Légendes : Margot Kidder
La nouvelle tombe le 14 mai 2018 : Margot Kidder, la Loïs Lane des quatre Superman avec Christopher Reeve, est décédée la veille « paisiblement dans son sommeil », dans sa maison de Livingston, Montana. Elle avait 69 ans. Officiellement, une disparition pour cause « naturelle ». Trois mois plus tard, Maggie McGuane, la fille de la défunte, déclare à l’Associated Press qu’il s’agit là de propos mensongers, sa mère ayant succombé aux conséquences « de l’absorption d’un cocktail volontaire de drogue et d’alcool. » Un suicide. « C’est un soulagement que la vérité soit révélée » ajoute-t-elle. « C’est important d’être transparent et honnête pour qu’aucun nuage de honte n’obscurcisse sa mort. » Ce n’est un secret pour personne : depuis longtemps déjà, Margot Kidder souffrait de troubles bipolaires. Un état qu’elle ne dissimulait plus ; elle en avait même fait un combat, participant à des conférences et des débats médiatisés. Courageux de la part d’une personnalité publique qui, par ailleurs, s’oppose à la guerre en Irak, manifeste devant la Maison-Blanche contre la construction d’un oléoduc avec une virulence telle qu’elle est embarquée par la police… Un fort tempérament doublé, depuis l’enfance, d’une instabilité chronique.
UN SACRÉ CULOT
Née le 17 octobre 1948 à Yellowknife, dans le nord du Canada, Margot Kidder, Margaret Ruth Kidder à l’état civil, est la fille d’une professeure d’Histoire et d’un ingénieur minier expert en explosifs. Rien dans la profession de ses parents ne la prédestine donc à embrasser la carrière de comédienne. Deuxième d’une famille de cinq enfants, elle endure pendant ses jeunes années un quotidien plutôt morose, les fréquents déménagements qu’induit la profession de son père (douze villes et autant d’écoles en 11 ans) favorisant de fréquentes sautes d’humeur. Comprenant que ce mode de vie lui pèse plus encore qu’à ses frères et soeurs et qu’il peut avoir joué un rôle dans une tentative de suicide à l’âge de 14 ans, ses parents l’inscrivent dans un internat, établissement qui lui permet d’assouvir sa passion naissante pour l’art dramatique, notamment en incarnant Juliette dans une adaptation de Roméo et Juliette. « Un jour, durant mon adolescence, quelqu’un m’a montré une revue de cinéma » s’amuse-t-elle. « Cela a changé ma vie. En en feuilletant les pages, je me suis dit : « Je serai moi aussi une star. ». » Non pas une comédienne, mais une star ! « Une perspective tout de même plus réjouissante que de croupir dans une ville minière canadienne. Un peu plus tard, j’ai revu mes ambitions à la baisse : plus modestement, je ne voulais que jouer la comédie ! » Une décision qu’elle prend définitivement en assistant à une représentation à New York de la comédie musicale Bye Bye Birdie. « Tout le monde prenait mes projets d’avenir à la rigolade » pointe-t-elle. « J’étais cependant déterminée à ne pas vivre la vie de ma mère, à m’installer dans une petite ville, à me marier et à faire des bébés. Voilà ce qui me pendait au nez. Adolescente, je me projetais dans tous les livres que je lisais. Quand ils étaient signés Henry Miller ou Thomas Wolfe, je devenais Henry Miller et Thomas Wolfe. J’aspirais à croquer à pleines dents dans tout ce que l’existence pouvait offrir. J’avais les yeux plus gros que le ventre. » Et de l’aplomb aussi, motivé par la volonté d’échapper à sa condition. « J’ai écrit à un agent artistique américain connu pour s’occuper d’artistes canadiens » assure-t-elle. « Il m’a répondu : « Je ne sais pas qui vous êtes et je crois vous ne vivez manifestement pas à Los Angeles ! ». J’ai pris ça comme une invitation à venir en Californie. J’ai emprunté un peu d’argent pour un billet d’avion. Arrivée à Los Angeles, j’ai rencontré l’agent. Visiblement, je tombais à pic puisque, immédiatement, il m’a présentée à Norman Jewison, alors en pleine recherche d’interprètes pour Gaily, Gaily. J’ai eu le rôle. » Celui d’Adeline, l’une des pensionnaires d’un bordel de Chicago. Le film, « un truc vraiment très moche » selon elle, fait un flop. En dépit de ces fulgurants débuts hollywoodiens (tant d’autres attendent des années qu’on leur donne leur chance), cet échec force Margot Kidder à reprendre la route du Canada. « Los Angeles me déplaisait souverainement » se justifie-t-elle. Désormais établie à Toronto, mannequin à ses heures, elle se fait les griffes sur des épisodes de séries TV canadiennes (Wojeck, McQueen, Corwin). Étape suivante : donner la réplique à Gene Wilder dans Quackser Fortune Has a Cousin in the Bronx, une obscure comédie de Waris Hussein dans laquelle elle incarne une étudiante américaine venue en Irlande dans le cadre d’un échange universitaire. En deuxième position au générique, Margot Kidder porte un jugement sévère sur sa prestation : « Je n’étais vraiment pas bonne et, doutant de moi, j’ai préféré abandonner le métier. » Elle décide de se reconvertir dans le montage. « Je me suis lancée en tant que stagiaire, au Canada. Ça n’a pas bien marché et, à court d’argent, je suis repartie en Californie. En tant qu’apprentie monteuse, j’ai travaillé sur Brewster McCloud de Robert Altman. Il m’a bien proposé de jouer dedans, mais je lui ai rétorqué que je préférais le montage. » Cela ne durera pas. Pour son come-back devant les caméras, Margot Kidder ne s’en sort pas si mal, essentiellement à la télévision, dans des téléfilms (le western Chasseur de primes) ou des séries, en particulier les 24 épisodes de Nichols, dans lesquels elle incarne la petite amie du shérif à moto joué par James Garner. Une vraie exposition nationale.
COUP DOUBLE
Au début des années 1970, Margot Kidder rencontre la comédienne Jennifer Salt alors qu’elles passent toutes deux un casting pour Fat City de John Huston. Elles en repartent bredouilles mais se lient d’amitié et s’installent bientôt ensemble dans une petite maison au sommet d’une plage du nord de Malibu. « La fameuse maison ! » s’exclame Margot Kidder. Car pendant les deux ans durant lesquels elles y habitent, les deux copines voient défiler Martin Scorsese, Brian De Palma, Steven Spielberg, Susan Sarandon, Paul Schrader, Walter Hill, Richard Dreyfuss, John Milius… Une nuée d’artistes du Nouvel Hollywood, attirés par les fêtes et soirées chaudes qui s’y improvisent. Certains y séjournent plus longuement que d’autres, Brian De Palma en particulier qui, rendant visite à son amie Jennifer Salt (qui apparaît dans ses trois premiers longs-métrages), tombe sous le charme de Margot Kidder. Réciproque. Les trois se retrouveront bientôt au générique de Soeurs de sang, où d’anciennes soeurs siamoises traumatisées par leur séparation sombrent dans la démence homicide. « Brian m’a avoué qu’il avait imaginé les personnages des jumelles, Danielle Breton et Dominique Blanchion, spécialement à mon intention » déclare Margot Kidder. « J’ai éclaté de rire et je lui ai répondu : « Voyons, Brian, tu crois que c’est vraiment gentil de me destiner le rôle d’une fille qui émascule des hommes après leur avoir fait l’amour ? ». N’empêche que j’ai apprécié l’attention, d’autant qu’il m’en a parlé pour la première fois parlé un 25 décembre. Je me souviens très bien de lui me tendant le scénario avec un grand sourire. « Tiens, voilà ton cadeau de Noël » m’a-t-il dit. » Margot Kidder n’attend pas longtemps pour dévorer le script, fascinée. « Au départ, le personnage ne portait pas le même nom puisqu’elle était d’origine suédoise. Cela m’a posé un sérieux problème ; malgré mes tentatives et mon acharnement, jamais je n’ai réussi à adopter le bon accent. En désespoir de cause, j’ai suggéré ceci à Brian : « Accepterais-tu que ces filles soient françaises ? ». Cela pouvait considérablement me faciliter la tâche car, ayant passé une partie de mon adolescence au Québec, j’ai côtoyé beaucoup de gens qui parlaient le français ! Après un bref moment de réflexion, il m’a donné son accord. Peu lui importait la nationalité des soeurs à partir du moment où elles étaient étrangères. » À ce stade, il n’est pas encore question d’argent entre le réalisateur et son interprète/petite amie. Jugeant très léger le montant de son cachet, Margot Kidder s’adresse directement au producteur Edward R. Pressman dans l’espoir d’une rallonge. Pas question cependant d’être trop gourmande sachant que celui-ci finance le f [...]
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