ne soit arrêté. Même dilemme en ce qui concerne l’acteur qui devra porter le maquillage, l’embauche de Herbert Lom n’étant officialisée que onze jours après le premier clap. « Je suis parvenu au résultat que l’on connaît en étudiant les conséquences de l’acide versé sur la chair humaine. Les livres médicaux m’ont été très utiles » témoigne un Roy Ashton qui, obéissant aux consignes de la Hammer, livre un travail simple via des prothèses faciles à appliquer. Pas tout à fait ce qu’il avait souhaité au départ, mais l’effet n’en demeure pas moins convaincant, réaliste. « Dans Le Fantôme de l’Opéra, je suis également intervenu sur le masque dissimulant autant les blessures que l’identité du personnage, ce qui n’était pas prévu à l’origine » poursuit-il. « Pour ça, la Hammer avait recruté un fabricant spécialisé. Mais ses propositions ne convenaient pas. Nous étions à trois semaines de tournage sur six et Herbert Lom n’avait encore rien à porter ! J’ai suggéré à Anthony Hinds et au réalisateur, Terence Fisher, de feuilleter le livre Masks of the World, qui recensait un nombre impressionnant de masques, photos à l’appui. Aucun résultat. Je me suis rabattu sur un autre livre, consacré aux masques japonais du kabuki. Toujours en vain. En désespoir de cause, j’ai dit : « Attendez-moi cinq minutes. Je reviens ! ». Dix minutes plus tard, j’étais de retour avec un masque que j’avais improvisé à partir d’un vieux chiffon que j’ai découpé et dans lequel j’ai percé des trous destinés aux yeux, n’oubliant pas d’en boucher un avec une fine couche de tissu maillé. Tous m’ont regardé, interloqués : « Oui, c’est absolument ça que nous voulions ! ». » Un test sur la doublure de Herbert Lom, Jackie Cooper, et la panoplie du Fantôme reçoit enfin l’aval tant attendu. Jusqu’à la fin de ses jours, Roy Ashton plaisantera de la spontanéité de sa trouvaille, et de ses longues recherches effectuées en pure perte.



LA TÊTE AU CARRÉ
Le maquilleur aborde L’Empreinte de Frankenstein dans le même état d’esprit : une fois de plus, il refuse de s’appuyer sur ce qui a déjà été accompli. « Cela tombait bien, car la Hammer ne souhaitait vraiment pas reprendre tel quel le maquillage de Jack Pierce pour Boris Karloff » témoigne-t-il. « Le studio n’envisageait pas de s’appuyer davantage sur celui de Philip Leakey pour Christopher Lee dans Frankenstein s’est échappé !. En clair, les gens de la Hammer ne savaient pas ce qu’ils voulaient. » À un mois du tournage, le temps presse. Conscient de l’échéance, Roy Ashton crayonne des douzaines de suggestions, depuis un clone hydrocéphale de Boris Karloff au crâne plat jusqu’à une créature tirant fort sur le robot. « Je n’ai jamais perdu de vue qu’il me fallait créer un monstre victime d’une opération lourde, dont l’état de la boîte crânienne devait traduire une greffe du cerveau opérée avec des moyens rudimentaires. »
Entre une somme de 120 dessins et une sculpture de sa propre tête (inutilisable à cause d’un trou !), le maquilleur consacre un temps considérable à l’élaboration de cet énième monstre de Frankenstein. Des préparatifs chronophages et non rémunérés, car chez la Hammer, les salaires sont calculés à partir du premier jour de tournage. Et Ashton ne peut même pas se reposer sur la morphologie du comédien engagé pour jouer la créature, le réalisateur Freddie Francis n’ayant pas encore choisi le Néo-Zélandais Kiwi Kingston, un géant familier des rings de catch. « Avec Kiwi, je tenais un modèle de premier choix, quelqu’un de patient, de discipliné. Au début, il me fallait entre deux heures trente et trois heures pour appliquer sur lui toutes les pièces du maquillage. Un temps que j’ai réduit à une trentaine de minutes, étant parvenu à faire tenir toutes les composantes sur un seul masque, une sorte de casque dont les cheveux permettaient de cacher l’ouverture. » Roy Ashton assemble ainsi un large front et des joues fabriqués à partir de papier mâché, de latex, de joints de baignoire et de fil issu de vieilles bouteilles pour électrodes… Attentif, le maquilleur ne néglige pas les mains de la créature. « Les mains définissent le personnage autant que les traits du visage. J’ai reconstitué les articulations bosselées et les veines à partir de vieux tissus ménagers et de cette laine spéciale qu’on utilise pour repriser les chaussettes. J’ai ensuite utilisé une éponge humide et un pinceau également mouillé afin d’étendre les tissus. Après quoi, j’ai tout recouvert de latex et ajouté de la couleur, de manière à donner un aspect plus vivant au tout. » Dommage que la caméra de Freddie Francis ne rende pas justice aux efforts et aux ressources de Roy Ashton, dont le maquillage ne remporte que peu de suffrages, beaucoup le considérant raté, grossier.
Une dizaine d’années plus tard, loin de la Hammer, Roy Ashton touche à une autre adaptation du livre de Mary Shelley avec Frankenstein, la véritable histoire, un téléfilm américain en deux parties dont la Créature, un beau jeune homme qui se dégrade peu à peu, affiche une morphologie plus sobre que celle de L’Empreinte… « Mais je ne suis pas l’auteur du maquillage apposé sur le visage de l’acteur Michael Sarrazin : c’est l’oeuvre de Harry Frampton » rectifie-t-il. « Pendant six mois, je me suis surtout occupé des autres comédiens principaux : James Mason, Leonard Whiting, David McCallum, Ralph Richardson… Sur Frankenstein, la véritable histoire, nous avons battu des records en matière de membres amputés, de visages difformes et autres calamités physiques ! J’ai aussi contribué au bras vivant capable de bouger indépendamment du corps. Un moulage de mon propre bras animé par le mécanisme de Roy Whybrow. Le résultat était bien plus perfectionné que la main coupée vivante que j’avais bricolée pour Le Train des épouvantes » préambule aux productions Amicus dont Roy Ashton deviendra l’un des artisans.


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