Légendes : Peter Sasdy
En ce début des seventies, la Hammer ne brille plus de tous ses feux. Toutefois, malgré une légère baisse de régime et un public moins fidèle qu’auparavant, la compagnie britannique n’en tient pas moins le haut du pavé pour tout ce qui relève du fantastique gothique. Ses dirigeants s’inquiètent de la lente érosion des entrées, ils aspirent à du sang neuf, à des réalisateurs au diapason du jeune public. Si, avec Terence Fisher, Jimmy Sangster, John Gilling et Roy Ward Baker, la vieille garde reste active, les producteurs recherchent de nouveaux talents. Coup sur coup, ils recrutent John Hough, Alan Gibson, Peter Sykes, Robert Young et, enfin, Peter Sasdy, le plus capable de tous. Un Hongrois d’origine, né le 27 mai 1935, à Budapest. Dans son pays, le jeune homme aurait probablement fait carrière. Soit au théâtre, domaine qui le passionne très tôt (il brûle les planches dès ses huit ans dans des spectacles de patronage), soit à la télévision (il y tourne un documentaire sur la vie des bohémiens). Mais du 23 octobre au 10 novembre 1956, une partie de la population hongroise se soulève contre un gouvernement communiste sous tutelle du Kremlin. Les chars soviétiques mettent fin à la révolution. Parmi les contestataires, Peter Sasdy préfère l’exil vers la Grande-Bretagne. Il a 22 ans. Installé à Bristol, il enchaîne les petits boulots (employé dans un salon de thé, homme à tout à faire dans un cabinet d’avocats de la City…), publie un livre sur la sorcellerie en Hongrie, apprend l’anglais « aussi vite qu’il est possible de le faire », et suit des cours d’art dramatique et de journalisme. Désormais en pleine maîtrise de la langue de Shakespeare, l’immigré envoie des candidatures spontanées à plusieurs chaînes de télévision. Son opiniâtreté paie : en 1958, il signe avec ATV. Le voilà réalisateur télé, dans les conditions draconiennes de l’époque, « confiné dans une pièce minuscule avec deux autres bonshommes. » Par contrat, il doit mettre en images tout ce que son employeur lui présente : des documentaires, des fictions… Du flux, dont le soap opera médical Emergency-Ward 10 dont il tourne pas moins de 30 épisodes en deux ans à peine. L’usine, en somme. Des séries TV, Peter Sasdy en aligne d’autres, toujours pour ATV : la chronique judiciaire Probation Officer d’après des faits réels, le tableau de la vie quotidienne d’un grand magasin de Londres avec Harpers West One, l’anthologie Drama 61-67… « Au terme de cinq ans chez ATV, j’ai décidé de travailler en indépendant, de voler de mes propres ailes, de choisir les programmes sur lesquels j’allais travailler. »
PAS COMME FISHER
À son compte, précédé d’une solide réputation de professionnel efficace en dépit de son jeune âge, Peter Sasdy enchaîne les commandes, oeuvrant notamment à une adaptation pour la BBC du roman Les Hauts de Hurlevent en quatre épisodes, à une biographie semi-imaginaire d’Arthur Conan Doyle et, inévitablement, à l’une des séries Sherlock Holmes des années 60. En l’occurrence, celle de 1964, animée par Peter Cushing. Peter Cushing qu’il retrouve à l’occasion de The Caves of Steel, l’un des segments de l’anthologie Story Parade. Soit l’adaptation du roman de science-fiction Les Cavernes d’acier d’Isaac Asimov, tableau d’un avenir où éclatent des émeutes anti-robots. Ce n’est cependant pas avec cette réalisation que Peter Sasdy se fait remarquer par la Hammer. « Aida Young, la numéro 2 du studio, m’a repéré grâce à une autre série, Journey to the Unknown, une de leurs productions. » Une sorte de Quatrième dimension à l’anglaise, dont le réalisateur tourne deux épisodes, The New People et Girl of My Dreams. « L’accueil du public et de la presse a été si favorable, qu’Aida m’a convoqué ; elle m’a présenté James Carreras, le grand patron de la boîte. Ils avaient manifestement l’intention de changer un peu les choses, d’apporter un peu de fraîcheur à leurs films. Ils m’ont parlé d’un projet sans réalisateur. Quel mot agréable à mes oreilles car, après une bonne dizaine d’années à la télévision, je commençais sérieusement à m’y sentir à l’étroit. Je voulais tourner un vrai film, pour le cinéma. » Aida Young et James Carreras décident de lui confier Une messe pour Dracula, Freddie Francis, occupé à Trog, ne pouvant en prendre les rênes. « Je sais qu’il a été question à l’époque de remplacer Christopher Lee par Ralph Bates dans le rôle du Comte. Une idée audacieuse que la Hammer a abandonnée un peu avant que je n’arrive sur le film. Ça me convenait tout à fait : pour ma première réalisation de cinéma, je préférais nettement disposer d’un comédien connu dans un registre qu’il maîtrisait bien plutôt que d’un nouveau Dracula que le public n’attendait pas forcément. » Si Ralph Bates reste dans le film, désormais titulaire du rôle (plus court) d’un aristocrate pratiquant la magie noire, Christopher Lee reprend ses habits de maître vampire, ayant obtenu une augmentation de son cachet lors d’un déjeuner dans l’un des meilleurs restaurants de Londres, le Caprice.
« En fonction de la présence ou de l’absence de Christopher Lee, le scénario a évolué. J’ai également pu y apporter ma contribution. Plutôt que de situer une fois de plus l’action en Transylvanie, j’ai convaincu la Hammer de la déménager dans l’Angleterre victorienne, dans un cadre plus familier. Important pour moi car, outre le fait d’échapper à un cliché, cela me permettait de stigmatiser l’hypocrisie britannique concernant les moeurs. Il ne s’agissait plus de parler d’étrangers aux pratiques bizarres, mais de parler de « nous », de la double vie que mènent certaines personnes sous couvert d’une grande respectabilité. C’est ainsi qu’Une messe pour Dracula est devenu mon Dracula, sans doute moins orthodoxe vis-à-vis de la tradition, mais plus personnel. » Un Dracula dont Anthony Hinds (sous le pseudonyme de John Elder), l’un des fondateurs de la firme, signe le script, récit de la vengeance du Prince des ténèbres sur les notables coupables de l’assassinat du Lord à l’origine de sa résurrection. Un film plus féroce, plus subversif que ses prédécesseurs, le vampire abolissant les frontières du manichéisme en remplissant une fonction généralement attribué au « gentil » revanchard.
« J’ai immédiatement envisagé de faire d’Une messe pour Dracula un film différent de ceux de Terence Fisher afin de me faire remarquer » poursuit Peter Sasdy. « Autrement, le studio aurait dit : « C’est bien, c’est joli ! ». Ce que je cherchais surtout à éviter ! Ainsi, avec ce premier long-métrage, j’ai pris le pari de bousculer, d’embarrasser les gens de la Hammer, en faisant de leurs grands-parents de l’époque victorienne des dépravés. J’y ai aussi introduit des éléments freudiens, par l’intermédiaire des conflits de générations et des problèmes de chacun. En changeant les lieux géographiques et les rapports humains, j’ai innové. » Et le public suit, satisfait de cet énième Dracula, plus moderne que les précédents mais capable de ménager les oripeaux du fantastique gothique.
Pour sa deuxième collaboration avec la Hammer, Peter Sasdy n’attend pas que James Carreras et Aida Young lui fournissent un manuscrit. « J’ai lu dans le Times un article au sujet de la Comtesse Bathory. Avec Alexander Paal, un compatriote hongrois, nous en avons tiré un petit synopsis que nous avons présenté à James Carreras. Une page, pas davantage, car il ne lisait jamais plus. » Le producteur mord d’autant plus fermement à l’hameçon que le réalisateur a déjà le titre en tête : Comtesse Dracula. Vendeur. « Le jour même, James déjeunait avec ses partenaires de la Rank » se souvient Sasdy. « À quinze heures, l’affaire était déjà conclue, La Rank allant participer au financement du projet en assurant sa distribution en Grande-Bretagne ! James n’avait pas encore digéré son repas qu’il m’a posé la question : « Peux-tu être prêt dans six semaines ? Les plateaux des studios de Pinewood sont disponibles. » Plus que disponibles en réalité : les décors du film y sont déjà construits ! Par quel miracle ? Il s’agit de ceux d’une grosse production historique, Anne des mille jours avec Richard Burton en Henry VIII, dont le tournage doit très prochainement s’achever. Autant en profiter avant leur destruction. Juste le temps d’engager un scénariste, Jeremy Paul, sur suggestion du réalisateur, et la préproduction démarre déjà, fulgurante.
Toutefois, Peter Sasdy n’obtient pas gain de cause sur un point : l’actrice principale, interprète d’Elisabeth Bathory, laide et vieille comtesse qui assassine de belles jouvencelles pour renouer avec la jeunesse et la beauté. « J’aurais souhaité que le rôle soit tenu par Diana Rigg » regrette-t-il. Encore aurait-il fal [...]
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