Légendes : Richard Gordon - 2ème partie

Le plus souvent à l’initiative des films qu’il produit, Richard Gordon doit, à chaque film, choisir un réalisateur. Chanceux avec Robert Day pour The Haunted Strangler et Corridors of Blood, puis avec Terence Fisher pour L’Île de la terreur, il ne l’est pas moins pour Devil Doll, Horror Hospital, La Tour du Diable et Le Chat et le canari, avec derrière la caméra des personnalités pour le moins contrastées…

Lorsque, le 1er novembre 2011, il tire sa révérence à l’âge respectable de 85 ans, Richard Gordon laisse derrière lui un bel héritage dans le domaine du cinéma fantastique. Des films gothiques d’abord (The Haunted Strangler, Corridors of Blood…), d’autres jonglant avec la science-fiction (Les Monstres invisibles, L’Île de la terreur, Inseminoid…). Une contribution réelle, même si d’aucuns la jugent mineure en comparaison de la production des grands pourvoyeurs des années 50 à 70, de l’américain AIP à la très britannique Hammer. Des géants en comparaison de sa petite entreprise.
En sus du gothique porté par Boris Karloff et d’une science-fiction très branchée créatures de l’espace ou de laboratoire, Richard Gordon aborde bien d’autres registres. Comme celui de la poupée diabolique avec Devil Doll, en 1963. Une poupée appartenant à un ventriloque et hypnotiseur qui remplit une salle de spectacle de Londres. Baptisée Hugo, elle parlerait vraiment, marcherait vraiment… Vivante ? Illusion ? Une imposture selon un journaliste américain qui, en envoyant sa fiancée fouiner auprès du showman, espère ramener un scoop… Impossible de ne pas déceler en Hugo l’hériter direct de la marionnette de Au coeur de la nuit, un classique du film à sketches sorti une vingtaine d’années plus tôt. À une différence près cependant : dans ce dernier, l’état mental du ventriloque pourrait expliquer la vivacité de sa poupée. Dans Devil Doll, une âme habite clairement la marionnette, idée que reprendront bien plus tard les Chucky.



JOUER À LA POUPÉE
Devil Doll s’impose à Richard Gordon à un moment où celui-ci commence à se remettre d’une expérience douloureuse : le report de la sortie de Corridors of Blood par MGM. « Une décision qui m’a mis dans une situation financière difficile, aucune recette ne remontant » explique-t-il. « Cela a également eu pour conséquence de créer des problèmes avec mon associé, Charles F. Vetter. Nous nous sommes séparés. Mon enthousiasme altéré, je n’ai rien produit pendant plusieurs années pour me concentrer sur la distribution. Corridors of Blood enfin exploité, j’ai considéré qu’il était temps de reprendre mes activités de producteur. J’ai fondé une nouvelle société », dont Devil Doll constitue le point de départ.
À l’origine du film, une nouvelle de Frederick E. Smith publiée dans le pulp London Mystery Mazagine. Complice de longue date de Richard Gordon, John Croydon l’y découvre en 1958 et fait immédiatement le rapprochement avec le sketch d’Au coeur de la nuit, dont il compte justement parmi les producteurs. Richard Gordon réagit favorablement, en achète les droits et lance l’écriture d’une adaptation cinématographique à une époque où l’attente prolongée de l’exploitation de Corridors of Blood ne l’avait pas encore mis dans la panade. Normal, donc, qu’il en confie l’écriture à Charles F. Vetter. Cinq ans plus tard, le producteur sort le manuscrit de ses archives et demande à Ronald Kinnoch, un collaborateur régulier, de retoucher la copie. « Au départ, Ronald devait aussi réaliser le film » déclare Richard Gordon. « Les années ont passé et cette éventualité n’a plus été d’actualité. En 1963, Kenneth Rive, le coproducteur, m’a présenté à un réalisateur canadien, Sidney J. Furie, avec lequel il avait travaillé à deux reprises. Ce dernier ayant déjà tourné deux films d’horreur, il m’a paru tout indiqué pour tenir les rênes de Devil Doll. » Sidney J. Furie doit toutefois décliner, un studio anglais venant de lui proposer Wonderful Life, un film musical à gros budget avec le rockeur Cliff Richard. Une opportunité qui ne se refuse pas, même si elle présente toutes les caractéristiques d’une commande bassement commerciale. « Embarrassé, Sidney nous a suggéré d’engager son protégé, Lindsay Shonteff, un très jeune type qui n’avait encore rien tourné jusque-là. »
Lindsay Shonteff accepte avec d’autant plus d’empressement que Sidney J. Furie lui promet son aide. D’ailleurs, l’influence de l’aîné sur le cadet s’avère si forte que Devil Doll donne souvent l’impression d’avoir été mis en images par le premier, au style si caractéristique. Contre-plongées, profondeur de champ marquée, objets en amorce… Tout ou presque évoque la patte du futur auteur de Ipcress – danger immédiat et de L’Homme de la Sierra. Jamais, par la suite, Lindsay Shonteff ne fera preuve d’un tel brio. Dans Devil Doll, au-delà de l’outil narratif efficace, l’habileté technique de l’influent conseiller masque également la modestie des moyens déployés. « Le budget du film n’a pas excédé les 75.000 dollars » précise son producteur, pas peu fier de pareille prouesse. Comment s’y prend-il ? Il serre les cordons de la bourse. Plutôt que de solliciter un compositeur, il déniche de la musique à très bas prix dans un stock de compositions préexistantes. Les effets spéciaux ? Ils se concentrent sur la marionnette qui, dès qu’elle pose les pieds à terre, est interprétée par Sadie Corre, une femme d’un mètre vingt-sept dont la taille sera mise à profit dans Le Retour du Jedi (en Ewok), Brazil et The Rocky Horror Picture Show. Le vaste décor des scènes de spectacle ? Un vrai théâtre polyvalent, le Metropolitan Theatre qui, situé dans le centre de Londres, sera rasé peu après la dernière prise. Richard Gordon affirme l’avoir souvent fréquenté durant sa jeunesse, notamment pendant la Seconde Guerre mondiale. Pas de petites économies sur Devil Doll, que le public accueille chaleureusement à sa sortie en 1964. Ravissement du producteur. Une dizaine d’années plus tard, il envisage même un remake, titré Dummy. « Malheureusement, l’idée est arrivée au moment où William Goldman publiait Magic. Le producteur Joseph E. Levine en a aussitôt acheté les droits pour faire cette grosse production avec Anthony Hopkins. Naturellement, plus question de produire quelque chose sur un sujet identique. Ça ne s’est ensuite pas arrangé : Magic ayant connu un grave échec au box-office, plus personne ne voulait entendre parler de ventriloque et de poupée ! »
Devil Doll sur les écrans, Richard Gordon reconstitue la même équipe pour les besoins de Curse of the Voodoo : le coproducteur Kenneth Rive, le réalisateur Lindsay Shonteff, le chef-opérateur Gerald Gibbs et l’acteur Bryant Haliday. Anciennement titré The Lion Man et écrit par Brian Clemens sous le pseudonyme Tony O’Grady, Curse of the Voodoo suit de la savane africaine à Londres un chasseur qui, pour avoir abattu un lion sacré, se voit poursuivi par des esprits vengeurs… Un récit assez primaire, surtout de la part de l’un des principaux artisans de Chapeau melon et bottes de cuir. Richard Gordon et Lindsay Shonteff s’en accommodent cependant, avec les moyens du bord, soit 150.000 dollars. Deux fois la somme allouée à Devil Doll, ce qui ne rend pas la production luxueuse pour autant. « Pour simuler l’Afrique, nous avons utilisé des stock-shots issus de documentaires ainsi que des décors capables de faire illusion, notamment Regent Park, près du zoo de Londres » reconnaît le producteur. « La météo a été épouvantable. Les températures étaient basses, il tombait des cordes… Plutôt gênant pour certains passages supposés se dérouler en Afrique, et ça se voit qu’il pleut, que le sol est mouillé. Ces conditions avaient pour effet de déprimer l’équipe, de retarder les prises de vues et de faire grimper le budget. »
S’il avait bénéficié de conditions climatiques plus favorables, Curse of the Voodoo aurait-il été meilleur ? Certainement pas : privé du parrainage de Sidney J. Furie, Lindsay Shonteff peine à insuffler un peu de relief à [...]

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