Légendes : José Mojica Marins
Dans toute l’Amérique latine, c’est une star, plus connue sous le patronyme de Zé do Caixão, Zé du Cercueil. Aux États-Unis, on l’appelle Coffin Joe. En France, en revanche, le Brésilien José Mojica Marins demeure pratiquement inconnu, dans la mesure où aucun de ses films n’y a été diffusé, tant au cinéma qu’en VHS ou DVD… Et à la télévision ? On ne l’y programmera que très rarement : en 2004, sur TPS CinéCulte qui lui consacre une soirée avec À minuit, je possèderai ton âme et L’Éveil de la bête, longs-métrages suivis du documentaire Coffin Joe, le monde étrange de José Mojica Marins, ainsi que, plus tard, Embodiment of Evil sur l’une des chaînes du bouquet Canal+. Heureusement, régulièrement, des manifestations culturelles l’invitent. Comme la troisième Convention Française du Cinéma Fantastique en 1974, L’Étrange Festival en 1999, les rencontres Cinémas d’Amérique Latine de Toulouse en 2002…
José Mojica Marins, c’est d’abord ce personnage qui tient à la fois du Mandrake des bédés pour le look, du Professeur Choron pour son goût de la controverse et de la provocation, ainsi que du Tall Man des Phantasm pour le halo de mystère et de macabre qui l’entoure.
Haut de forme vissé sur la tête, cape, costume noir, médaillon et bague : Zé du Cercueil affiche clairement sa profession de fossoyeur, dont il enrichit la panoplie d’une barbe abondante et d’ongles dont il ne contrôlera pas la croissance durant des lustres. « Pendant 44 ans ! » précise-t-il. « Ils ont beaucoup contribué à ma réputation, au bien-être de ma famille, à l’éducation de mes sept enfants. »
Avec le temps, cependant, José Mojica Marins se lasse de ses excès de kératine. Exception faite des pouces, il présentera par la suite des mains ordinaires. Ce qui ne l’empêchera pas de rester dans la peau de Zé du Cercueil jusqu’à la fin de ses jours. « Zé est né d’un cauchemar que j’ai fait une nuit de 1963 » explique-t-il souvent. « Un type en noir m’y emportait vers un précipice. J’étais tombé malade et je délirais sous l’effet d’une forte fièvre. Je me suis souvenu de l’accoutrement de cet homme ; je l’ai repris afin de conjurer le trépas qu’il m’avait promis. »
UNE CAMÉRA AU PIED DU SAPIN
Né à São Paulo le 13 mars 1936, José Mojica Marins est le fils d’un immigré espagnol, ancien toréador qui, dans son pays d’adoption, essaie de prospérer dans le business de la corrida. Mauvaise pioche : les défenseurs locaux de la cause animale lui tombent dessus, le contraignant à renoncer à poursuivre cette activité. « C’est pour cette raison qu’il est ensuite devenu gérant d’une salle de cinéma » explique son unique rejeton. « Il programmait une grande variété de films, notamment d’épouvante. Dans cette salle, j’ai non seulement vu Le Kid de Charlie Chaplin, mais aussi la version du Fantôme de l’Opéra avec Lon Chaney, les Frankenstein de Boris Karloff, ainsi que toutes les productions Universal des années 1930 et 40, et des documentaires d’éducation sexuelle. Je les regardais depuis la cabine de projection, tous ou presque étant interdit aux enfants. » À moins de dix ans, le gamin découvre donc ces grands classiques qui, de son propre aveu, le fascinent, tout en lui flanquant une frousse terrible. « Plus que tout, ils exerçaient sur moi un grand pouvoir d’attraction. Souvent, je me demandais comment on les fabriquait, qui les tournait. » Tout naturellement, le gosse trépigne à l’idée de passer de la théorie à la pratique. Pour l’heure, faute de mieux, il monte de petites pièces dans le cadre de son école, un établissement catholique dont les enseignants, surtout des prêtres, ne lui permettent pas de s’écarter des sentiers battus. C’est Les Contes de ma mère l’Oye et pas autre chose… Terriblement frustrant pour celui qui continue à s’émerveiller des turpitudes des vampires, loups-garous, bossus, savants fous et autres monstres. « Désolé de me voir aussi malheureux, mon père m’a offert à Noël la caméra 8 mm que je demandais au père Noël, plutôt que le vélo qu’il avait en tête. Une bénédiction ! Aussitôt, je me suis mis à tester des effets spéciaux. Je me livrais à des expériences avec des copains du quartier. »
Le fantastique, José Mojica Marins le côtoie parfois au quotidien, notamment lors des funérailles d’un marchand de pommes de terre. « Un chic type » le décrit-il. « Il donnait des friandises aux enfants, conseillait toujours un remède aux personnes malades… Un jour, il est tombé raide mort. Du moins le pensait-on. On l’a allongé dans un cercueil pour que ses proches et sa famille le veillent. Je me trouvais là quand il s’est relevé. Il n’était pas mort, mais uniquement frappé d’une catalepsie. Bien sûr, sa femme et les autres ont remercié le ciel que leurs prières aient été entendues. En revanche, dès le lendemain, tous ont changé d’attitude vis-à-vis de lui ; il est devenu un paria, un maudit qui aurait pactisé avec le diable. Les gens l’évitaient. Sa femme l’a quitté, ses enfants le fuyaient… Contraint de quitter la ville, il est ensuite mort – vraiment mort cette fois – dans un hôpital psychiatrique. Cette histoire m’a poussé à réfléchir sur la religion, l’hypocrisie des fidèles. Elle a contribué à forger ma personnalité. »
Adolescent, José Mojica Marins n’en est pas encore à jeter encensoir, mitre et livres de cantiques aux orties en réaction à une piété aveugle, conservatrice. Sa priorité : le cinéma. « À partir de douze ans, équipé d’une caméra 16 mm, j’ai réalisé 17 films en trois ans, toujours avec les mêmes amis. Il y avait de tout : de la comédie, du mélodrame, de l’aventure et du fantastique. Comme ils étaient muets, les comédiens se doublaient eux-mêmes dans les salles de São Paulo, à l’aide de haut-parleurs. On ramassait toujours assez d’argent pour produire le suivant. Mon père a montré l’un de ces films au prêtre du coin. » L’histoire d’extraterrestres qui, dans des soucoupes volantes aux allures de cercueil, débarquent sur Terre dans le but de sélectionner les coeurs les plus purs et les escorter vers une autre dimension. « Le curé a réagi en affirmant que mon cas tenait de la psychiatrie et qu’un séjour dans un sanatorium me ferait le plus grand bien. »
À partir de 1942 et durant une dizaine d’années, José Mojica Marins illustrera bien d’autres scripts tout aussi délirants, toujours en 16 mm. Des courts et moyens-métrages. Le premier (A Mágica do Mágico) repose sur un gueux qui, grâce à un livre de magie et au fantôme que ce dernier recèle, gagne beaucoup d’argent avant de tout perdre. Suivent notamment le cas d’un fossoyeur qui dépouille les cadavres de leurs bijoux pour les donner à sa fille, le tableau d’une citée perdue amazonienne dont les illustres habitants (Jules César, Hercule, Samson…) se dressent contre le tyran local, le cas d’une quadragénaire vouant une passion charnelle à un jeune homme qu’elle ignore être son fils… Des contes « moraux » qui, compilés, auraient pu former une sorte de Quatrième dimension cruelle, sardonique.
DES DÉBUTS DANS LA TOURMENTE
José Mojica Marins aborde le long-métrage en 1953 avec Sentença de Deus. Un projet inachevé qui devait raconter les malheurs survenus à huit personnes décédées. « Des prêtres m’avaient averti que j’allais au-devant de gros ennuis avec ce film, qu’il était maudit » se souvient le réalisateur. « Je n’ai pas tenu compte de leur avis. J’ai pu constater qu’ils disaient vrai. Une actrice est morte de congestion dans sa piscine. Sa remplaçante a succombé à la tuberculose. La troisième a été amputée des deux jambes à la suite d’un accident. Il valait mieux que j’arrête. Quand j’ai essayé de transformer le film en série TV, le producteur est mort à son tour. » La poisse s’abat aussi, dès l’année suivante, sur le deuxième long-métrage que le jeune cinéaste envisage, No Auge do Desespero, un ouragan emportant les décors et l’équipement. Au terme de plusieurs années de tentatives avortées, José Mojica Marins parvient enfin à mener un projet à terme : A Sina do Aventureiro, un western en Cinémascope sur fond de rédemption d’un bandit qui, pour ne pas briser le voeu de ne plus toucher à une [...]
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