Légendes : Harry Alan Towers

Edgar Allan Poe, Robert Louis Stevenson, Jack London, Gaston Leroux, Arthur Conan Doyle, H.G. Wells, Sax Rohmer, Bram Stoker, H. Rider Haggard, Edgar Wallace, Stephen King … Rarement producteur de cinéma aura accordé une place aussi importante à la littérature populaire. Le fait d’un lecteur assidu et, surtout, d’un entrepreneur constamment sur la trace de « bons plans »… qui donneront rarement de bons films.
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Avec une bonne centaine de longs-métrages dans sa besace, Harry Alan Towers est, de 1963 à 2004, un entrepreneur très actif. À plus de 80 ans, il produit toujours des films. « Si je m’arrête, je meurs » répond-il à ceux qui lui conseille une retraite bien méritée. Mourir, il le fera néanmoins le 31 juillet 2009, foudroyé par une crise cardiaque.
Venu au monde le 19 octobre 1920 à Londres, Harry Alan Towers est un enfant de la balle, le fils du directeur d’un théâtre. Naturel qu’il accompagne ses parents lors des tournées et que, gamin, il fasse l’acteur, d’abord sur les planches de la troupe familiale, puis sur celles de la Balham Grammar School. Toutefois, le jeune homme ne persiste pas bien longtemps dans cette voie et se dirige bientôt vers la radio. Il y fait carrière avant, pendant et après la Seconde Guerre mondiale où, sous l’uniforme de la Royal Air Force, il travaille au bureau « divertissement des troupes ».
Au lendemain du conflit, Harry Alan Towers connaît son plus beau succès sur les ondes en achetant à Graham Greene les droits radiophoniques du roman Le Troisième homme qui, à la BBC, donne la série The Lives of Harry Lime, où Orson Welles reprend vocalement son rôle de trafiquant du film éponyme de Carol Reed. Il enchaîne sur les 39 épisodes de The Black Museum, compilation d’enquêtes de Scotland Yard où Orson Welles continue de donner de la voix, et sur The World’s Greatest Mysteries où le réalisateur de Citizen Kane est remplacé par Basil Rathbone. Homme d’affaires avisé, très opportuniste, Harry Alan Towers ne résiste évidemment pas à l’attraction de la télévision : « Je m’y suis engagé en septembre 1955. C’était l’année où le gouvernement britannique avait autorisé les chaînes commerciales. ». Spots publicitaires, vente et revente de licences, conception de programmes… Harry Alan Towers fait étalage de la même polyvalence et du même appétit vorace qu’à la radio. Inévitablement, il s’aventure dans la production de fictions, surtout des anthologies. La mouche du cinéma finit par le piquer en 1962. « Je savais que, en Allemagne, le nom d’Edgar Wallace était très populaire et que les droits de son roman Sanders of the River étaient disponibles chez London Films, qui n’en faisait rien. » Une histoire d’aventure et d’enquête policière en Afrique. « Grâce à mon vieil ami Robert Clark, j’ai pu acquérir ces droits. Il m’a aussi aidé à trouver un distributeur en Allemagne, Constantin Film. Une société reconnue. J’ai obtenu la participation de Richard Todd, une vedette de l’époque. Cinq semaines de tournage à Sainte Lucie, en Afrique du Sud, et le film, Death Drums Along the River, arrivait dans la salle de montage. Il a si bien marché en Allemagne que Constantin m’a pressé d’en produire la suite. Je ne me suis pas fait prier. » Deux ans plus tard, il produit en effet Coast of Skeletons. Entre-temps, il multiplie les projets, comme le polar Victim Five avec Lex Barker, qu’il réemploie aussitôt dans Cinquante millions pour Johns. Le film d’espionnage City of Fear – où il rencontrera sa future femme, la jeune actrice autrichienne Maria Rohm – porte clairement sa marque, non seulement parce qu’il en cosigne le scénario sous le pseudonyme de Peter Welbeck, mais aussi parce qu’il s’y adonne à l’une de ses marottes : le recyclage. « J’avais, un peu plus tôt, tourné le pilote de Taxi, une série dont j’ai revendu les droits et dont j’avais gardé des kilomètres de plans jamais utilisés. Ils s’accordaient parfaitement à City of Fear ! » Il n’y aura jamais de petites économies pour Harry Alan Towers.



PLUS D’UN TOUR DANS SON MANCHU
Parmi les films que produit Harry Alan Towers durant ses premières années d’activité de producteur, certains comptent plus que les autres, comme Le Masque de Fu Manchu, premier opus d’une série que prolongent Les 13 Fiancées de Fu Manchu, La Vengeance de Fu Manchu, Le Sang de Fu Manchu et Le Château de Fu Manchu. Le fantasme ultime du Péril jaune, symbolisé par un mandarin maléfique motivé par la seule domination du monde. Après un film dans les années 30, animé par Boris Karloff, puis un serial, le personnage tombe dans l’oubli jusqu’à ce que Harry Alan Towers en négocie les droits cinéma auprès de la veuve du romancier Sax Rohmer, coiffant MGM au poteau. « Je n’ai rencontré qu’une difficulté dans le financement de l’original » explique le producteur. « Mes investisseurs m’ont demandé d’engager un réalisateur qui ne dépasse ni le budget ni le calendrier de tournage. Un problème que j’avais rencontré sur mes premiers films. On m’a conseillé quelqu’un de très sérieux, Don Sharp, et je l’ai embauché. » Effectivement, Don Sharp tient les délais malgré des conditions de travail particulièrement difficiles, notamment lors du tournage dans une ancienne prison irlandaise, si froide et humide que beaucoup y contractent une vilaine grippe, dont faillit mourir l’acteur Walter Rilla. L’une des autres caractéristiques des productions Harry Alan Towers : des « plateaux » bon marché, peu fonctionnels, le plus souvent très inconfortables. « Une succession de lieux délabrés, abandonnés, aux murs suintants » pointe Christopher Lee, interprète de Fu Manchu, néanmoins heureux de renouer avec le personnage à l’occasion d’une première séquelle. Il le sera beaucoup moins par la suite, reprenant le rôle avec une conviction décroissante. « Pourquoi le faisais-je ? Parce que c’était mon gagne-pain ! » répond-il. Car, quand il le faut, Harry Alan Towers sait mettre la main à la poche. « Ses suites n’en sont pas moins absurdes, fauchées et ridicules » juge l’acteur. « Le premier Fu Manchu aurait aussi dû être le dernier. » Son producteur, lui, trouve les deux suivants plutôt réussis. « J’ai commis l’erreur de confier les suivants à Jess Franco » s’excuse-t-il. « Il a réussi ce qu’aucun personnage n’avait réussi à faire à l’écran : tuer Fu Manchu ! »
Harry Alan Towers exploite également le filon Sax Rohmer à travers un autre personnage : Sumuru, « la version féminine de Fu Manchu » selon lui. Perfide japonaise et femen radicale avant l’heure, Sumuru est incarnée par Shirley Eaton, une comédienne que le producteur remarque dans Goldfinger (la « fille en or », c’est elle) avant de lui offrir un petit rôle dans la première de ses trois versions des Dix petits Indiens d’Agatha Christie en 1965. Puis il fait d’elle la super méchante de The Million Eyes of Sumuru. Si ce premier opus relève de l’espionnage à la James Bond, le suivant – Sumuru, la cité sans hommes – tient de la science-fiction, l’émule de Fu Manchu régnant sur une ville futuriste peuplée d’amazones et où les hommes sont réduits en esclavage. Harry Alan Towers ne lâchera jamais le personnage de Sumuru, qu’il reprendra partiellement en 2001 dans Le Mystère de l’anneau sacré, tiré de H. Rider Haggard, où apparaît une reine immortelle incarnée par Ophélie Winter. Le producteur/scénariste reconnaît ce qu’il appelle des « similitudes ». Il ressuscitera ouvertement Sumuru deux ans plus tard avec le film sud-africain éponyme de Darrell Roodt, cette fois sous les traits du top model allemand Alexandra Kamp. 

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