Légendes : Richard Gordon - 1ère partie

Lorsqu’on pense « films fantastiques anglais des années 50 à 70 », ce sont bien sûr les noms « Hammer » ou « Amicus » qui viennent immédiatement en tête. Ce serait oublier d’autres artisans, plus obscurs, moins exposés, dont Richard Gordon, passionné de la première heure…

Des producteurs de cinéma, il en existe de toute obédience. Il y a ceux qui veulent avant tout faire de bons films. Il y a ceux qui cherchent en priorité le profit, parfois au détriment des intentions artistiques. Si Richard Gordon n’était certainement pas du genre à cracher sur de substantiels dividendes, il était avant tout motivé par la passion. Passion du 7e Art, qu’il nourrit en compagnie de son grand frère Alex dans le Londres d’avant-guerre, où il vient au monde le 31 décembre 1925.
Mordus, les frères Gordon créent un ciné-club dans leur école, éditent des fanzines, publient des articles dans des feuilles de chou… Ils s’intéressent à tous les domaines en général, mais à un en particulier : la science-fiction. « J’ai découvert le genre par le biais de la littérature » se souvient le cadet. « J’ai commencé par les romans de Jules Verne, puis ceux de Conan Doyle, H. Rider Haggard et Edgar Rice Burroughs. Au cinéma, plusieurs films m’ont frappé, dont Metropolis etJust Imagine » qui, bêtement retitré L’Amour en l’an 2000 en France, dresse un tableau du futur à grands coups d’effets spéciaux. « La découverte des serialsFlash Gordon etBuck Rogers n’a fait qu’aggraver mon cas ! Leur vedette, Buster Crabbe, est instantanément devenue le grand héros de mon adolescence. J’ai même tenu l’un de ses fan-clubs jusqu’au jour où j’ai été mobilisé », dans la Navy, de 1944 à 1946, vers la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
De retour à la vie civile, Richard Gordon s’installe en 1947 à New York, suivi d’Alex. D’abord correspondants pour des magazines cinématographiques anglais, les deux frères fondent Gordon Films, société tournée vers l’exploitation de longs-métrages étrangers, pour la plupart européens. De l’un d’eux, Le Général du diable avec Curd Jürgens en officier dans le collimateur de Hitler, Richard tente même de produire un remake hollywoodien, motivé par le succès du Renard du désert dans lequel James Mason incarne Rommel. Une tentative avortée. Mais Richard Gordon ne baisse pas les bras. En 1957, tandis qu’Alex a rejoint depuis trois ans les rangs d’American International Pictures où il travaille auprès de Roger Corman, il lance Amalgamated Productions, en partenariat avec Charles F. Vetter. Vocation d’Amalgamated : produire pour le marché britannique des séries B destinées à la seconde partie des doubles programmes généralement menés par de grosses machines américaines. La demande est forte, encouragée par des subsides publics. « En un an, nous avons mis sur pied sept productions ! » déclare un Richard Gordon repu. Essentiellement des polars :Assignment Redhead, Un tueur s’est échappé, Man in the Shadow, Kill Me Tomorrow
C’est toujours dans le cadre d’Amalgamated que Richard Gordon touche pour la première fois à la science-fiction, par le biais du roman Escapement de Charles Eric Maine. Devenu à l’écran The Electronic Monster, il raconte comment un ancien scientifique nazi utilise, dans sa clinique de la Côte d’Azur, une machine à rêves pour influer sur le comportement de sa riche clientèle. Une sorte d’Inception rustique. « Un sujet que j’aimais beaucoup » commente le producteur. « Malheureusement, il ne s’est pas développé comme nous l’aurions voulu, surtout parce que le refus de Basil Rathbone d’interpréter le savant fou nous a contraints à mettre celui-ci au second plan, au profit du détective d’une compagnie d’assurances. » Un personnage incarné par Rod Cameron, vedette de westerns de série B. Une frustration supplémentaire : Richard Gordon doit composer avec l’Anglais Montgomery Tully en tant que réalisateur, au lieu de l’Américain qu’il avait en tête. Il se dispute même avec Nat Cohen, son coproducteur, concernant la violence du film : le premier tient à un spectacle destiné à tous les publics pour la Grande-Bretagne, alors que le second préfèrerait une version beaucoup plus corsée pour les États-Unis. Deux visions difficilement conciliables, d’autant que l’exilé ne peut tourner les séquences supplémentaires qu’il souhaiter intégrer au montage américain.
Malgré ses insuffisances, The Electronic Monster ne rebute pas la Columbia qui demande expressément à Richard Gordon de le coupler avec un autre titre en prévision d’une exploitation en double programme aux États-Unis. « Le second film, je l’ai débusqué avecWomaneater, une série B d’horreur anglaise qui n’avait pas trouvé preneur. » Encore une histoire de savant fou, à la différence que celui-ci tire d’un arbre vorace le sérum capable de ramener les morts à la vie !


LUGOSI SUR LES DENTS
Dans son parcours de professionnel du cinéma, Richard Gordon croise le chemin des deux plus grandes légendes du fantastique gothique hollywoodien des années 30 et 40 : Bela Lugosi et Boris Karloff. Deux horror stars qu’il rencontre d’abord à titre « journalistique », auprès de son frère Alex.
Avec Bela Lugosi, le courant passe si bien que l’acteur lui demande, au terme d’un dîner, de le représenter à New York. Une proposition inattendue qui ne se refuse pas, même si, à cette époque, Richard Gordon n’est pas encore devenu producteur. « Cette rencontre est aussi à l’origine d’un projet que j’ai tenté de mettre sur pied en Angleterre » explique-t-il. « Il s’agissait d’une tournée théâtrale où Bela reprendrait le rôle de Dracula. Malheureusement, la compagnie derrière le projet ne disposait que de moyens très limités. Ses responsables m’ont expliqué que, s’ils investissaient dans une personnalité pareille, ils n’auraient plus l’argent nécessaire pour le reste. Sans même avoir payé Bela Lugosi, la production s’est avérée catastrophique, animée par des comédiens amateurs, les décors se réduisaient à peu de choses… Avant même d’avoir atteint Londres, étape finale de la tournée, ce Dracula a dû jeter l’éponge. Les caisses vides, la compagnie théâtrale a mis la clef sous la porte. Bela Lugosi s’est retrouvé sans un sou, incapable de financer son voyage de retour aux États-Unis. » Mais Richard Gordon ne laisse pas tomber son client et ami : il l’aide à retrouver ses pénates en persuadant le producteur George Minter de lui donner un rôle dans le prochain opus de la série Old Mother Riley. Du bon gros comique populaire né sur les planches d’un music-hall. Le scénario retapé à la hâte, Bela Lugosi se retrouve à y jouer un vampire. Un contrat de quatre semaines et de 5000 livres.
Pendant des mois, Richard Gordon travaillera sur la perspective de reprendre une partie d’Old Mother Riley Meets the Vampire pour en faire King Robot, non sans avoir manifesté la ferme intention d’y limiter la part de l’acteur principal, Arthur Lucan, au profit de nouvelles scènes avec Bela Lugosi. En vain.



KARLOFF À VOTRE SERVICE
Des années après Old Mother Riley Meets the Vampire, Richard Gordon aura beaucoup plus de chance avec Boris Karloff qui, le sachant pressé de monter sa première production en solo, lui parle de Strangle Hold, une histoire écrite à son intention par Jan Read, un ami scénariste anglais. Généreux, le comédien lui procure le manuscrit et l’assure qu’il peut garantir sa présence dans le film s’il parvient à la financ [...]

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