Légendes : Paul Bartel

S’il n’a pas été le plus prolixe des réalisateurs américains, Paul Bartel demeure l’une des personnalités les plus attachantes et singulières de son temps. Plus attiré par la satire sociale que par le genre pur et dur, il trouve cependant en ce dernier un terreau fertile à la culture de sa pensée hautement contestataire.

Disparu en mai 2000, Paul Bartel marque le cinéma américain des années 70 à 90. Décrit par certains comme « le chaînon manquant entre John Waters et Paul Verhoeven », il navigue dans un entre-deux situé quelque part entre la série B et le film d’auteur. Le dénominateur commun de ses réalisations : l’insolence, le sarcasme, la mise à l’épreuve par la satire des valeurs de la société américaine.
Venu au monde le 6 août 1938 à Brooklyn, Paul Bartel grandit à Nutley, dans le New Jersey. La salle de cinéma locale, ainsi qu’un ciné-club, le forment au 7e Art. Il y voit de tout : les nouveautés du moment, des classiques américains et étrangers, des films muets… De quoi forger sa sensibilité artistique. « Je me suis simultanément intéressé à l’art dramatique et à l’écriture, en même temps qu’à l’animation. Et les marionnettes me fascinaient » se rappelle-t-il. « Conscient qu’une vie d’acteur serait incertaine, surtout quand on ne présente pas un physique de star, je me suis orienté vers l’animation. » Il travaille d’ailleurs à ce titre pour UPA Cartoons, une société connue pour ses Mr. Magoo. À 17 ans, il est admis à l’UCLA, l’université de Los Angeles, dont les cours de cinéma et le département animation l’attirent irrésistiblement. Bénéficiaire d’une bourse, Paul Bartel part peu après pour l’Italie dans le cadre d’un programme avec le « Centro Sperimentale di Cinematografia » de Rome. « Une magnifique expérience qui a changé ma vie. ».
Là-bas, le jeune homme assiste au tournage du gigantesque Cléopâtre de Joseph L. Mankiewicz, fait le portrait de postulants acteurs dans le court-métrage documentaire Progetti… « Au bout de deux ans, je suis revenu aux États-Unis. J’y ai trouvé un travail au Centre Cinématographique des Armées, en tant que script et assistant réalisateur sur des documentaires institutionnels ! L’un, alors classé top secret, portait même sur la bombe à hydrogène. D’autres concernaient la mise à feu des missiles. Technique et barbant ! » Étape suivante du parcours pour le moins cocasse de Paul Bartel : Rose-Magwood, une importante agence de publicité. « Alors que je ne rêvais que de passer à la réalisation, on m’a chargé d’établir des budgets, d’engager des équipes… Finalement, je ne le regrette pas car les réalisateurs de pub ne peuvent généralement pas quitter la pub ! J’ai tenu trois ans là-dedans. J’en suis sorti profondément déprimé. » 



POUPÉE DE SANG 

À bout, Paul Bartel ne claque cependant pas la porte de l’agence ; il profite de ses équipements pour enfin réaliser son premier court-métrage de fiction, The Secret Cinema, cauchemar paranoïaque préfigurant The Truman Show dans lequel une jeune femme réalise que sa vie entière est filmée. Vingt-six minutes de noir et blanc cafardeux, de constante déstabilisation narrative. « Avant que The Secret Cinema ne soit achevé, j’ai décroché un job de producteur chez Hearst Metrotone News, une agence de communication, dans le cadre d’un programme promotionnel avec l’Amérique latine. Je suis particulièrement fier d’y avoir lancé un documentaire sur la préparation des Jeux olympiques. » Son contrat arrivé à terme, Paul Bartel enchaîne sur son court-métrage suivant, Naughty Nurse, récit des extras sado-maso d’une infirmière. Piquant.
Malgré une diffusion confidentielle, Naughty Nurse et The Secret Cinema séduisent Gene Corman, frère de Roger, auquel Bartel envoie aussi un scénario. Celui d’un projet alors intitulé Blood Relatives, et qui deviendra bientôt Private Parts. « À la base, ce n’était pas un de mes scénarios, mais celui de deux gars que j’avais connus à l’université. Il m’a été procuré par le producteur de Brian De Palma, que je connaissais depuis l’exploitation en double programme de The Secret Cinema auprès de son premier film, Murder à la Mod. » Un script que Bartel réécrit, avec pour résultat les mésaventures d’une jolie brune passablement instable qui débarque dans l’hôtel vétuste de sa tante, établissement relevant plus de l’hôpital psychiatrique. Le plus fou des clients, un voyeur psychopathe, fantasme sur elle en collant sa photo sur une poupée gonflable qu’il irrigue de son propre sang…
Alors à la recherche de projets modestes dans le cadre d’un accord de productions avec MGM, Gene Corman obtient du studio qu’il valide le projet. Il le regrettera. « Un vrai flop » commente Paul Bartel. « À cause de son titre, la plupart des journaux ont refusé de parler du film. Les réactions scandalisées de certains spectateurs ont été telles que MGM a fait retirer son nom des copies et du matériel publicitaire. Private Parts n’a pratiquement pas été exploité à l’étranger. Je dois également admettre que j’ai commis une grosse erreur en terminant le film sur le ton de la comédie alors que, pendant une heure dix, tout était au premier degré. Un stratagème qui peut amuser une toute petite audience, mais certainement pas les amateurs de cinéma d’horreur. Ils m’en ont voulu. J’ai aussi contribué au bide ! » Un échec mérité ? Pas vraiment. Si, en 1973, Private Parts suscite polémique, rejet et incompréhension, il n’en demeure pas moins l’une des plus éloquentes expressions du talent à part de son réalisateur : un thriller suffocant, baroque et moderne, chargé de personnages déviants, y compris l’héroïne. Belle manière pour Paul Bartel d’épingler les vices, refoulements et turpitudes de ses contemporains, dont un prêtre branché chaînes et bodybuilders.


EN VOITURE, STALLONE ! 

Non sans avoir consacré presque une année à présenter Private Parts dans les festivals du monde entier, Paul Bartel se retrouve pratiquement à la case départ à son retour aux États-Unis. « J’avais des projets plein la tête. Pour l’heure, je devais parer au plus urgent : un travail ! Des amis m’ont présenté un producteur qui recherchait un réalisateur pour Super nanas, un film de gangsters avec Angie Dickinson. Il était prévu que je le tourne, mais il a préféré engager Steve Carver et m’a chargé de la deuxième équipe. En dépit de rapports conflictuels avec Steve, j’ai rempli mon contrat. Mes scènes concernant des voitures et des cascades, Roger Corman s’est imaginé que j’étais un mordu d’automobile. Il m’a alors parlé de ce film, La Course à la mort de l’an 2000. »
Le manuscrit, signé Robert Thom d’après une nouvelle d’Ib Melchior, tombe pratiquement des mains de Paul Bartel. « C’était vraiment très mauvais. J’ai été autorisé à le réécrire pendant une semaine avec Charles Griffith, un collaborateur fréquent de Roger Corman. Tandis qu’il ajoutait des éléments nouveaux qui étoffaient l’histoire, j’ai accentué l’humour, développé la dimension satirique. »
Ainsi prend définitivement forme La Course à la mort de l’an 2000 qui, situé dans une Amérique ruinée par la France et ses alliés européens, dépeint une compétition automobile transcontinentale dont les concurrents peuvent écraser les piétons, y compris des vieillards promis à l’euthanasie. Ces pilotes répondent aux doux noms de Frankenstein, Calamity Jane, Mitraillette Joe Viterbo, Matilda la Hun… Des tueurs pour la plupart, ici ralentis par des saboteurs, toujours français ! « J’ai surtout apporté de l’humour à l’histoire, une certaine distance » poursuit Paul Bartel. « Pour Roger Corman, ce film devait être au premier degré, très sérieux. Pour ma part, j’avais à l’esprit une sorte de bande dessinée, quelque chose de délirant. Je suis parvenu à le convaincre qu’il fallait contrebalancer l’horreur de certains passages par des gags, des clins d’oeil. Il a accepté, sous r&eacu [...]

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