Légendes : Michael Gough
Pourquoi suis-je devenu comédien ? Parce que, pour le devenir, il n’y avait aucun examen à passer. Il suffisait de dire « Je suis un comédien ! » pour l’être. » Voilà la réponse que donne Michael Gough quand on se renseigne sur l’origine de sa vocation. Ce qui n’aurait pas été le cas s’il avait persisté à suivre le cursus du Collège de Wye, dans le Kent, établissement tourné vers l’enseignement de l’agronomie. Cependant, le jeune homme n’a guère envie de marcher dans les pas de son père, planteur de caoutchouc à Kuala Lumpur. C’est d’ailleurs là, plus exactement dans la localité de Malaya, que Michael Gough vient au monde, le 23 novembre 1917.
Démissionnaire des bancs du Wye College, le jeune homme suit dès ses 19 ans les cours de l’école du Old Vic de Londres, une institution de la scène britannique depuis les années 1820. « J’aurais peut-être suivi l’orientation professionnelle fixée par mes parents si je n’avais pas vu Rex Harrison au théâtre dans la pièce Sailors Don’t Care » explique-t-il. « J’ai aussitôt cherché à l’imiter ! »
Au Old Vic, Michael Gough assimile les bases de l’art dramatique et y fait ses débuts dans de petits rôles. Il brûle ensuite les planches des théâtres de Liverpool, Oxford et Londres, et apparaît même sur la scène de Broadway dans Love of Women, pièce qui ne dure que le temps de quelques représentations. Une ascension rapide. D’aucuns soutiennent qu’il aurait profité de sa ressemblance avec Stephen Haggard, un jeune comédien tué pendant la Seconde Guerre mondiale. De son côté, Michael Gough refuse de combattre. Bien que l’ordre de mobilisation générale l’oblige à porter l’uniforme, il sert dans une unité dédiée à la logistique des Pioneer Corps.
Au terme du conflit, Michael Gough revient au théâtre et y restera fidèle jusqu’à la fin de sa carrière, animant au fil des années les oeuvres de Shakespeare (Hamlet, Le Roi Lear), Ionesco (Rhinocéros), Pirandello (Six personnages en quête d’auteur) Jean-Paul Sartre (Crime passionnel), Tchekhov, Noël Coward, Daphne du Maurier, Henrik Ibsen, Bertolt Brecht… Un impressionnant palmarès récompensé par un Tony Award pour Bedroom Farce et une citation pour Breaking the Code. Lors d’une édition de la cérémonie retransmise à la télévision, un certain Tim Burton se trouve devant son poste. Voyant Michael Gough récupérer son trophée, il s’écrie : « Ce type, je l’ai déjà vu dans tous ces mauvais films d’horreur anglais ! Il est parfait. J’ai enfin mon Alfred. ». Soit Alfred Pennyworth, le très stylé majordome de Bruce Wayne/Michael Keaton dans le premier Batman, rôle que le comédien tiendra ensuite dans Batman, le défi, Batman Forever puis Batman & Robin.
UN PRODUCTEUR FIDÈLE
Quand il parle de « mauvais films d’horreur », le cinéaste fait surtout référence à ceux que Michael Gough tourne pour le compte du producteur Herman Cohen une vingtaine d’années plus tôt. Herman Cohen qui, avec l’acteur, tient « un Vincent Price en moins cher », soit une horror star à moindres frais. Il l’engage d’abord pour Crimes au musée des horreurs, d’ailleurs refusé par Vincent Price. « Je n’avais pas les moyens de me payer ses services. Pas davantage que ceux d’Orson Welles, auquel j’avais aussi pensé » avoue le petit nabab. « J’étais à la recherche de quelqu’un d’autre lorsque j’ai remarqué cet acteur dans une pièce. Il avait l’allure sinistre requise pour le rôle. » À moins que Herman Cohen n’ait repéré Michael Gough entre Christopher Lee et Peter Cushing dans Le Cauchemar de Dracula, comme il le prétend parfois… Quoi qu’il en soit, le comédien accepte d’incarner Edmond Bancroft, célèbre chroniqueur judiciaire et propriétaire d’un petit musée des horreurs à base d’instruments de torture. La première d’une association de cinq films ! « Je garde de Herman Cohen le souvenir d’un entrepreneur de spectacle à l’ancienne » se souvient Michael Gough. « Il se comportait comme tel, toujours à en faire un peu trop, à considérer que son opinion constituait la meilleure des réponses. C’était le patron et il ne manquait jamais une occasion de le prouver. Il débarquait parfois à l’improviste sur le plateau de Crimes au musée des horreurs et prenait aussitôt le contrôle des opérations. Il n’hésitait jamais à dire au réalisateur, Arthur Crabtree, comment il devait tourner telle ou telle scène. Il indiquait aussi aux comédiens comment ils devaient jouer. Je me souviens que, à une reprise, il a exigé que l’on repeigne les murs d’un décor dans un bleu ou un vert très agressif. Herman Cohen pesait de tout son poids sur les films qu’il produisait, et ce n’était généralement pas à leur avantage. » C’est dire que le producteur souligne un peu trop les effets, dramatise à outrance, incite les interprètes au cabotinage… Michael Gough, toutefois, reste imperturbablement stoïque dans cette série B qui fonctionne si bien que le Cohen le réengage en 1961 pour Konga, avatar tardif de King Kong. L’histoire du botaniste Charles Decker qui, outre des plantes carnivores, élève un bébé chimpanzé auquel il injecte un sérum de croissance ramené d’Afrique. De plus en plus belliqueux, le primate en bas âge grossit démesurément et échappe au contrôle de son maître, qui comptait l’utiliser pour régler quelques vieux comptes… « À l’origine, le film devait s’appeler I Was a Teenage Gorilla, mais, devant la prolifération des teenagers au cinéma, Herman Cohen a pris la décision de changer la nature du projet. Mes enfants m’en ont longtemps voulu de l’avoir tourné car, à l’école, leurs camarades n’arrêtaient pas de les charrier à ce sujet. Il leur a fallu plusieurs années pour me pardonner cette erreur, ces dialogues ineptes. »
Avec Les Fauves meurtriers, Herman Cohen offre à Michael Gough un projet mieux ficelé, animé par d’authentiques animaux (des lions et tigres, un éléphant, des chimpanzés…), exception faite d’un faux gorille qui n’est pas sans évoquer Konga. L’acteur y incarne Michael Conrad, directeur cinglé d’une ménagerie de Los Angeles dont les fauves lui servent à se venger de ses concitoyens. Un script qui semble élaboré dans le seul but de recycler tous les ingrédients de Crimes au musée des horreurs. Michael Gough préfère en rire, pas moins heureux de l’expérience. « La meilleure que j’ai connue avec Herman Cohen » déclare-t-il. « Avant le tournage, j’ai passé du temps avec tous les animaux du film. Ils devaient s’habituer à ma présence, me reconnaître, s’imprégner de mon odeur. Absolument nécessaire car le scénario prévoyait que j’entre dans la cage aux lions et que je mette ma main dans la gueule de l’un d’eux. Même si le dresseur était toujours prêt à intervenir, j’ai pris des risques énormes, notamment au moment où, Conrad jouant de l’orgue, tous ces gros chats arrivent et se couchent autour de lui, comme pour l’écouter. J’étais complètement à leur merci et ils auraient certainement pu me tailler en pièces avant que quiconque ne puisse réagir. Peut-être ont-ils flairé que je les aimais sincèrement et que les voir en cage me consternait. Je garde une profonde affection pour Les Fauves meurtriers. » Et ce, en dépit d’un rôle d’esthète décadent qu’il ne connaît que trop. « Oui, je dois bien le reconnaître : Herman Cohen m’a souvent réservé des personnages très proches les uns des autres, taillés dans une même étoffe. » Le Decker de Konga et le Bancroft de Crimes au musée des horreurs partagent même un singulier point commun : la pratique de l’hypnose. Il y a cependant des exceptions, tel Dorando dans Le Cercle de sang, directeur associé d’un cirque que dirige d’une main de fer la cougar Monica Rivers, interprétée par Joan Crawford. Dorando, victime inaugurale d’une longue série de meurtres au centre d’un thriller d’épouvante en mode slasher avant l’heure. Une prestation rapide, Michael Gough quittant prématurément l’histoire [...]
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