Légendes : John A. Russo
La Nuit des morts-vivants ne naît pas de l’inspiration d’un seul homme, aussi talentueux soit-il, mais d’un collectif de dix personnes réunies sous l’entité Image Ten, spécialement créée pour l’occasion. Pour l’essentiel, des personnes rencontrées par Romero alors qu’il travaille à la confection à la chaîne de spots publicitaires et de films institutionnels produits par Latent Image. Parmi ces collaborateurs, un certain John A. Russo.
Russo et Romero se rencontrent à Pittsburgh un beau jour de 1957, mis en relation par un ami commun, Rudy Ricci. « Rudy et moi nous connaissions depuis le campus » explique Russo. « Nous avons même tourné nos premiers films ensemble, des courts-métrages 8 mm qui racontaient des histoires de bandes de jeunes un peu turbulents. De l’amateurisme pur. Nous n’en rêvions pas moins de devenir les prochains James Dean et Sal Mineo après être apparus dans une copie de La Fureur de vivre ! »
John A. Russo rejoint Latent Image au tout début des années 1960 après deux ans sous les drapeaux, renonçant par conséquent à une carrière dans l’enseignement et à un certain confort matériel. « Les premières années ont été les plus difficiles » commente-t-il. « Théoriquement, je devais être payé 350 dollars par mois, mais, parfois, c’était zéro. Pour maintenir Latent Image à flot, certains d’entre nous avaient pris un deuxième job. » Avec le temps, la situation s’améliore et le métier rentre, à grand renfort de publicités pour des marques de bières, de spots promotionnels pour des entreprises ou des hommes politiques en campagne. Pas question de parler de prospérité cependant, la situation de l’entreprise restant précaire, liée au bon vouloir d’une clientèle très sollicitée par la concurrence.
NAISSANCE D’UN MYTHE
En dépit de ces difficultés, John A. Russo et George Romero s’accordent à merveille. Au sein du groupe, ils se montrent les plus créatifs. « Nous passions une grande partie de notre temps ensemble, dans nos locaux » se rappelle Russo. « On travaillait énormément, allant jusqu’à dormir à même le sol plutôt que de rentrer chez nous. Pas bien gênant car, à l’époque, nous étions célibataires. Comme moi, George Romero disposait d’une machine à écrire dans la salle de montage, dont il avait fait son bureau. C’est ainsi que nous avons commencé à travailler sur les mêmes histoires », avec pour objectif un long-métrage dont les contours mettront du temps à se dessiner. Les deux hommes commencent par tisser une histoire entre Enid Blyton (romancière créatrice de Oui-Oui et du Club des cinq) et la série B de science-fiction des années 1950. Il y est question de gamins qui, dans une petite ville, font les 400 coups avec des gosses extraterrestres, les super-pouvoirs des uns faisant le bonheur des autres. « Une comédie » précise John A. Russo, qui évoque également un E.T., l’extra-terrestre avant l’heure, un Rencontres du troisième type en culottes courtes, où figure également un animal de compagnie baptisé « The Mess ». Soit « le foutoir », nom désignant une bestiole aux airs de plat de spaghettis… « Malheureusement » regrette Russo, « nous nous sommes vites rendus à l’évidence que les effets spéciaux constituaient un obstacle infranchissable. Ce n’était vraiment pas dans nos moyens. » Les compères se remettent au travail, conscients qu’ils vont devoir faire preuve d’un peu moins d’ambition pour accoucher d’un film au budget acceptable, d’autant qu’à ce stade du projet, les caisses sont désespérément vides. John Russo rebondit alors sur une autre idée : un jeune fugueur découvrant dans sa fuite un corps humain en train de rôtir sur des plaques de verre. Qui a fait le coup ? « Des extraterrestres en quête de chair humaine ! » répond-il. Nouveau faux départ. George Romero prend le relai et se charge de la mouture suivante de ce qui deviendra La Nuit des morts-vivants. John A. Russo lui donne un conseil : « Et si tu commençais l’histoire dans un cimetière ? Les cimetières, ça fait toujours peur, même dans une comédie d’Abbott et Costello ! » Suggestion retenue. En décembre 1966, George Romero revient de week-end avec un traitement d’une quarantaine de pages qui débute donc au milieu des pierres tombales. Une certaine Barbra et son frère Johnny s’y recueillent avant d’être agressés par une créature. « Dans son récit, George parlait d’une « chose », sans la définir précisément » intervient John A. Russo. « Je lui ai alors posé cette question embarrassante : « Sais-tu de quoi il en retourne exactement ? C’est qui ce type ? ». George m’a répondu : « Je l’ignore ! ». Je me suis alors souvenu de la précédente version du projet, avec ce corps humain destiné à servir de nourriture à des aliens. Et qui mieux que des morts pour manger les vivants ? George était plutôt sceptique, ça lui posait problème de montrer des gens surgissant de leur tombe, surtout en termes d’effets spéciaux. De plus, ça supposait vraiment beaucoup de figurants. J’ai suggéré cette solution : des cadavres frais, des gens récemment décédés, en provenance de la morgue par exemple. » En revanche, ni Romero ni Russo ne révèlent la genèse de cette contagion par morsure, même s’il tirent clairement leur inspiration des vampires, capables de grossir leurs rangs en ponctionnant le sang des vivants.
En dépit de cette avancée majeure, le scénario de La Nuit des morts-vivants tarde à trouver une forme définitive. Ambitieux, Romero voit grand, avec un récit divisé en trois parties : les fuyards qui se calfeutrent dans la maison, des militaires qui capturent des morts-vivants pour tenter de les domestiquer et, clou du spectacle, un affrontement entre les deux camps. « À partir de là, j’ai pris les choses en main » assure John Russo. « J’ai éliminé les deuxième et troisième parties du script pour me concentrer sur la première et la développer. Pratiquement toute l’histoire se déroule donc en un seul lieu. J’ai également imaginé comment des personnes se comporteraient dans pareille situation, certaines pouvant faire preuve de lâcheté. Ainsi est né Harry Cooper, si préoccupé de sauver ses fesses qu’il s’enferme dans la cave. » Comment George Romero réagit-il aux propos de John Russo ? Poli, sur la réserve, il ne dément rien, surtout désireux de reconnaître sa dette envers le roman Je suis une légende de Richard Matheson, d’ailleurs adapté au cinéma quelques années plus tôt. « À un moment, George a lu le script que j’étais en train d’écrire d’après nos idées respectives » continue Russo. « Il m’a avoué que quelque chose le chiffonnait, qu’il manquait une autre attaque de la maison par les morts-vivants. Nous l’avons par conséquent intégrée. Il avait raison, c’était nécessaire. » À quatre mains, les deux hommes ne cessent de modifier le script de La Nuit des morts-vivants, d’abord titré Monster Flick puis Night of Anubis. « Le rôle aujourd’hui incarné par Judith O’Dea avait à l’origine été écrit pour un homme » précise John A. Russo. « Pour apporter une note sexy au projet et employer Judith O’Dea, que nous trouvions très jolie, nous en avons fait une femme. » Une femme craintive, répondant à tous les stéréotypes de la victime, ce que regrettera toujours George Romero, d’obédience beaucoup plus féministe que son partenaire. « Nous avions également parmi les protagonistes un fossoyeur, que nous avons remplacé par un homme beaucoup plus jeune auquel nous avons donné une petite amie » signale également Russo.
Difficile, aujourd’hui, de définir exactement la contribution de John A. Russo au scénario de La Nuit des morts-vivants. « Un effort collec [...]
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