Légendes : Ishiro Honda 2ème partie

Les monstres géants ne seront pas le seul cadeau que fera Ishirô Honda à la science-fiction : entre mutants, odyssées sous-marines et un choc des mondes, sa filmographie continuera à explorer l’imaginaire, avant de s’achever sur une note mélancolique.

 

Responsable de quelques-unes des plus belles réussites du kaiju eiga, depuis le matriciel Godzilla en 1954 jusqu’à Les Envahisseurs attaquent en 1968, Ishirô Honda n’est cependant pas du genre à verser dans l’autosatisfaction. Il aurait même tendance à se juger sévèrement. « Avec Eiji Tsuburaya, mon responsable des effets spéciaux, nous avions pris l’habitude de regarder nos films ensemble et de leur donner des notes. Inévitablement, nous en venions aux mêmes questions pendant la projection : « Combien tu lui mettrais à celui-là ? Soixante-dix sur cent ? ». « Non, plutôt un petit soixante » répondais-je dans les meilleurs cas. On se remettait au travail en essayant toujours de progresser, de tirer des enseignements de chaque tournage, de chaque erreur… Sans doute qu’avec des moyens supplémentaires, mes films auraient été meilleurs en ce qui concerne les effets spéciaux. Aucun ne me satisfait pleinement. Pas même le premier Godzilla. Lorsque je le revois, je trouve que l’enchaînement des séquences ressemble parfois à du travail d’amateur. On doit garder à l’esprit qu’un film est éternel, qu’il vous survivra. Ce qui pousse à être exigeant. » Et le cinéaste l’est, bien davantage que ses collègues de la Toho. « J’en suis arrivé à m’inquiéter pour ma santé ; je perdais environ quatre kilos sur chaque tournage. Parfois, je me demandais si j’allais avoir suffisamment d’énergie pour aller jusqu’au bout. » 

RESTRICTIONS BUDGÉTAIRES 
Pourtant, avec Eiji Tsuburaya, Ishirô Honda trouve un lieutenant des plus compétents, pratiquement un copilote. « Il avait gagné ma totale confiance sur Godzilla, tant et si bien que je n’ai ensuite vu que des avantages à lui laisser les coudées franches. Au montage, il décidait lui-même des plans qui allaient figurer dans le film. » Tel celui, dans Rodan, du volatile géant supersonique qui s’écrase sur les maquettes. « Un accident ! L’un des câbles qui tenaient le comédien a lâché ! » Heureusement, à cet instant précis, la caméra tournait ! 
Ishirô Honda et Eiji Tsuburaya oeuvrent conjointement sur pas moins de 25 films. Une complémentarité parfaite pour, à l’écran, un résultat merveilleux d’invention et de poésie. Mais, en 1969, au moment de s’atteler à Godzilla’s Revenge, le second voit son état de santé se dégrader. « Ses assistants, Teisho Arikawa et Teruyoshi Nakano, possédaient suffisamment d’expérience pour que la Toho leur confie la supervision des effets spéciaux. Si Eiji Tsuburaya occupe toujours le poste au générique, c’est par marque de respect. » Est-ce en raison de cette absence qu’Ishirô Honda réalise lui-même les séquences à effets spéciaux ? Sans doute, mais le cinéaste propose une autre explication. « À l’époque, les moyens alloués aux films de monstre géant diminuaient » reconnaît-il. « Des budgets en baisse, des agendas de tournage plus courts… Nous devions faire avec. J’ai par conséquent été dans l’obligation de filmer les effets spéciaux. Godzilla’s Revenge a été d’autant plus difficile à mener que la production n’avait mis à notre disposition que des plateaux de superficie modeste. Auparavant, les trucages et le travail avec les comédiens se faisaient dans des lieux séparés. Il a désormais fallu s’organiser pour les réunir. Je dois avouer que, à partir de la fin des années 60, les films de la Toho n’ont plus bénéficié des mêmes moyens qu’autrefois. » Ce qui, à l’écran, se traduit par l’usage de stock-shots issus de précédents kaiju eiga. La fin d’une époque, d’un âge d’or que le réalisateur regrette tout en se refusant de jeter l’opprobre sur le studio. « La production agissait toujours de son mieux. Bien qu’elle décidait de tout, y compris du choix des techniciens avec lesquels j’allais travailler, elle m’écoutait, me donnait ce que je demandais, dans les limites du possible. Sur le plateau, j’étais libre, tout ayant été discuté avant, aux stades de l’écriture du scénario et du découpage. Dès que le tournage commençait, on ne discutait plus. Si, en amont, j’avais la moindre objection, je pouvais ne pas réaliser le film. Je n’ai aucune raison de me plaindre de mon employeur ! »
Peu de latitude cependant pour les réalisateurs de la Toho, même les plus reconnus comme Ishirô Honda, que Godzilla a quasiment élevé au rang de star, d’auteur. Ce qu’il n’a d’ailleurs jamais eu la prétention d’être, en dépit du cachet unique qu’il donne à ses films, d’une patte inimitable dans l’orchestration des cataclysmes. Et lorsqu’un journaliste décèle des intentions « sociales » dans sa mise en scène de la destruction systématique des cités japonaises, le cinéaste se refuse à les avouer, non sans humour. « Non, non, je ne détruis pas les villes de mon pays pour montrer à quel point la société moderne me met en colère. D’ailleurs, venant de la campagne, j’ai apprécié que Tokyo m’accueille, moi et mes frères, et nous permette de mener une existence confortable. Aucune raison que je m’en prenne à elle. Avec les monstres géants comme Godzilla, il ne peut pas en être autrement. Montrez-les sur une île piétinant quelques cabanes et vous n’intéresserez personne. Montrez-les dévastant une vaste métropole très peuplée et vous captiverez le plus grand nombre. À l’écran, une catastrophe à grande échelle fascine toujours plus qu’un petit tremblement de terre. » L’évidence, mais il fallait que ce soit dit. Ishirô Honda se justifie avec le même bon sens concernant l’art délicat de filmer des monstres : « On ne cadre pas les monstres de la même manière que des acteurs ordinaires. Si vous le faites, vous ne verrez à l’écran qu’un bonhomme dans un costume d’1m80. Pour éviter cela, vous devez multiplier les angles de prises de vues, varier les distances entre la créature et la caméra… Ce n’est pas terriblement difficile à comprendre. Ces effets spéciaux, vous pouvez même les fabriquer à domicile ! J’aborde toujours les séquences de monstre géant en m’imaginant moi-même dans la scène. » Quant à son inspiration, viendrait-elle de la bande dessinée, des mangas ? « Non, jamais ! » rétorque-t-il catégoriquement, sans s’étendre sur le sujet, sinon pour affirmer que « sa fonction consiste à trouver les meilleures solutions afin de donner vie à un script. »

L’OVERDOSE
« Je suis conscient que je tourne trop de films de monstres. C’est plus le choix de la direction de la Toho que le mien ! » confie Ishirô Honda à l’heure de faire l’inventaire des titans qu’il a mis en scène, à la fin des années 60. Il en signe même un nombre tel que, dans l’esprit du public et de la critique, ils sont tous de lui. Et il en aurait ajouté quelques autres à son tableau de chasse si son agenda n’avait pas été aussi chargé : Le Fils de Godzilla et Ebirah contre Godzilla« À force de m’attribuer systématiquement les films de monstre, la Toho a bien senti que la certitude des spectateurs que je les avais tous réalisés commençait à devenir préoccupante. » Comme si Godzilla appartenait à son premier metteur en scène. Modeste, Ishirô Honda insistera toujours sur le fait qu’il n’a pas inventé le kaiju eiga, que le genre est né dans un élan collectif.
D’ailleurs, assez vite, il perçoit le danger de s’enfermer dans ce seul genre, aussi populaire soit-il. Si, à la suite du premier Godzilla, il peut encore tourner des films sentimentaux, un biopic sportif, une histoire de gangsters, un vaudeville, un drame social et même deux mélodrames chantés, le dragon atomique le rattrape à grands pas, Tomoyuki Tanaka, le patron de la Toho, ne voit en lui que le roi du kaiju eiga, auquel il faut de temps à autre accorder une récréation. D’un pragmatisme quasi obsessionnel, Tanaka voudrait placer du monstre géant partout, du moins dès qu’un projet appartenait aux domaines de la science-fiction et du fantastique. Dans L’Abominable homme des neiges d’abord, puis dans Prisonnières des Martiens, la première des invasions extraterrestres qu’illustre Ishirô Honda. Pour perpétuer leur espèce en voie d’extinction, des aliens nommés les Mysterians enlèvent des Japonaises et mettent l’Archipel à feu et à sang… Un chef-d’oeuvre dans son domaine, grand spectacle dont la naïveté ne chavire miraculeusement jamais dans les eaux de l’infantilisme. « Au début de la production, la Toho a tenu à intégrer un monstre géant au scénario : Mogera, une créature entre la taupe et le reptile » témoigne Ishirô Honda. « Rien ne pouvait justifier son apparition. Nous en avons repris quelques-unes des caractéristiques pour le transformer en robot, une arme que les Mysterians envoient contre l’armée ! » Une bien belle in [...]

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