Légendes : Robert Fuest

Transfuge de la série Chapeau melon et bottes de cuir, Robert Fuest arrive bien tard sur le marché du fantastique gothique, à la toute fin des années 60, au moment où les murs des maisons Hammer et Amicus commencent à se fissurer. Mais, in extremis, il se distingue par sa capacité à tirer parti d’une histoire de vengeance qui, sans sa fantaisie pince-sans-rire, aurait probablement très mal tourné…
Array

Dans le Swinging London du début des années 70, un homme semble prêt à prendre la relève des vétérans de la Hammer, dans un style cependant plus décontracté, teinté d’humour et de culture pop. Ce qu’il amorce avec ses deux Dr. Phibes et Les Décimales du futur, avant que les circonstances ne le dirigent vers de plus basses besognes.
Rien ne prédestine Robert Fuest, né à Croydon le 30 septembre 1927, à s’engager dans une carrière artistique. Son père, un ouvrier du rail, le pousse à devenir ingénieur ou mécanicien. Très peu pour lui. « À l’école, j’excellais dans la peinture et le dessin » explique-t-il. « En revanche, j’étais très mauvais dans les matières académiques. Connaissant mes dispositions, l’un de mes professeurs m’a encouragé à persévérer dans la voie que je m’étais fixée, en même temps qu’il a persuadé mes parents de me laisser faire. Un authentique traumatisme pour eux. » Surtout à une époque où la Grande-Bretagne vit ses heures les plus sombres, le Blitz allemand s’abattant sur sa capitale. « Un spectacle que je trouvais beau » confiera-t-il plus tard, toujours adepte d’un humour décalé, un brin provocateur. « Pendant la guerre, à seize ans, je me passionnais pour le jazz et, équipé de plusieurs tambours, je me suis produit dans un groupe qui animait des soirées dansantes. Je me souviens que, faute de voiture, j’embarquais tout mon encombrant matériel dans un bus pour faire les 30 kilomètres qui me séparaient de l’endroit où je devais jouer. Une époque dont je garde un bon souvenir, en dépit de son austérité et du danger. »



SALLE DE BAIN ET PLOMBERIE
Deux ans sous les drapeaux pour son service militaire dans la Royal Air Force à Berlin, puis Robert Fuest revient à la vie civile. Il a alors 20 ans, l’âge de reprendre ses études. Diplôme d’enseignement en poche, il bénéficie d’une spectaculaire promotion à 23 ans, nommé responsable du département Beaux-Arts du collège de South Hampton. Cinq années durant, il y enseigne la peinture, le dessin, le graphisme, l’aquarelle… « Parallèlement, je peignais pour moi. J’ai même été exposé en 1951 dans une galerie de la Royal Academy of Art. Bien qu’une courte critique du Times ait dit du bien de mes tableaux, je ne décollais pas. À 28 ans, j’ai dû me rendre à l’évidence que j’avais échoué. » Grosse déprime et, soudain, les retrouvailles providentielles. « Dans la rue, je suis tombé sur un vieux copain que j’avais souvent côtoyé à l’école d’art. Il était encore plus surpris que moi de cette rencontre. « Mais où étais donc tu passé pendant tout ce temps ? » m’a-t-il demandé. Je lui ai expliqué. De son côté, il travaillait en tant que concepteur graphique pour une société de télévision, ABC. Il m’a annoncé qu’il y avait sans doute du boulot pour moi là-bas ! Je m’y suis donc présenté, mon book sous le bras. Le type chargé du recrutement l’a regardé et m’a lancé tout de go : « Bon, ça marche, tu commences lundi ! ». » Robert Fuest se met donc à dessiner des décors de plateaux de programmes TV : émissions religieuses, variétés, captations théâtrales, spots publicitaires, divertissements comiques… Il touche à tout, oeuvrant sous la tutelle de réalisateurs dont certains feront ensuite parler d’eux, de Ted Kotcheff à Richard Lester en passant par Mike Hodges. « Des années magnifiques ! » de son propre aveu. L’adjectif prend tout son sens lorsque ABC l’oriente vers une série au stade de la préparation : The Avengers, alias Chapeau melon et bottes de cuir. En tant que production designer, il collabore à neuf de ses premiers épisodes. « Une révélation ! » s’enthousiasme-t-il. « J’y ai coopéré avec un réalisateur fantastique, très sous-estimé, Peter Hammond. L’inventeur du style Chapeau melon…, c’est lui. Plutôt que de situer une scène de dialogues entre John Steed et Catherine Gale dans un bureau, il proposait : « Ne serait-ce pas plus intéressant d’un point de vue visuel de la déplacer dans une morgue ? Ou dans l’échoppe d’un taxidermiste ? ». Il a même imaginé la rencontre de deux personnages dans un espace vide, sombre, autour d’un jeu d’échecs seulement éclairé par un rayon de lumière. »
Ses velléités de réalisation se faisant de plus en plus fortes, Robert Fuest quitte la série au terme de sa première saison. Désormais indépendant, il tourne pendant cinq ans des spots publicitaires de toute nature, ainsi que des films institutionnels dont Just Like a Woman, en 1967. « Au départ, il s’agissait seulement d’un court-métrage de quinze minutes, un outil de promotion pour la salle de bain et la plomberie. Une commande » s’amuse-t-il. « Recommandé par le chef-opérateur Billy Williams, auprès duquel je travaillais alors sur autre chose, j’ai transformé le court en un long-métrage de fiction. » Par quel retournement de situation ? Just Like a Woman nécessitant un prétexte afin de présenter les produits de son client, Robert Fuest élabore un récit pour le moins saugrenu, aussi surréaliste qu’un épisode de Chapeau melon… Il y est question d’un couple qui se sépare. De sa vie conjugale, la femme ne regrette qu’une chose : sa salle de bain, qu’elle reconstruit à l’identique dans un champ. « La pièce la plus importante de sa nouvelle maison, puisque c’est la seule ! » pointe malicieusement le réalisateur qui imprime son petit scénario surréaliste sur une pellicule 16 mm noir & blanc. « Et si nous en faisions un peu plus, une comédie de vingt minutes en couleurs ? » propose-t-il ensuite aux cadres de la société. Ceux-ci ne voient aucun inconvénient à mettre la main à la poche, si généreusement même que le projet obtient une rallonge budgétaire adaptée à un film de 40 minutes, puis d’une heure trente. Quelques comédiens connus, un complément de scénario écrit en une semaine, et la réclame pour salle de bain et plomberie se transforme en une comédie sentimentale déjantée dont les époux, après une séparation houleuse, finissent par reformer un couple, évidemment sur fond de salle de bain futuriste plantée au milieu des champs, tel un vaisseau spatial issu de Doctor Who.



UNE PARTIE DE CAMPAGNE
Désormais confiant dans son aptitude à réaliser un long-métrage de cinéma, Robert Fuest s’engage à tourner une comédie satirique portant sur le trafic d’armes dans le monde arabe, dont Orson Welles et Terry-Thomas auraient été les vedettes. Mais la soudaine guerre des Six Jours bloque les fonds israéliens censés constituer une partie du budget. Projet annulé. Retour de Robert Fuest à la publicité. Il en tourne encore quelques-unes lorsque son chemin croise, à Hyde Park, celui d’un autre réalisateur, James Hill, qui a vu et aimé Just Like a Woman. « James m’a assuré que je ferais merveille sur Chapeau melon et bottes de cuir, qui en était alors à sa sixième saison, avec Linda Thorson en lieu et place de Diana Rigg. J ai vu ses deux producteurs, Brian Clemens et Albert Fennell. Après avoir jeté un coup d’oeil sur des extraits de Just Like a Woman, ils m’ont immédiatement embauché. » Robert Fuest réalise coup sur coup sept épisodes de la fantaisiste série d’espionnage, le moins délirant n’étant pas Du bois vermoulu dont le méchant voudrait détruire toutes les forêts et zones boisées du Royaume-Uni. « Franchement, jamais je n’ai connu travail aussi agréable, aussi décontracté. Je n’avais pas l’impression de bosser ! Si la série était aussi bonne, c’est parce que la production stimulait l’inventivité, les trouvailles visuelles. Une époque absolument délicieuse. » D’autant qu’à l’époque, le réalisateur en pince pour Linda Thorson.
Robert Fuest reviendra quelques années plus tard à Chapeau melon et bottes de cuir, période John Steed/Purdey/Gambit, pour deux contributions beaucoup moins inspirées que les précédentes. Mais son travail sur les épisodes de 1968 et 69 satisfont tellement Brian Clemens et Albert Fennell que ceux-ci lui proposent de tourner And Soon the Darkness [...]

Il vous reste 70 % de l'article à lire

Ce contenu éditorial est réservé aux abonnés MADMOVIES. Si vous n'êtes pas connecté, merci de cliquer sur le bouton ci-dessous et accéder à votre espace dédié.

Découvrir nos offres d'abonnement

Ajout d'un commentaire

Connexion à votre compte

Connexion à votre compte