Légendes : Nigel Kneale

Un grand nom de la science-fiction britannique. Écrivain et scénariste, Nigel Kneale imagine avec Bernard Quatermass un personnage discrètement héroïque, ultime rempart de la Terre contre diverses menaces extraterrestres, d’abord télévisuelles, puis cinématographiques sous l’étendard Hammer Films.

En juillet et août 1953, une série TV inhabituelle crée l’événement en Grande-Bretagne : The Quatermass Experiment. Six fois trente minutes, diffusées en direct, pour raconter comment le professeur Bernard Quatermass intercepte une menace en provenance de l’espace. Un succès foudroyant que la BBC n’avait pas anticipé, et qui répond à celui, au cinéma, de La Chose d’un autre monde. À l’origine du feuilleton, un scénariste : Nigel Kneale. Né le 18 avril 1922 dans le Lancashire (au nord de l’Angleterre), il dévore à l’adolescence les romans de Guy de Maupassant, Anton Tchekhov et H.G. Wells, en même temps qu’il se passionne pour les légendes locales à base de serpents de mer et de sirènes.
À 17 ans, après la déclaration de guerre de la Grande-Bretagne et de la France à l’Allemagne nazie, Nigel Kneale se présente au recrutement de l’Armée. Réformé pour cause de photophobie (une sensibilité extrême à la lumière), le jeune homme choisit de suivre des études de droit. Diplômé, il trouve un emploi dans un cabinet d’avocats où il s’ennuie mortellement. « Là, j’ai pris conscience que je voulais écrire, et j’ai démissionné » raconte-t-il. Motivé, il démarche des magazines, avec un certain succès puisque, en 1942, il obtient la publication de la nouvelle Billy Halloran, une chronique de l’Île de Man. La première d’une longue série de récits qui, pour la plupart, prennent justement pour cadre cette île où l’auteur a passé son enfance, et qu’il quitte en 1946 pour s’installer à Londres. Toujours porté sur l’exercice littéraire, Nigel Kneale suit également les cours de la Royal Academy of Dramatic Art, avec l’intention de brûler les planches. À sa sortie, il intègre les rangs de la Royal Shakespeare Company de Stratford-upon-Avon. Il y anime sept pièces dont La Mégère apprivoisée et Le Marchand de Venise. Des débuts prometteurs, mais qui ne déboucheront sur rien. « Certes, j’ai pu incarner plusieurs rôles majeurs au théâtre, mais la plupart de ceux qu’on me confiait étaient insignifiants et mal payés. Mes nouvelles trouvant régulièrement preneur, je me suis définitivement orienté vers l’écriture. » Kneale est de plus en plus coté, certains de ses récits étant même adaptés à la radio, tandis que d’autres sont réunis dans le recueil Tomato Crain and Other Stories, compilation de ses chroniques insulaires. Accueil chaleureux de la critique et des lecteurs. Entre littérature et ondes, Nigel Kneale glisse vers la télévision, medium alors en plein essor. « L’exercice était pour moi plus satisfaisant que la radio, car je m’exprimais surtout en termes visuels » explique-t-il. « Normal, vu que j’étais sous influence du cinéma. J’y allais à raison de deux fois par semaine. » Engagé par la BBC, seule chaîne existante à l’époque, Nigel Kneale y intègre le département scénario et, sur commande, livre histoires d’amour, récits de guerre, adaptations de classiques de la littérature, mais pas de science-fiction. Jusqu’au jour où…



L’ENVAHISSEUR
« Tout est parti d’un trou dans la programmation de la BBC » rapporte Nigel Kneale quand il revient sur la genèse du premier Quatermass. « Un responsable s’est adressé à nous, les scénaristes. « Cet été, pendant six semaines, nous n’avons rien à mettre dans cette case horaire. S’il vous plaît, trouvez quelque chose » a-t-il annoncé. J’avais une idée. » Non pas une adaptation littéraire, mais une histoire qu’il baptise d’abord Bring Something Back… Né de son attirance pour les aventures de gens ordinaires impliqués dans des faits extraordinaires, ce récit raconte comment un cosmonaute revient de l’espace contaminé par une entité extraterrestre qui le transforme en créature hybride. Enthousiasme de Michael Barry, responsable fiction de la chaîne : il offre à son instigateur un cachet spécial de 250 livres pour se mettre au travail. Pas anodin, puisque la somme correspond à son salaire annuel. Une générosité justifiée par l’urgence : Nigel Kneale rédige le premier épisode en une semaine, le deuxième en quatre jours et le troisième en un week-end. « J’ai également dû imaginer un nouveau titre » rappelle-t-il. « Le premier donnait vraiment l’impression qu’on parlait d’une liste de courses. Quelqu’un a suggéré The Unbegotten (« celui qui n’est pas encore né » – NDR), mais la connotation religieuse catholique était trop forte. » Le scénariste choisira finalement The Quatermass Experiment. Quatermass pour Bernard Quatermass, le plus éminent des scientifiques du British Experimental Rocket Group. Pourquoi ce nom au lieu de celui de Charlton, un temps envisagé ? « Bernard » en hommage à Bernard Lovell, illustre physicien et radioastronome de l’époque. « Pour le nom de famille, je me suis reposé sur ceux, commençant souvent par « qu », que portent beaucoup d’habitants de l’île de Man. Dans l’annuaire téléphonique de Londres, j’ai passé en revue tout ce qui débutait par ces lettres. Je suis tombé sur Quatermass. » Un patronyme effectivement marquant, original, destiné à un personnage que son créateur veut anticonformiste. « Mes intentions tendaient vers un scientifique nouveau pour ce type de récits, loin du traditionnel savant fou, quelqu’un de sain, de bon, en qui vous pouvez avoir confiance. Une personnalité positive. » Autre nouveauté du feuilleton : la fusée envoyée dans l’espace. Une pure invention. « Ni les Soviétiques ni les Américains n’en avaient encore envoyé. Mes connaissances en matière de science et de technologie étaient pour le moins limitées, même si ces domaines me passionnaient. J’ai seulement supposé que cela serait peut-être possible un jour. » À l’écran, pour donner une forme concrète à l’aéronef, l’appareil n’existant que dans les comic-books, le réalisateur Rudolph Cartier détourne l’ultime arme secrète du troisième Reich de sa fonction première. « Un V2 » s’amuse Nigel Kneale. Un stock-shot de V2, plus exactement, les effets spéciaux n’étant pas envisageables dans un programme au budget si réduit. « J’ai écrit The Quatermass Experiment en fonction de leur absence ! » explique le scénariste. Ou, plutôt, leur quasi-absence, car Nigel Kneale va devoir mettre la main à la pâte, au sens propre : « Quand j’ai demandé à la production : « Puis-je aider ? », on m’a répondu : « Tu l’as écrit, maintenant fabrique-le. ». ». Nigel Kneale parle essentiellement du dénouement situé à Westminster Abbey, l’une des mains de l’astronaute mutant laissant supposer qu’il arrive au stade ultime de sa mutation. « C’était en réalité ma propre main, recouverte d’une paire de gants de caoutchouc sur lesquels j’avais collé des plumes, des végétaux… » La définition des images télévisées étant alors médiocre, le trucage fait illusion. Mieux, il impressionne des spectateurs déjà captivés. « Je crois que le style narratif que j’ai choisi y a été pour beaucoup » analyse Nigel Kneale. « Un tempo rapide, rythmé, en rupture avec tout ce qui se pratiquait alors à la télévision. Beaucoup plus cinématographique que les autres séries et dramatiques d’alors. »
The Quatermass Experiment est encore présent dans toutes les mémoires lorsque son auteur interroge son producteur sur l’éventualité d’en tirer un long-métrage de cinéma. C’est dans cette perspective qu’il rencontre certains réalisateurs-producteurs de l’époque, comme Sidney Gilliat, Frank Launder, Roy Boulting… Mais de son côté, le responsable des ventes de la BBC conclut un accord avec un studio alors peu connu hors des limites du Royaume-Uni : Hammer Films. Le scénariste ne sera mis au courant qu’après signature du contrat. Naturellement, il s’interroge sur les droits de son scénario, son implication dans cette adaptation, ses royalties… « On m’a répondu que je n’avais aucun droit dessus, que le projet ne me concernait pas. Quelle déception. Visiblement, je n’étais pas assez important pour être associé aux pourparlers. Moi qui pensais que les responsables de la chaîne étaient des gentlemen ! » Plus tard, la BBC versera à l’auteur une prime de 80 livres. Une somme dérisoire qu’il considère « insultante ».

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