Légendes : Peter Weir

De tous les réalisateurs australiens apparus dans les années 70 et 80, il est le seul, avec le George Miller des MAD MAX, qui n’ait pas déçu, qui n’ait pas vendu son âme aux plus basses besognes hollywoodiennes. Tant au pays qu’aux États-Unis, Peter Weir n’obéit qu’à ses envies, touchant les genres les plus divers, non sans conserver une vision du monde toute personnelle…
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« J'aime les histoires. Dès l’âge de cinq ans, je demandais toujours à mon père de m’en raconter. Elles devaient commencer par « Il était une fois… ». » Né le 21 août 1944 à Sydney, Peter Weir finira lui-même par en raconter, des histoires. Adolescent, il lit beaucoup, dont les romans de Robert Louis Stevenson pour lequel il cultive une passion durable, et fréquente un cinéma de quartier. « Les films fantastiques de la Hammer étaient mes préférés. Le Salaire de la peur m’a aussi beaucoup impressionné, Jacques Tati également » reconnaît-il. Jeune homme, les études ne le passionnent pas. Il met l’université entre parenthèses et préfère travailler dans l’agence immobilière de son père, qu’il quitte en 1965 pour voyager à travers toute l’Europe. Notamment à Londres, où il fait de « l’animation culturelle pour des circuits de télévisions privées. » Retour à Sydney, où Peter Weir intègre la chaîne ATN 7. D’abord stagiaire, il devient assistant de production. Accédant à des « stocks de pellicule 16 mm et des caméras », il tourne un premier court-métrage, « d’inspiration surréaliste », Count Vim’s Last Exercise, « en réaction contre le cinéma hollywoodien », qu’il juge mauvais. Ses premiers pas dans les métiers de l’image, Peter Weir les poursuit à la Commenwealth Film Unit, comme assistant de production et assistant-opérateur. Il verse dans le documentaire institutionnel, un registre qui ne lui convient guère. Il préfère la fiction, et c’est justement par le biais de deux courts-métrages qu’il sort du lot, le contestataire Michael et le satirique Homesdale, tableau en cinquante minutes d’un centre de loisirs dont les pensionnaires laissent libre cours à leur perversité… Un essai caustique, gratifié d’une bourse. Peter Weir repart visiter l’Europe, ainsi que le Moyen-Orient. Aux Studios de Pinewood, il rencontre Alfred Hitchcock sur le plateau de Frenzy. De retour en Australie, entre des courts-métrages, la critique et même l’enseignement, le cinéaste en herbe ronge son frein, dans l’attente de passer, enfin, à la vitesse supérieure. 

EN TÔLE 

« Mon premier long-métrage, Les Voitures qui ont mangé Paris, est né d’un séjour en France » convient Peter Weir. « Près d’un barrage, deux cantonniers nous ont fait prendre une déviation, à ma femme et moi. Cette route était désertique, envahie par le brouillard. Ces hommes auraient très bien pu nous diriger droit vers un piège. Quelques semaines plus tard, nous avons visité Paris, une ville magnifique, mais saturée de voitures vingt heures sur vingt-quatre. Le chaos ! En Angleterre, j’ai ensuite lu des articles portant sur une fusillade et des accidents de la route. Je me suis dit : « Quoi de mieux que des accidents de la route pour cacher des meurtres ! ». Tout s’est combiné. » Peter Weir jette donc les bases d’un scénario. S’il l’envisage sous forme d’une comédie, il change de braquet, l’orientant vers quelque chose de plus sombre. 

Dans sa mouture finale, le script dépeint la ville de Paris, une toute petite communauté australienne qui, isolée et sans ressource, fonctionne sur le principe des naufrageurs d’antan. Ses habitants envoient les automobilistes dans le décor, trépanent ceux qui ne sont pas morts, dépouillent les cadavres jusqu’aux socquettes… Un butin qui permet à l’économie locale de tourner. La vie y serait même paisible si des jeunes n’y défiaient pas l’ordre établi, au volant de véhicules tunés façon Mad Max 2. « Il y a bien une dimension sociale dans le film, une critique du capitalisme et de la place que les voitures ont prise dans la société » défend son auteur contre ceux qui le réduisent à une partie de stock-car.

Produit par Hal et Jim McElroy, Les Voitures qui ont mangé Paris constitue un authentique baptême du feu pour son réalisateur. « Les quatre semaines de tournage ont été aussi incroyables que pénibles. Pénibles à cause du manque de moyen, des délais, mais aussi du directeur de la photographie, contre lequel j’ai dû me battre afin d’imposer mon point de vue. » John McLean est ce chef-opérateur que Peter Weir croise pour la première fois sur le plateau de Réveil dans la terreur, dont il observe le tournage. « Le film s’est terminé dans la souffrance. J’étais dans un tel état, à ce point déprimé, que je m’étais persuadé que jamais plus je ne retrouverais de travail. » Il en retrouve rapidement, sur une série TV. Maladroit par moments, glissant du film d’horreur au théâtre de l’absurde, Les Voitures qui ont mangé Paris demeure singulier au sein de la production australienne. À l’évidence, un talent est en train de germer…

ROCK AND ROCK 

Les Voitures qui ont mangé Paris laissent imaginer que le deuxième long-métrage de Peter Weir sera dans la même lignée : sarcastique, féroce et violent. Une description qui, pourtant, ne sied guère à Pique-nique à Hanging Rock, un projet que la productrice Patricia Lovell propose au cinéaste après avoir acheté les droits du roman à son auteure, Joan Lindsay. 

« Trois mois après lui avoir procuré le livre, Peter Weir m’a appelé pour me demander : « Alors, on commence quand ? ». » indique Lovell. Réponse : « Pas tout de suite. ». Il faut une année complète pour boucler le financement, mettre toute l’intendance en route, écrire un scénario… Pendant ce temps, le réalisateur rencontre Joan Lindsay. Naturellement, il cherche le fin mot à une histoire sur laquelle la romancière laisse planer le doute. « À la question : « Réalité ou fiction ? », elle ne m’a pas répondu » garantit Peter Weir. « Elle s’est même gentiment moquée de moi en parlant d’une soucoupe volante qui se serait trouvée dans les parages. »

Étape suivante : l’exploration des lieux de l’action. « Équipé d’un appareil photo, j’ai parcouru Hanging Rock, mitraillé cet amas de roche, en quête d’angles de caméra » assure le cinéaste. « J’ai été déçu. Malgré sa réputation et son nom évocateur, je n’y ai trouvé rien d’inquiétant, rien qui me fascine vraiment. J’ai envisagé de tourner ailleurs, d’utiliser des effets spéciaux pour obtenir ce que je voulais. La situation m’a tracassé jusqu’au jour où, un matin, j’ai remarqué que Hanging Rock baignait dans un étrange brouillard. Exactement l’atmosphère que je voulais. » Hanging Rock donc, une curiosité géologique de plusieurs millions d’années. Là, en 1900, le jour de la Saint-Valentin, les élèves d’une institution pour jeunes filles huppées se détendent. Trois d’entre elles et une enseignante disparaissent. Une semaine plus tard, l’une réapparaît, presque indemne, mais amnésique. L’énigme demeure entière. Pas d’explication rationnelle, aucun coupable, aucune théorie à étayer. « J’ai tenu à conserver ce mystère » explique Peter Weir. « Le scénario écrit par Cliff Green apportait pourtant des éléments de réponse. Trop à mon goût. Je m’en suis éloigné et, pendant les six semaines de tournage, j’y ai ajouté des scènes non prévues, certaines improvisées en fonction des réactions que certains membres de l’équipe du film auraient pu avoir en pareilles circonstances. J’ai fait Pique-nique à Hanging Rock comme j’aurais fait un rêve, sans toujours bien le comprendre. Je savais que certaines choses étaient nécessaires, mais j’ignorais pourquoi. En le revoyant, j’ai l’impression qu’il échappe comme par magie à mon propre sens de la perception. Le film possède une sorte de vie autonome. Il me ramène à mes lectures d’enfance, à Sherlock Holmes, dont les solutions aux enquêtes me décevaient souvent. En revanche, leur mystère me captivait toujours. » 


Fuyant le rationnel, Peter Weir veille à ce que toutes les pistes expliquant les disparitions aboutissent à la même impasse. Un léger séisme et l’arrêt des montres à midi n’indiquent rien en particulier. C’est plus vrai encore dans le director’s cut de 1998, écourté de quatorze minutes. « Certaines séquences du premier montage ne plaisaient pas à Peter. Il les a donc coupées » explique Patricia Lovell. Ce qui a pour effet de rendre les événements plus flous encore, presque éthérés. Exit les moments liés à la possible culpabilité du jeune aristocrate anglais et, surtout, celle de son domestique, exit aussi le flash-back où une voix annonce à l’enquêteur en chef la découverte du cadavre de la directrice du pensionnat au pied de Hanging Rock… Des soustractions qui, selon le réalisateur, « allègent la deuxième partie et rendent le récit plus sombre. & [...]

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