Légendes : John Gilling

Auprès de Terence Fisher et de Roy Ward Baker, John Gilling compte parmi les meilleurs réalisateurs de la Hammer. L’un des plus doués, mais aussi le plus rebelle, le plus rétif à se plier à la volonté de ses producteurs…
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Le chemin qui conduit John Gilling au cinéma est tortueux. Né le 29 mai 1912 à Londres, il quitte l’école à quinze ans, puis travaille pendant trois ans en tant que rond de cuir dans les bureaux de l’Asiatic Petroleum Company, qu’il quitte pour s’installer pendant trois ans et demi aux États-Unis, plus exactement à Los Angeles. Là, il joint les deux bouts comme figurant de cinéma, doublure d’une star de deuxième catégorie, manager d’un magasin de musique, employé de parking, barman (pendant la Prohibition !), plongeur dans un restaurant, laveur de vitres, chanteur, acteur de troisième plan et même boxeur, « brièvement et souvent à l’horizontale » de son propre aveu. À l’évidence, le rêve américain ne lui sourit guère. « J’ai tout de même vendu le synopsis d’un film d’horreur, Dracula’s Blood, pour 100 dollars, mais le producteur a brutalement disparu » révèle-t-il des années plus tard.
Retour au pays en 1933. Sous l’aile de son oncle, le réalisateur William P. Kellino, John Gilling s’immisce dans le monde du cinéma, second assistant d’abord, puis premier, notamment d’Alfred Hitchcock sur Une femme disparaît… Et aussi de Carol Reed, Marcel Varnel, Brian Desmond Hurst, toujours dans le cadre des prestigieux studios de Gainsborough où il se heurte à Denison Clift sur The Mystery of the Marie Celeste. « Un réalisateur incompétent qui m’a rendu responsable de ses erreurs. Furieux, j’ai quitté le plateau. » L’expression d’un fort tempérament qui n’ira qu’en s’affirmant.

PREMIERS CONTACTS 
La Deuxième Guerre mondiale met la carrière cinématographique de John Gilling entre parenthèses. Sous-lieutenant, il sert dans la Royal Navy, sur des destroyers et des chalutiers aménagés en dragueurs de mines. « En 1946, j’ai écrit Black Memory, un scénario policier qui a trouvé preneur » poursuit l’intéressé. « Assez mauvais, le film a toutefois tenu l’affiche un moment. Il y a ensuite eu A Gunman Has Escaped, un thriller qui a rencontré un certain succès. On m’a alors offert d’écrire House of Darkness », rencontre d’un jeune homme avec le fantôme d’un homme assassiné trois ans plus tôt. Un cas de maison hantée on ne peut plus classique. « En réalité, j’ai été appelé par le producteur alors que le tournage était sur le point de commencer » précise-t-il. « Le réalisateur lui demandait d’urgence une réécriture du script. Mais pas question de changer les personnages dans la mesure où les acteurs avaient déjà signé leur contrat. Pas simple, mais j’ai fait le travail, modifiant plus ou moins la nature des rôles, ceci sans les supprimer. » 
En cette année 1948, John Gilling inaugure également – et modestement – sa carrière de réalisateur avec Escape from Broadmoor, un moyen-métrage de 38 minutes. Proche de House of Darkness, son scénario s’articule autour de la traditionnelle vengeance d’outre-tombe. « Je l’ai vendu au producteur Harry Reynolds sous réserve que je le mette moi-même en images. Une condition qu’il n’a guère appréciée. J’ai donc repris mon manuscrit, inquiet qu’il me claque la porte au nez. Une semaine plus tard, le téléphone sonnait. J’ai entendu : « Espèce d’enfoiré, tu as gagné. ». Ce procédé à la limite du chantage m’a permis d’arracher mon passage à la réalisation. J’ai ainsi accédé à ce que je voulais : écrire et réaliser mes films. » Après Escape from Broadmoor suivront les policiers A Matter of Murder, No Trace, The Quiet Woman et The Frightened Man.

VAMPIRE À TOUT PRIX
John Gilling affirme un peu plus son penchant pour le fantastique dès 1952, par la porte dérobée du pastiche à deux sous. Old Mother Riley Meets the Vampire est une parodie qu’il tourne pour la liberté qu’elle lui procure. « J’ai accepté parce que son distributeur, George Minter, ne pouvait, selon les règles syndicales, en être en même temps le producteur. Il m’a par conséquent offert de produire et de réaliser le film. Non pas que je sois un bon producteur, mais la perspective de n’avoir personne pour me donner des ordres et m’indiquer comment tourner telle ou telle scène m’a convaincu d’y aller ! » En résulte une farce dans laquelle une grand-mère de choc (la Mother Riley du titre, incarnée par un homme, Arthur Lucan !) contrecarre les plans diaboliques de Van Housen, méchant mégalomane qui voudrait, grâce aux vertus de l’uranium, lever une armée de robots humains capables de marcher sur le monde…
Contre 5000 dollars, Bela Lugosi incarne ce vilain dont la ressemblance avec son Dracula du début des années 30 est savamment entretenue pour des raisons commerciales. « On m’avait annoncé qu’il me ferait vivre un enfer. Il n’en a rien été. Bela s’est montré très coopératif, charmant avec tout le monde. Malgré son sens aigu de l’humour, il s’efforçait de croire qu’il était réellement un vampire. Il dormait même dans un cercueil. Il s’est très bien entendu avec Arthur Lucan, au point qu’ils ont ensemble improvisé plusieurs gags. Certains ont même été suggérés par des techniciens, ou le balayeur du plateau ! Pas un grand film, mais le public l’a aimé. Au diable les critiques s’ils ne partagent pas son avis ! » D’ailleurs, ces dernières ne manquent pas de tirer à boulets rouges sur Old Mother Riley Meets the Vampire et sa version américaine qui, titrée Vampire Over London, présente un nouveau montage, éliminant un maximum de scènes avec Arthur Lucan pour se concentrer sur Bela Lugosi. « George Minter m’a proposé de tourner de nouvelles séquences. Non seulement j’étais trop occupé pour le faire, mais cela ne m’intéressait pas de participer à pareille entreprise. » Mutilé, Old Mother Rileyaurait pu l’être davantage encore si le producteur Alex Gordon était parvenu à ses fins : convoquer Bela Lugosi pour y ajouter des scènes inédites, les coller vaille que vaille aux premières et appeler tout ça King Robot. Un bidouillage que seule empêche la santé défaillante du comédien.

UN PIED DANS LA SF
Au terme d’une longue salve de neuf films policiers, John Gilling touche pour la première fois à un genre qui suscite aussitôt son intérêt : la science-fiction. Le projet de The Gamma People nait aux États-Unis, où il mord la poussière après la consignation de sa vedette désignée, John Garfield, sur la liste noire du maccarthysme. Le réalisateur initialement prévu, Robert Aldrich, ayant déclaré forfait, le film tombe cinq ans plus tard dans l’escarcelle de John Gilling par le biais de Warwick Films. À lui le redoutable honneur d’illustrer ce récit rocambolesque où, dans un pays imaginaire d’Europe centrale, un dictateur doublé d’un savant fou fabrique des enfants surdoués et des esclaves zombifiés grâce à de l’uranium. « Certaines situations prêtaient franchement à rire, c’est pourquoi j’ai introduit un certain humour dans le film. Je crois cependant avoir échoué à y mêler les genres, la comédie atténuant la portée du drame, et inversement. J’aurais dû catégoriquement m’orienter vers le drame. The Gamma People n’a pas été une expérience positive. Déjà parce que le producteur, Irving Allen, avait un caractère difficile. Ensuite parce que l’acteur principal, Paul Douglas, d’ailleurs choisi par Allen, était bien trop âgé pour son rôle et qu’il ne s’entendait pas du tout avec sa partenaire, Eva Bartok, qui avait l’âge d’être sa petite-fille ! Malgré tout, The Gamma People m’a transmis le virus de la science-fiction. J’ai longtemps attendu avant d’y revenir. » Ce qui ne se produira que neuf ans plus tard, en 1965, par le biais de The Night Caller, cas d’intrusion extraterrestre où un alien débarque sur terre pour kidnapper les femmes nécessaires au repeuplement de sa planète. « Un petit film sans importance, mais le résultat n’est pas si mal, et il a été plutôt bien reçu. » Effectivement car, en dépit d’un script propice au comique involontaire, John Gilling fait souvent les bons choix, préférant notamment jouer de la voix du visiteur de Ganymède plutôt que de l’exposer à l’image. Ce qui rend certaines séquences plus effrayantes qu’elles ne l’auraient été entre les mains d’un réalisateur moins imaginatif. 

CHAIRS FRAÎCHES 
Entre 1956 et 1965, années respectives de The Gamma People et de The Night Caller, John Gilling se taille une solide réputation d’efficace artisan, certes rompu au polar (il en ajoute cinq à son tableau de chasse), mais également capable de s’adapter à l’a [...]

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