Légendes : Paul Verhoeven /2ème partie
Au lendemain de Total Recall, Paul Verhoeven aurait pu enchaîner immédiatement sur une troisième incursion dans la science-fiction avec Total Recall 2. Une séquelle qui, en réalité, cache l’adaptation d’une autre nouvelle de Philip K. Dick, Rapport minoritaire. À l’initiative de Gary Goldman et de Ronald Shusett, le script reprend l’idée des mutants de Mars qui, cette fois, se révèlent capables de lire le futur, d’anticiper sur les crimes et délits à venir. Un don qu’exploite une société dirigée par un personnage dont la production, toujours Carolco, propose le rôle à un Arnold Schwarzenegger pas très chaud. Sans lui, aucune chance que ce vrai faux Total Recall 2 voie le jour. Quant à la vraie adaptation de Rapport minoritaire, elle finira par atterrir sur le bureau de Steven Spielberg, une bonne décennie plus tard, pour devenir Minority Report.
FEMME ET DÉMON
Pour l’heure, Paul Verhoeven recherche un scénario qui le stimule. Il jette son dévolu sur celui de Basic Instinct, que Carolco vient d’acquérir pour trois millions de dollars. Un record. Son auteur, l’ombrageux Joe Eszterhas, n’apprécie que modérément son implication. « J’ai autant adoré RoboCop que j’ai détesté Total Recall » reconnaît le scénariste. « Ayant déjà travaillé avec lui, je tenais à ce que Milos Forman en soit le réalisateur. Rien n’empêchait Carolco de l’engager. Sauf que Paul Verhoeven avait déjà signé son contrat. Mis devant le fait accompli, je me suis résigné. » Sa première rencontre avec le réalisateur ne se déroule pas dans une ambiance très amicale. « Paul s’est montré très agressif. En substance, il m’a dit : « Je suis le réalisateur, c’est moi qui décide. J’ai raison et tu as tort ! ». » Le réalisateur entend bien apporter des modifications au script, qu’il juge « prude et moralisateur ». Le Hollandais parle immédiatement de l’ajout d’une scène chaude entre les personnages de Catherine Tramell et Roxy, sa petite amie. Tout puissant, il entreprend très vite de réécrire le scénario à quatre mains, auprès de Gary Goldman. Quatre versions plus tard, il jette son stylo en même temps que l’éponge. Retour à la case départ. « Il m’a fallu entreprendre ce travail pour vraiment comprendre Basic Instinct, apprécier les bases sur lesquelles Joe Eszterhas l’avait construit », admet un Paul Verhoeven repentant.
S’il fait amende honorable au sujet d’un scénario qu’il ne retouchera finalement que très peu, Paul Verhoeven se montre en revanche inflexible face aux associations gays et lesbiennes, furieuses que le tueur soit une bisexuelle perverse. Mauvais pour l’image de leur communauté. Avançant le fait qu’il s’agit d’un personnage purement imaginaire, le réalisateur ne cède rien, à l’opposé de Joe Eszterhas, qui suggère l’adoucissement d’une ou deux séquences pour calmer le jeu. « Non, on garde tout tel quel » lui rétorque le réalisateur. Manifestement, avant même que le moindre bout de pellicule ne soit sorti du laboratoire, Catherine Tramell suscite déjà la polémique. Une riche rentière qui publie des romans dans lesquels elle décrit précisément le meurtre de ses amants, manipulatrice redoutablement intelligente à laquelle se frotte, dans tous les sens du terme, le flic incarné par Michael Douglas.
D’Isabelle Adjani à Melanie Griffith en passant par Kim Basinger, Michelle Pfeiffer, Demi Moore, Meg Ryan et Julia Roberts, elles sont nombreuses à refuser le rôle, effarouchées par le comportement sulfureux du personnage et la nudité. Et pourtant, quand il tombe sur une actrice consentante, Paul Verhoeven se montre très sélectif. Linda Fiorentino ? « De trop petits seins » se justifie-t-il. En désespoir de cause, il songe même à convoquer Renée Soutendijk, la mante religieuse du Quatrième homme. « Après tout, Le Quatrième homme et Basic Instinct constituent pratiquement un seul et même film, à la différence que le premier affiche des goûts artistiques européens et que le second est à 100 % américain. »
La date de début de tournage de Basic Instinct approchant dangereusement, le réalisateur se replie sur Sharon Stone, la méchante de Total Recall, d’abord écartée « parce que trop peu connue du grand public » selon Carolco. Un choix audacieux, que le premier jour de travail devant les caméras remet en question. L’actrice perd ses moyens, elle est mauvaise. Contre toute attente, Paul Verhoeven ne s’emporte pas, comme il l’aurait fait en temps ordinaire. « Il a été d’une patience inouïe, lui expliquant calmement tout ce qu’il attendait d’elle » intervient Jan de Bont, le chef-opérateur. Le réalisateur concentre à ce point son énergie sur Sharon Stone que Michael Douglas finit par se sentir relégué au second plan, lui qui avait plaidé en faveur du Hollandais lorsque Joe Eszterhas avait tenté d’imposer Milos Forman. Deux prises pour lui, dix pour elle, en moyenne. Les rapports entre les deux hommes se tendent, mais selon Paul Verhoeven, c’est pour la bonne cause. « Avec Sharon Stone, j’avais débusqué la perle rare » explique-t-il. « Je savais qu’elle pouvait jouer Catherine Tramell. Elle, en revanche, l’ignorait. Je pense être le premier à avoir trouvé le bon bouton pour la diriger, lui donner confiance en elle. OK, nous nous sommes parfois bagarrés, mais elle n’a pas beaucoup résisté. Elle savait que je faisais du bon boulot, qu’elle tenait là le rôle de sa vie. S’il y a eu de la tension entre nous, elle a servi le film. » Et la fameuse scène d’interrogatoire où Catherine Tramell écarte les cuisses devant un parterre de flics médusés, sujet de tension également ? « Non. Sharon a ensuite prétendu que j’avais filmé ça à son insu. Faux. Elle a même pu tout voir sur le moniteur vidéo ! Après la prise, elle m’a d’ailleurs fait cadeau de sa petite culotte. » Le trophée d’une liaison consommée ? « Pas du tout » assure Paul Verhoeven. « En revanche, tout ce que j’ai ressenti pour elle irrigue le film, ainsi que tout ce qu’elle a éprouvé pour moi. Notre histoire ne s’est pas épanouie dans un lit, mais à l’écran, à travers l’art. Une grande victoire. »
Une victoire… pour un Mal. « Dans Basic Instinct, Sharon Stone incarne le Diable » théorise le réalisateur. « Pas à la manière de Dracula, mais plutôt un Diable déguisé en femme pour mieux semer la terreur. Le film transcende l’aspect humain de Sharon Stone pour mieux la hisser au rang de divinité du Mal. À l’origine, dans son scénario, Joe Eszterhas voulait justement établir un lien entre Catherine Tramell et Sympathy for the Devil, la chanson des Rolling Stones. Car, malgré tout, on peut éprouver une certaine sympathie pour le Diable, pour Catherine Tramell. Nous avons essayé d’intégrer la chanson au montage, mais ça donnait un style très « clip vidéo » qui ne s’harmonisait pas avec le reste. » Ce « reste » auquel fait référence Paul Verhoeven a certainement trait au côté thriller passionnel à la Hitchcock. « Il est clair que Basic Instinct tient de Sueurs froides, même si les deux films illustrent des histoires différentes » confesse-t-il. « Du Hitchcock, j’ai repris plusieurs éléments, consciemment ou non. Sur le plateau, j’ai d’ailleurs pris l’habitude d’annoncer que j’étais en train de réaliser un Hitchcock des années 90. Je l’ai fait quasi instinctivement, sans le rechercher. À 17 ou 18 ans, j’ai vu Sueurs froides une bonne quinzaine de fois au cinéma. J’en connaissais chaque scène par coeur et tout ceci m’est revenu pendant le tournage de Basic Instinct. Rien de prémédité. Je me serais presque laissé aller à utiliser, comme Hitchcock, le Golden Gate Bridge, mais je me suis dit que l’allusion serait trop évidente, qu’il valait mieux choisir un autre pont. J’ai égale [...]
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