Légendes : Harvey Bernhard

Si, comme tout producteur, Harvey Bernhard avait toujours un oeil toujours sur les comptes, il n’en était pas moins un créateur, pas du genre à attendre qu’on vienne lui soumettre des idées. Avec La Malédiction en 1976, guidé par l’Apocalypse de Jean du Nouveau Testament, il réinvente le thème de l’enfant maléfique et hisse Satan au rang de champion du box-office…
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En règle générale, l’image des producteurs de cinéma – en particulier aux États-Unis – est plutôt négative. Des gens d’argent prompts à toutes les concessions commerciales pour toucher un public plus large, des hommes d’affaires qui charcutent les oeuvres au mépris des intentions de leurs auteurs, des renards qui se contentent de suivre les modes… Pourtant, il existe des producteurs créatifs. Comme, dans les années 1930, Carl Laemmle Jr. au sein d’Universal. Ou, dans les années 1940, Val Lewton à la RKO. Puis vinrent George Pal, James et Michael Carreras pour la Hammer, Milton Subotsky pour la Amicus, Arthur P. Jacobs et, plus proche de nous, Jason Blum. Un petit club d’entrepreneurs sincèrement attachés au fantastique et à la science-fiction, et dont Harvey Bernhard fait légitimement partie. Né le 5 mars 1924 à Seattle, il connaît un parcours d’autant plus singulier qu’il ne fait pas mystère de son orientation politique clairement républicaine. Officier dans l’US Navy pendant la Seconde Guerre mondiale, diplômé de Stanford deux ans après la fin des hostilités, le futur producteur fait ses premiers pas dans la vie professionnelle en faisant la promotion de divers établissements et casinos de Las Vegas. Puis, quinze ans durant, il tient les postes de directeur de production et d’administrateur sur des documentaires destinés à la télévision. « J’ai dû tenir ces fonctions sur plus de 2000 programmes » estime-t-il. Ses compétences comptables, il les met également au service de L’Odyssée sous-marine de l’équipe Cousteau, de programmes National Geographic, et, au cinéma, du film de guerre La Brigade du diable. Sa première incursion à Hollywood. « À un moment, j’en ai eu assez, je suis passé à autre chose, à la production à proprement dite » explique Harvey Bernhard. « Je savais que j’en étais capable car, depuis longtemps, je m’intéressais à la réalisation, au montage et à l’écriture de scénario. »



BLAXPLOITATION 
Harvey Bernhard se lance en 1972, par le biais du long-métrage Le Mac, un projet qui doit son existence à l’engouement du public pour la blaxploitation. « Le Mac raconte une histoire vraie » explique l’apprenti producteur. « Il traite du sujet des prostituées noires à Oakland, en Californie. La plupart de celles qui ont collaboré au film sont aujourd’hui mortes, assassinées. » Tout comme l’ancien proxénète Frank Ward qui, avec ses trois frères, sert de « conseiller technique. » Descendu en plein tournage ! Une embauche risquée, cependant essentielle pour Harvey Bernhard, soucieux de l’authenticité des faits illustrés, le scénario ayant d’abord été écrit sur du papier toilette par le souteneur Robert Poole depuis la prison de San Quentin. Le détenu y relate de façon réaliste son parcours de trafiquant de drogue reconverti dans le proxénétisme. Si son rôle est tenu par Max Julien, c’est son partenaire principal qui retient l’attention : Richard Pryor, comique génial et individu aussi instable que de la nitroglycérine. Initialement réfractaire à l’idée d’engager un acteur réputé ingérable, Harvey Bernhard fait le grand saut… et le regrettera. « Richard n’a fait que compliquer le tournage. Les relations avec lui étaient tendues. ». Voire violentes, comme cette fois où le comédien fait irruption dans la chambre d’hôtel du producteur, muni d’une chaussette remplie de billes d’acier, bien décidé à régler un différend survenu quelques heures plus tôt. Nul doute que, sans l’intervention de Max Julien, le producteur aurait dérouillé. Ce ne sera pas le seul désagrément subi par Harvey Bernhard qui, après la sortie du film, est racketté par les Black Panthers, qui lui soutirent 5.000 dollars…
Quoi qu’il en soit, pour un budget modeste de 120.000 dollars, Le Mac en rapporte 3 millions aux États-Unis. Une consolation pour le producteur, qui a vécu le tournage comme « une épreuve. ». Un baptême du feu en somme, si payant toutefois que Bernhard revient immédiatement à la blaxploitation par le biais de Thomasine & Bushrod, un western dont il confie la réalisation au responsable du premier Shaft, Gordon Parks Jr., et qu’anime Max Julien. Entre-temps, il produit également Sixteen, drame rural de Lawrence Dobkin qui laisse le public indifférent.



LE DENIER DU MAL 
Plutôt que de persister dans la blaxploitation, Harvey Bernhard se lance dans le fantastique. À l’époque, L’Exorciste truste les sommets du box-office, quatre ans après le succès de Rosemary’s Baby. Le Diable continue donc de faire recette en ces années 1973/74. Harvey Bernhard refuse cependant d’admettre un lien entre cette tendance populaire et la genèse de son nouveau projet. « En vérité, le film est né d’une conversation avec Bob Munger, un ami qui venait de redécouvrir la foi chrétienne » se souvient-il. « Il s’était réconcilié avec Dieu et l’évoquait avec ferveur. Nous étions en train de déjeuner lorsqu’il m’a demandé si j’avais lu le Livre des Révélations. Ce n’était pas le cas. Il m’a alors dit : « Bon, d’accord, je vais t’en parler ! ». J’ai pensé : « Oh non, il va me casser les pieds avec ça ! ». Je m’attendais à un authentique sermon. Ça n’a pas raté. Son laïus enfin terminé, il s’est interrogé tout haut : « Et si, à notre époque, l’Antéchrist renaissait dans le corps d’un enfant ? ». La question m’a frappé. Je n’avais pas terminé mon assiette que j’ai quitté la table pour foncer à mon domicile. Dans la foulée, j’ai écrit un premier traitement d’une quinzaine de pages. » Quinze pages pour poser les bases du scénario : un nouveau-né marqué des trois 6, son adoption, des morts violentes, des références explicites aux prophéties de la Bible… N’étant pas très porté sur l’écriture, Bernhard se met en quête d’une plume plus aguerrie que la sienne et se tourne vers son ami David Seltzer, scénariste alors inconnu. « David avait besoin de travail. Je l’ai payé d’avance et, six semaines plus tard, il m’a envoyé le manuscrit. » La substitution d’enfant dans la maternité romaine, le « père » Robert Thorn nommé ambassadeur des États-Unis à Londres, le suicide de la gouvernante, le prêtre lanceur d’alerte empalé par le paratonnerre, la prise de conscience de Thorn que son rejeton pourrait être le fils de Satan… Tout y est, ou presque. Harvey Bernhard exulte : « Je tenais un script absolument génial, j’étais convaincu que les studios se battraient pour financer le projet. Partageant cet avis, mon agent en a envoyé un exemplaire à toutes les majors. Une à une, elles ont refusé de s’engager, y compris 20th Century Fox, où l’on m’a répondu que le responsable de la production, Alan Ladd Jr., avait détesté cette histoire. » Au fil des rejets, le producteur prend conscience qu’il ne « pèse » pas assez lourd. Il lui faut un partenaire plus solide ; ce sera Mace Neufeld, un ancien agent artistique au carnet d’adresses bien rempli. Un choix pertinent : le film, alors titré The Anti-Christ, entre vite en développement chez Warner Bros. Chuck Bail (un ex-réalisateur de deuxième équipe passé à la mise en scène avec deux blaxploitation) doit le mettre en images en Suisse pour un budget de 1,5 million de dollars, avec Oliver Reed en vedette. Tout semble bien parti, mais le projet s’enlise, le studio préférant s’affairer sur L’Exorciste II. Furieux, Harvey Bernhard n’abandonne pas pour autant la partie. « C’est grâce à Mace Neufeld que La Malédiction a été remis sur les rails » admet-il. « Lors d’une soirée, il a croisé Richard Donner auquel il a donné un exemplaire du scénario. Richard l’a immédiatement lu. » Le futur réalisateur de Superman se dit emballé et en parle à Alan Ladd Jr. qui, en fait, n’avait jamais eu vent du projet ! À son tour, il lit le script et l’apprécie. « Richard et Alan étaient très amis. Le second avait promis au premier de produire le film qui lui tiendrait le plus à coeur. L’occasion s’est présentée avec La Malédiction. Entre la rencontre avec Richard Donner le vendredi soir et l’accord d’Alan Ladd Jr. le dimanche suivant, le processus de production s’est remis en marche avec une rapidit [...]

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