Légendes : Robert Bloch

Pour beaucoup, le nom de Robert Bloch est irrémédiablement lié au Psychose d’Alfred Hitchcock, tiré d’un de ses romans. Un gros arbre qui cache pourtant une sacrée forêt, l’écrivain s’étant montré particulièrement actif au cinéma et à la télévision, porté par sa réputation de maître de la folie homicide…
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Lorsque, au printemps 1959, Alfred Hitchcock fait acheter les droits du livre Psychose par Ned Brown, de l’agence artistique MCA, Robert Bloch est déjà un écrivain confirmé. La petite quarantaine, il a signé une douzaine de romans et surtout des dizaines de nouvelles qui poussent sa zone d’influence jusqu’au fantastique. Peut-il en être autrement quand, adolescent, on a nourri une correspondance durable avec Howard Phillips Lovecraft ?
Le destin de Robert Bloch bascule ce jour de fin 1957 où il entend parler à la radio de l’arrestation d’Ed Gein, un abominable tueur en série surnommé « le Boucher de Plainfield ». « Il vivait à environ 80 kilomètres de chez moi, à Weyauwega dans le Wisconsin » témoigne le romancier. « Son cas m’a interpellé, car il résidait dans une petite communauté, un endroit où personne n’était supposé avoir de secret pour personne. Comme Ed Gein avait toujours vécu là, personne n’a songé à l’inquiéter. C’était même un citoyen respecté. Je me suis dit : « Il y a là les bases d’une bonne intrigue. ». Je m’en suis servi. Sans davantage me documenter sur Ed Gein, j’ai écrit Psychose. Ce n’est que plus tard que j’ai découvert à quel point il était proche de Norman Bates ! » Pourtant, ce dernier ne fabrique pas d’objets avec la peau de ses victimes, et ne pratique ni le cannibalisme ni la nécrophilie. Un boy scout en comparaison de son modèle. « J’étais d’autant plus étonné par certaines similitudes que j’étais parti, non pas de la personnalité d’Ed Gein, mais des meurtres qu’il avait commis » signale Robert Bloch. « Lorsque j’ai choisi de faire de Norman Bates un schizophrène, j’ignorais alors qu’Ed Gein souffrait de cette pathologie, tout comme j’ignorais qu’il faisait une fixation sur sa mère. »



LE PRIX DU SANG
Il ne faut pas plus de sept semaines à Robert Bloch pour coucher Psychose sur le papier. « J’ai obtenu de mon éditeur, Simon & Schuster, une avance faramineuse de 750 dollars » ironise-t-il. « À ce moment-là, j’étais loin de me douter de la suite des événements. Peu après la parution, le 4 mai 1959, j’ai reçu un appel de mon agent, Harry Altschuler, heureux de la nouvelle qu’il avait à m’annoncer : quelqu’un voulait acheter les droits cinématographiques du roman. Qui exactement ? Il l’ignorait. Pour éviter que les enchères ne montent, Alfred Hitchcock tenait à ne pas dévoiler son identité. Son agent, Ned Brown, a offert 9.500 dollars. Simon & Schuster m’a conseillé d’accepter. Soustraction faite de sa commission de 15 %, et des 10 % dus à mon agent et au fisc, j’ai encaissé un chèque de 6.000 dollars. » Une somme décente pour la fin des années 1950, mais Robert Bloch et Harry Altschuler commettent deux erreurs : ils omettent de négocier un pourcentage sur les recettes et intègrent au contrat les droits des éventuelles suites, ceci sans contrepartie. Le romancier apprendra ainsi que, intéressé à hauteur d’un tiers des bénéfices, l’illustre réalisateur encaissera « environ 6 millions de dollars ». Mais pour l’heure, Bloch ne cache pas sa satisfaction, lui qui aime tant le cinéma. 
Psychose vendu, Robert Bloch aurait pu l’adapter lui-même à l’écran. Encore aurait-il fallu qu’on lui offre de le faire ! « Alfred Hitchcock a demandé si j’étais disponible à un agent de MCA qui lui a répondu par la négative. C’était faux, mais cette personne désirait placer un de ses propres clients, en l’occurrence James P. Cavanagh, dont Hitchcock a rejeté la copie et qu’il a remplacé par Joseph Stefano. Ce dernier a travaillé trois semaines sur le scénario, avant que Hitchcock n’achève lui-même l’écriture. Loin de tout, dans le Wisconsin, je ne pouvais pas savoir ce qui se passait en Californie. Personne ne me connaissait, là-bas. D’ailleurs, comme personne ne croyait dans le projet, je n’ai pas du tout été sollicité. Même Hitchcock a fait Psychose dans des conditions moins confortables que celles qu’il avait connues auparavant. » Une équipe de télévision, du noir et blanc, un petit budget, un planning serré… Service minimum. Alors engagé en tant que scénariste chez Universal, Robert Bloch assiste incognito et de loin au tournage d’une scène dans le motel. 
« Je n’ai rencontré Alfred Hitchcock qu’à l’occasion d’une projection de la copie de travail chez Universal » poursuit le romancier. « Je m’en souviens encore très bien. Il était assis derrière moi. Une fois les lumières rallumées, il a demandé son avis à Janet Leigh. Elle a répondu : « Ces coups de couteau, je les ai pratiquement sentis pour de vrai. ». J’ai dit à Hitchcock qu’il tenait là soit son plus grand triomphe, soit un énorme désastre. »
Bien que le succès ne soit pas garanti (à entendre les Cassandres de Hollywood, le flop est quasi certain), Psychose comble Robert Bloch. « Le scénario reprend 90 % du roman » se félicite-t-il avant de se livrer au rapide inventaire des différences. La plus importante tient à l’âge du psychopathe Norman Bates, jeune homme a priori introverti et inoffensif à l’écran, quadragénaire dans le roman.
Une fois Psychose devenu un classique et une vraie cash-machine, le destin cinématographique de Norman Bates échappe à l’écrivain. Floué à cause de la négligence de son ancien agent, il publie en 1982 Psychose II. Prélude au Psychose II cinéma de l’année suivante ? Que nenni. « Universal n’a pas voulu de mon histoire : évadé de l’asile, Norman Bates partait pour Hollywood afin de suivre clandestinement le tournage du film qui lui était consacré. Mon tableau des grandes sociétés prêtes à tout pour gagner de l’argent n’a pas plu aux patrons du studio. » Et Universal d’engager Tom Holland afin d’offrir à Norman Bates un retour plus conventionnel et moins sarcastique.



LE HITCHCOCK DU PAUVRE 
Auréolé du prestige de Psychose sans avoir écrit une ligne de son scénario, Robert Bloch suscite vite l’intérêt des producteurs de cinéma. Naturellement, le premier intéressé lui demande de faire du Psychose. En l’occurrence avec The Couch, un projet en gestation chez Warner Bros. depuis plusieurs années. « Je suis arrivé dessus par le biais de mon agent, Ben Kamsler » commente le romancier. « À l’origine, The Couch se présentait tout simplement sous la forme d’un traitement de quelques pages signé Blake Edwards » qui, au lendemain de Diamants sur canapé, décide de se consacrer à des projets plus prioritaires. « D’ailleurs, le réalisateur, Owen Crump, était l’oncle d’Edwards, et avait surtout oeuvré dans le documentaire de télévision. Notre accord se résumait à ceci : si je réussissais à extraire un script exploitable du maigre synopsis, le film devait se faire. » Il se fera, modeste projet dont le tueur de dames consulte un psy et avertit la police avant de passer à l’acte. « Avec The Couch, je me suis surtout employé à éviter les longues et statiques séquences dialoguées entre le maniaque et son médecin. Je leur ai substitué des scènes du point de vue du premier, surtout quand il perd le contrôle de lui-même. » 
Sauf que le budget, limité, n’autorise pas le tournage de certains passages, comme une Los Angeles apocalyptique et des mannequins prenant vie derrière leur vitrine. Une petite frustration avant la grande déception de la sortie. « Le film a pourtant été exploité tel que le réalisateur l’avait conçu, sans la moindre coupe » pointe l’auteur de son scénario. « En revanche, prétendre qu’il a été exploité est beaucoup dire : il n’a été précédé d’aucune promotion. Rien. » 
Deux ans plus tard, avec La Meurtrière diabolique, Robert Bloch répond à une commande également motivée par Psychose. Elle vient de William Castle, grand bateleur de la série B hollywoodienne. L’Alfred Hitchcock du pauvre pour beaucoup. Inévitable qu’il se tourne ve [...]

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