Légendes : Giannetto De Rossi

Durant la première partie de sa carrière, Giannetto De Rossi s’attache à embellir les stars italiennes et étrangères. Au milieu des années 70, il glisse du glamour à l’horreur totale lorsqu’on lui demande d’imiter les morts-vivants du Zombie de George Romero. Grand écart pour un artiste qui manie avec la même inventivité le crayon à sourcils et les prothèses de chair putréfiée
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Combien de films Giannetto De Rossi compte-t-il exactement à son actif ? Le site IMDb en annonce environ 70, d’autres sources une centaine… « J’ai travaillé sur 140 films ! » rectifie l’intéressé qui, aussitôt, apporte des précisions : « Sur certains, ma contribution est plutôt modeste ; je n’y étais qu’un maquilleur parmi d’autres. » Mais tout de même, 140 films… Des petits budgets, de grosses productions, des nanars promus « films cultes », d’impérissables classiques, du travail d’orfèvre, du travail à la truelle… Ceci sur une soixantaine d’années car, né le 8 août 1942 dans le quartier du Lazio à Rome, Giannetto De Rossi exerce depuis l’adolescence, maillon d’une véritable dynastie. « Mon grand-père, Camillo, a pratiquement inventé le maquillage de cinéma en Italie ! Metteur en scène et acteur de théâtre, il avait du mal à joindre les deux bouts. Un jour, un ami à lui, réalisateur de cinéma, l’a engagé sur son film en tant que comédien et a remarqué qu’il se débrouillait très bien pour se maquiller, comme il le faisait d’ailleurs sur les planches. Il lui a alors demandé s’il serait disponible pour maquiller les autres comédiens. Voilà comment tout a commencé. C’était en 1919. Mon père, Alberto, a pris le relai, puis je suis devenu son assistant avant de lui succéder. Aujourd’hui, c’est à ma fille, Lorella, de perpétuer la tradition familiale ! » D’autant que sa mère, Mirella De Rossi, exerce fréquemment auprès de son mari comme « hair stylist ».


CRÉER DES PERSONNAGES
Dans les années 50 et 60, il n’est pas encore question pour Giannetto De Rossi d’effets spéciaux de maquillage, plutôt de maquillages classiques. Finalité de ses coups de pinceau : rendre les comédiens présentables sous des projecteurs si puissants qu’ils accentuent tous les défauts de la peau. Au début des années 60, libéré de la tutelle paternelle, Giannetto se met à son compte. « J’ai commencé par Emmanuelle Riva sur Les Heures de l’amour, mon premier film en tant que chef maquilleur. » Une comédie frivole de Luciano Salce.
Assistant de son père ou chef de son département, Giannetto De Rossi met son savoir-faire au service de Luchino Visconti (Le Guépard), Joseph L. Mankiewicz (Cléopâtre), King Vidor (Guerre et paix), Sergio Leone (Il était une fois dans l’Ouest), Terence Young (Cosa Nostra), Franco Zeffirelli (La Mégère apprivoisée), Ettore Scola (La Plus belle soirée de ma vie)… Entre ses mains défilent donc Audrey Hepburn, Elizabeth Taylor, Richard Burton, Lino Ventura, Charles Bronson, Alain Delon, Burt Lancaster, et toutes les vedettes italiennes de l’époque. De capricieuses divas en puissance. « Avec moi, il n’y avait pas de sujets difficiles face au miroir » plaisante-t-il. « Avec ma grosse voix, mes sourcils abondants et mon caractère de cochon, je crois bien que je faisais un peu peur à certaines stars. Pour beaucoup, je semblais sorti tout droit d’un film d’horreur. Je dois aussi à ma mère d’avoir réussi à travailler avec de très grandes stars sans trop de problèmes ; elle m’avait appris à savoir qui étaient vraiment les gens en les regardant dans les yeux ! Je traitais de la même façon un inconnu et une vedette internationale. Je leur faisais comprendre que je n’étais pas à leur service, mais à celui du film. Il m’importait surtout d’adhérer à ce que le réalisateur voulait obtenir. Personne ne la ramenait ! » Lino Ventura ? « Un homme charmant » dixit le maquilleur. Charles Bronson ? « Quelqu’un de très particulier, plus timide que vraiment distant. » De tous les comédiens qu’il prépare pour l’oeil inquisiteur de la caméra, Giannetto De Rossi en retient un en particulier : Donald Sutherland, dont il refait le faciès pour les besoins du Casanova de Fellini. « Le nez, le menton, les pommettes, les sourcils… Tout est faux ! Je l’ai vraiment transformé en Casanova. Il m’en a été reconnaissant. Une fois, dans une interview, un journaliste lui a demandé comment était Fellini. Il a répondu : « Mais ce n’est pas Fellini qui a fait de moi Casanova, c’est Giannetto De Rossi. ». Je ne pouvais pas rêver meilleur attaché de presse ! Son compliment m’a d’autant plus touché que, depuis le début de ma carrière, j’ai toujours essayé de créer des personnages. Ainsi, avant de rencontrer Elizabeth Taylor sur La Mégère apprivoisée, je savais déjà tout du rôle qu’elle devait tenir. » Celui d’une virago si colérique qu’elle pousse à la fuite tous ses maris potentiels.



LE ROUGE EST MIS
Giannetto De Rossi serait certainement resté dans l’ombre des stars si les circonstances ne l’avaient pas mené à travailler sur des films d’horreur qui lui valent aujourd’hui une certaine notoriété. Au milieu des années 70, il collabore coup sur coup au Massacre des morts-vivants de Jorge Grau et à Black Emanuelle en Amérique de l’ineffable Joe D’Amato. « Sur Le Massacre des morts-vivants, les effets spéciaux sont assez élémentaires : du sang, des lentilles de contact, des cicatrices, des prothèses pour les corps mutilés… Rien de très complexe ! » se souvient-il. Pour le second, plus érotique que gore, Giannetto De Rossi réussit si bien la séquence où une malheureuse subit une mammectomie sans anesthésie dans un snuff movie projeté à Laura Gemser qu’il crée un grand émoi. « Des gens ont cru que l’on avait amputé la comédienne de ses seins. La justice s’est emparée de l’affaire. Pour bien démontrer qu’elle n’était pas morte et qu’elle avait encore sa poitrine, j’ai fait la démonstration du fonctionnement des effets spéciaux, avec tout mon matériel. » Une entrée en matière remarquée. La suite ne le sera pas moins avec L’Enfer des zombies.
« Je connaissais le producteur Fabrizio De Angelis depuis 20 ans. À l’époque, il n’était encore que comptable ! » raconte Giannetto De Rossi. « Lui et Lucio Fulci, que j’avais aussi côtoyé, m’ont offert de travailler sur un projet qui, à ce stade, n’était qu’une pâle copie du Zombie de George Romero. Ils m’ont montré le travail de Tom Savini : des maquillages très pâles rehaussés de reflets bleuâtres. Franchement, je n’ai pas aimé ça. Leur scénario décrivait des morts-vivants plutôt blancs, livides. Malgré les couleurs différentes de celle de Zombie, la copie restait une copie. Plutôt que d’obéir à leurs indications, j’ai proposé des maquillages radicalement à l’opposé, avec des chairs en putréfaction. C’était à prendre ou à laisser. Je leur ai même dit de chercher quelqu’un autre s’ils n’étaient pas d’accord. Pas bien grave pour moi, d’autant que je trouvais leur scénario assez mauvais, sans personnage digne de ce nom. Sachant bien que je n’hésiterais pas à quitter le projet, De Angelis et Fulci ont fini par accepter mes propositions. » Ils y gagnent des effets spéciaux de maquillage saisissants, spectaculaires, qui éclipsent les cadavres ambulants de Tom Savini. « Ironiquement, les Américains nous ont ensuite plagiés, nous qui étions loin de disposer des mêmes moyens qu’eux. »
Giannetto De Rossi ne s’en cache pas : les maquillages gore de L’Enfer des zombies, il les façonne avec les moyens du bord, à l’économie. « Je ne pouvais pas me permettre de créer des prothèses et de les poser ensuite sur les comédiens. En Italie, c’était plus artisanal. » Un jeu d’enfant ou presque. « Je commençais par utiliser de l’argile pour redessiner le visage des acteurs. Une matière que je posais directement sur eux. Au terme de cette première étape, ils avaient déjà l’air monstrueux. J’appliquais ensuite une couche de latex que je peignais. Pour que cela sèche plus vite et que l’interprète puisse tourner, je le sortais de l’atelier pour le faire asseoir au soleil. En quelques minutes, c’était fait ! La pose du maquillage n’était pas très longue en réalité. L’enlever, en revanche, nécessitait une grande patience de la part de tout de monde : tous les soirs, l’opération prenait environ trois [...]

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