Légendes : Robert Quarry
L e règne du comte Yorga, modeste, ne s’étend qu’entre 1970 et 1974. Quatre années et cinq longs-métrages seulement pour permettre à son interprète de profiter de son statut inespéré d’« horror star ». Habitué aux auditions sans lendemain et à l’indifférence des réalisateurs et responsables de casting, Robert Quarry se lance à corps perdu dans l’aventure, conscient de l’opportunité qui s’offre enfin à lui avec cette réplique modernisée de Dracula. Jusqu’alors, personne ou presque n’avait entendu parler de lui, malgré ses décennies d’activité au théâtre, à la télévision et au cinéma.
Né à Fresno, le 3 novembre 1925, Robert Quarry ne semblait pas prédestiné à une carrière d’acteur, si ce n’est une grand-mère comédienne frustrée qui lui donne goût au théâtre et au cinéma. Puis, le hasard entre en jeu. « C’était au printemps 1942 » se souvient-il. « J’ai appris qu’Alfred Hitchcock préparait le tournage de L’Ombre d’un doute à quelques kilomètres de mon domicile, à Santa Rosa en Californie, où j’ai grandi. Je me suis aussitôt arrangé pour être engagé en tant que groom dans l’hôtel le plus chic de la ville, sachant qu’allaient y descendre ses interprètes. Tous ces gens ont été adorables avec moi, en particulier Joseph Cotten et sa femme. On m’a même permis de faire de la figuration dans le film. Les Cotten m’ont en quelque sorte adopté. Lorsque, peu après, je suis arrivé à Los Angeles pour mes études secondaires, ils m’ont invité à m’installer quelque temps chez eux, à Pacific Palisades. J’avais quinze ans. Par leur intermédiaire, j’ai rencontré Katharine Hepburn, Ginger Rogers, Bing Crosby, le producteur David O. Selznick, Orson Welles, dont je n’avais aucune idée de l’importance… ». Peu à peu, au contact de tous ces gens, Robert Quarry se découvre une vocation : il sera comédien.
À PETITS PAS
Mais dans un premier temps, comme tant d’autres anonymes (et après avoir été apprenti monteur chez Universal pendant six mois), il doit se contenter de cachets de figurant. « À mes débuts, j’ai essentiellement été employé dans des divertissements pour gamins, notamment interprétés par Donald O’Connor. On ne peut pas dire qu’on me voyait beaucoup, j’étais noyé dans la masse des figurants. J’étais rémunéré 97 dollars la semaine. Cela aurait pu continuer longtemps comme ça, rien ne se passait. » Plus qu’au cinéma, c’est sur les ondes que le jeune homme perce, dans les programmes du Lux Radio Theater, au sein de la troupe théâtrale du Mercury Theater Company. « Je n’avais pas encore 18 ans, je n’aurais jamais dû y être engagé » assure-t-il. « Si je l’ai été, c’est grâce à mon aptitude à imiter les accents, les timbres de voix. Je pouvais parler anglais comme un Allemand, un Français, un Japonais, un Chinois, un Russe… J’ai ainsi trouvé ma place dans deux séries radiophoniques, Dr. Christian et A Date with Judy. À raison de 750 dollars par semaine, je menais une existence confortable. »
Robert Quarry aurait sans doute continué à donner de la voix s’il n’avait pas été mobilisé dans l’armée américaine. Il est affecté dans une unité de destruction du génie, domaine auquel il ne connaît rien. Conscients qu’il serait plus utile ailleurs, ses supérieurs l’affectent dans un bureau administratif. « Finalement, bien que mon expérience sous les drapeaux ait mal commencé – j’étais entouré de crétins –, elle s’est poursuivie sous de meilleurs auspices, ma hiérarchie m’ayant permis de former une petite compagnie théâtrale. Je ne devrais pas le dire, mais j’ai passé là parmi les moments les plus heureux de ma vie. Je me suis ensuite retrouvé disc jockey, car il fallait bien quelqu’un pour mettre des disques sur le pick-up des stations de radio de l’armée. »
Rendu à la vie civile, Robert Quarry reprend ses activités de comédien, sûr que les cours d’art dramatique dispensés par Lee Strasberg et Stella Adler le mèneront loin. « Fort de leur enseignement, je me suis dirigé vers le théâtre, à l’instar de tous les acteurs américains de ma génération » explique-t-il, sans s’appesantir sur le fait qu’un coup de pouce de Katharine Hepburn l’aide à se faire une place dans le milieu. « À Broadway, j’ai joué des pièces de Shakespeare, notamment Richard III, La Mégère apprivoisée et Comme il vous plaira. J’avais déjà un peu d’expérience de la scène lorsque des studios comme MGM et RKO m’ont pris sous contrat pendant un an chacun. Je dois dire que je n’ai pas beaucoup tourné. À l’époque, les majors formaient les jeunes et leur apprenaient l’équitation, l’escrime… Plus que de me préparer au métier d’acteur, j’avais constamment l’impression d’un entraînement intensif en vue des Jeux olympiques. » Lorsqu’enfin, des responsables de Metro Goldwyn Mayer misent sur lui, le grand patron du studio, Louis B. Mayer, oppose son veto : il n’aime guère ce jeunot au physique un peu ténébreux. Pour un rôle important dans l’une de ses productions, le nabab lui préfère un certain Dore Schary, dont le nom ne passera cependant pas à la postérité. Son contrat non renouvelé, Robert Quarry repart brûler les planches à New York. Entre deux pièces, il fait ses vrais débuts à l’écran, principalement dans des séries TV comme The Lone Ranger, Starring Boris Karloff, Monsieur et Madame détective, Remous… Au cinéma, Robert Quarry apparaît dans l’ombre des stars : Robert Ryan (La Maison de bambou), Robert Wagner (L’Étreinte fatale), Barbara Stanwyck (Meurtrière ambition), tour à tour gangster, consul américain et reporter. « Dans Le Rendez-vous de Hong Kong, je devais tenir un rôle plus important » s’amusera-t-il plus tard. « Il était prévu que j’incarne le mari de Susan Hayward, recherché par le personnage incarné par Clark Gable. Mais j’étais encore si jeune que je ressemblais plutôt à son fils ! On m’a remplacé par Gene Barry. »
Si l’acteur n’est pas malheureux de son sort (il apparaît dans des séries aussi populaires que Perry Mason ou Le Fugitif), il demeure un troisième, voire quatrième couteau, même quand le réalisateur exige beaucoup de lui. Comme Gerd Oswald pour les besoins du Mur des espions, pilote d’une série d’espionnage et de science-fiction requalifié en film de cinéma. Un avatar de James Bond dans lequel un savant menace de répandre sur l’Humanité une bactérie capable de dévorer les gens de l’intérieur. « Gerd m’avait déjà plusieurs fois mis au défi sur L’Étreinte fatale » commente l’acteur. « Là, il s’est surpassé. Il m’a demandé de sauter d’un petit avion roulant sur la piste avant décollage. Si vous regardez bien, vous verrez que je ne suis pas doublé. Les choses se seraient bien déroulées si je n’avais pas porté des boots mexicaines aux talons assez hauts. Pas indiqué pour se réceptionner au sol. Il a fallu que je refasse la prise, cette fois filmée de l’intérieur de l’avion. J’ai boîté pendant sept mois ! »
UNE CHANCE À SAISIR
Pour Robert Quarry, le vent ne tourne qu’en 1969. Une année faste, notamment parce qu’il figure à ce moment-là au casting d’une adaptation théâtrale de La Chatte sur un toit brûlant et qu’il donne à deux reprises la réplique à Paul Newman, d’abord dans Virages, puis dans WUSA. « Dans les deux cas, beaucoup de mes scènes ont sauté au montage » déplore-t-il. « Dans Virages, j’incarnais le deuxième amant de Joanne Woodward. Universal a estimé qu’un seul lui suffisait : deux amants, c’était moralement plus… délicat. Robert Wagner est resté, moi à peine. L’expérience fut pire encore sur WUSA. Stuart Rosenberg m’avait confié un personnage important, celui du dirigeant d’une station de radio, un type très à droite. J’étais si satisfait de moi que je me voyais déjà cité à l’Oscar du Meilleur Second Rôle. C’était compter sans la décision de Bob Evans, le patron de Paramount qui, pour ramener le film à une durée conventionnelle, a allégrement taillé dans les seconds rôles. » Il est néanmoins toujours bon d’inscrire à son C.V. des films animés par des stars. Mais il est encore mieux encore d’y faire figurer des premiers rôles, même sur le tard. C’est ainsi qu’à 45 ans, Robert Quarry se transforme en comte Yorga, un vampire de la vieille école. « Je suis tombé sur le scénario de Count Yorga, Vam [...]
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