Légendes : Rod Serling
La première saison de NIGHT GALLERY vient de sortir en DVD.Une série d’abord portée par Rod Serling, le créateur de LA QUATRIÈME DIMENSION, scénariste et showrunner qui extrait la télévision américaine de son train-train quotidien pour enfin lui donner du sens…
l n’aura fallu qu’un titre, un seul, pour que Rod Serling entre dans la légende de la télévision et du fantastique : La Quatrième dimension, The Twilight Zone en version originale. Né le 25 décembre 1924 à Syracuse dans l’état de New York, fils d’un boucher, Rod Serling fait preuve dès l’enfance d’une imagination fertile. Sur la scène du mini-théâtre bricolé par son père dans la cave, il monte des pièces inspirées des magazines qu’il a lus, des films qu’il a vus, et des programmes radio qu’il a écoutés, surtout quand ceux-ci sont signés Arch Oboler et Norman Corwin, deux scénaristes qui penchent souvent côté science-fiction et fantastique. « Après l’université, je n’étais pas très sûr de ce que je voulais faire » signale-t-il. « À 18 ans, j’ai rejoint l’armée. Rendu à la vie civile, j’ai repris des études au collège d’Antioch. Des études d’éducation physique. J’ai ensuite changé d’orientation pour suivre un cursus de littérature anglaise et de littérature en général. J’ai alors décidé d’abandonner la carrière militaire que j’avais un temps envisagée. Étudiant, j’ai commencé à écrire pour la radio. J’ai vendu mes premières histoires à l’émission Lights Out, en 1949 et 1950, contre un paiement de 150 $. Aucun supplément malgré les rediffusions. J’ai aussi travaillé à la télévision pour Stars Over Hollywood en 1950 et 1951. » Rod Serling aurait pu mentionner sa pratique de la boxe malgré son gabarit modeste (1m63), son expérience de la Guerre du Pacifique dans les parachutistes, ses blessures au combat, ses décorations, ainsi que ses débuts difficiles marqués par le rejet d’une quarantaine de ses manuscrits…Patiemment, Rod Serling creuse son trou. En dépit d’idées progressistes qui se heurtent au conservatisme ambiant, d’une inclinaison à s’appuyer sur des personnages portés sur l’introspection et à illustrer des thèmes anxiogènes, il remplit commande sur commande, porté par une exceptionnelle rapidité d’exécution. La reconnaissance de son talent vient du tableau sans concession des moeurs capitalistes d’une grande entreprise (Patterns), du compte-rendu de la déchéance d’un boxeur (Requiem for a Heavyweight) et du portrait d’un comique TV égocentrique (l’épisode The Comedian pour la série Playhouse 90). Trois scénarios (dont les deux premiers feront l’objet de remakes au cinéma) couronnés de l’Emmy Award, récompense suprême du petit écran, et bien éloignés des histoires qui feront de lui une légende de la télévision.
CONTES MORAUX
On pourrait croire que, un beau matin, Rod Serling s’est réveillé avec l’idée de La Quatrième dimension. Les choses ne se sont pas déroulées ainsi. La Quatrième dimension démarre réellement avec The Time Element, un épisode de l’anthologie Westinghouse Desilu Playhouse. « Mon premier contact avec la science-fiction » reconnaît Rod Serling. « Je dois avouer que j’y suis venu tardivement. Je n’ai rien d’un grand contributeur au genre, comme le sont Theodore Sturgeon, Robert A. Heinlein et Isaac Asimov. Je n’ai rien inventé, contrairement à eux, et je n’ai pas de connaissance scientifique très marquée. Je suis simplement un amateur de science-fiction, un aficionado. »
Pourtant, sur le thème toujours délicat du voyage dans le temps, Rod Serling écrit The Time Element qui, peu après la Deuxième Guerre mondiale, raconte comment un type ordinaire, qui rêve régulièrement d’un retour dans le passé, avertit l’armée de l’imminence de l’attaque de Pearl Harbor. En vain. « Hormis l’idée de départ, The Time Element ne charrie aucun élément fantastique. Il s’agit juste d’une extrapolation sur le sentiment que nous avons tous d’avoir déjà vécu telle ou telle situation. » Simple oui, mais efficace. Toutefois, ce récit n’est pas du goût de tous, notamment de certains actionnaires de la société de production et du network, CBS. « Beaucoup n’en voulaient pas » atteste Bert Granet, l’un de ses plus farouches soutiens parmi les producteurs. « Ils n’aimaient pas les concepts narratifs de ce style, qui laissent les événements dans l’incertitude. Les intrigues bien linéaires, conventionnelles, leur correspondaient davantage. » Une fois de plus, Rod Serling se heurte aux habitudes de la télévision. La force de persuasion de ses trois Emmy et la persistance de Bert Granet portent cependant leur fruit : feu vert pour The Time Element, un script que son auteur destine d’abord à une autre anthologie dont il commence à caresser l’espoir, La Quatrième dimension. Néanmoins impossible de monter ce projet sans faire appel à un cheval de Troie.
Programmé sous bannière Westinghouse Desilu Playhouse, The Time Element suscite l’enthousiasme du public et de la presse. Pas moins de 6000 lettres arrivent au bureau de la production et les critiques tressent des couronnes de laurier à son scénariste. CBS réagit en lui demandant d’écrire dans la foulée un pilote pour La Quatrième dimension. Ce qu’il fait, dans des circonstances particulières, la semaine suivant le décès de sa mère. Titré The Happy Place, le script prend pour cadre une société future qui se débarrasse de ses vieillards en les euthanasiant. William Self, l’un des patrons de la chaîne, en tombe de sa chaise. « Trop morbide pour un pilote » reproche-t-il à son auteur. « J’ai averti Rod que les annonceurs allaient mal le prendre, que nous risquions de les perdre. Il l’a reconnu. Quelques jours plus tard, il est revenu, le manuscrit de Solitude en main. » La Quatrième dimension tient son premier épisode, errance d’un homme dans une ville brutalement vidée de tous ses habitants… Postulat insolite, chute imprévisible. Le ton est donné, déjà suggéré par le titre original de la série, The Twilight Zone, terme aéronautique qui, au moment du passage du jour à la nuit, désigne l’impossibilité pour un pilote de distinguer avec précision la ligne d’horizon. « Je l’ai souvent entendu à l’armée » explique Rod Serling qui, assez vite, trouve ses marques dans cette nouvelle série dont il prend le contrôle, soucieux de lutter contre la censure des annonceurs. « Sur les 19 premiers scripts, je n’ai eu à gérer qu’un seul problème » assure-t-il en 1959, pendant la diffusion de la première saison. « Une ligne de dialogue à modifier car l’un de nos sponsors n’a pas accepté que, sur le pont d’un navire de la British Navy, un officier demande du thé. Quoi de plus naturel ? Ce sponsor aurait préféré qu’il commande du café, l’un de ses produits ! Après deux ou trois échanges, nous avons remplacé « thé » par « plateau ». Le seul conflit que nous avons eu à déplorer ! » Pas très méchant.
Par contrat, Rod Serling doit, pour les trois premières saisons de la série, écrire lui-même 80 % des scénarios. Comment atteindre cet objectif ? Où trouver les idées ? « Partout » répond-il. « Certaines naissent de ma propre expérience de la vie, d’autres de l’observation des gens autour de moi. » Ainsi, lors du week-end à Las Vegas qu’il s’offre avec sa femme Carol pour fêter la naissance de La Quatrième dimension, il s’acharne sur un bandit manchot. Ce qui lui inspire l’épisode La Fièvre du jeu dans lequel un joueur perd tout (son argent, la raison…) en tombant dans le piège d’une diabolique machine à sous. Durant un cocktail, il parle avec l’épouse d’un ami d’astronautes. Ce qui entraîne l’épisode La Flèche dans le ciel… À l’affût, il brasse tous les thèmes, sans distinction, abordant des problèmes de société, tels le racisme, la cupidité, le désir de puissance, la paix, le culte de l’apparence… « La science-fiction présente pour avantage de pouvoir toucher à tous les sujets sans risquer la censure, sans se heurter à des réactions aussi hostiles qu’à l’occasion d’un traitement plus classique. » Pour avoir subi les foudres des chaînes et d’annonceurs sourcilleux et s’être battu pour une « télévision adulte », Rod Serling trouve dans ce registre un moyen d’expression à l’abri des représailles. Constamment sur la brèche, il ne se sépare jamais d’un carnet où il consigne tout. Naturellement, avant de se coucher, il le pose sur sa table de chevet, prêt à y noter le contenu de ses rêves. En clair, Rod Serling attrape au vol tout ce qui passe à sa portée, fait feu de tout bois, perpétuellement à la recherche de sujets.
Conscient qu’il ne pourra pas longtemps soutenir le ryt [...]
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