Légendes : Gerry Anderson

L’histoire d’un homme qui est devenu celui qu’il ne voulait pas devenir. Et a fini par s’en accommoder. D’abord hostile à l’idée de mettre en scène des marionnettes, Gerry Anderson développe une sincère passion pour ses héros inanimés, évolution symbolisée par un titre, Thunderbirds, alias Les Sentinelles de l’air.
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Il fut un temps où prospéraient à la télévision des séries pour la jeunesse animées par des marionnettes. Des spectacles pour les plus petits, faits de bric et de broc. Un plateau généralement minuscule, une caméra fixe et quelques opérateurs : un fonctionnement beaucoup moins onéreux que l’animation, beaucoup plus rapide aussi, surtout en comparaison de la stop motion de Ray Harryhausen. Au début des années 60, en Grande-Bretagne, un homme change la donne : Gerry Anderson.
Né le 14 avril 1929 à West Hampstead dans les faubourgs de Londres, Gerry Anderson grandit dans une famille de souche polonaise. Dans un premier temps, le jeune homme se destine à une carrière d’architecte, qu’il abandonne à cause d’une sévère allergie au plâtre. Pistonné par son père, il rencontre le producteur de cinéma Sidney Bernstein qui lui promet un poste dans une équipe technique à pourvoir six mois plus tard. Pour l’heure apprenti au service d’un photographe, Gerry Anderson s’enferme dans une chambre noire, développe des photos d’identité, assure leur séchage… « Terriblement ennuyeux » se désole-t-il, lui qui, espérant mieux, adresse des candidatures spontanées à toutes les sociétés de production dont il déniche l’adresse. Une seule lui répond : le Ministère de l’Information, plus précisément le département Colonial Film Unit. Standardiste pendant six semaines, il accède aux salles de montage à seulement 17 ans. Une évolution rapide. « J’y ai trouvé le meilleur des mentors en la personne de George Pearson, une grande figure de l’industrie cinématographique britannique » se rappelle-t-il. « Il m’a tout enseigné. Je ne pouvais pas tomber sur meilleur professeur. » Le jeune homme dispose donc d’un solide bagage lorsqu’il décroche un deuxième emploi dans l’un des plus grands studios britanniques de l’époque, Gainsborough Pictures. Second assistant monteur, il travaille sur Caravane, Le Masque aux yeux verts, Snowbound, Sa dernière mission… Une liste qui aurait pu s’enrichir si Gerry Anderson n’avait été appelé pour faire son service militaire. « La guerre était finie, mais ça ne m’emballait guère de porter l’uniforme de la Royal Air Force, d’avoir à effectuer des tâches qui ne m’intéressaient pas le moins du monde. » Pas le choix, cependant. Au terme d’une formation aux armes qui le met au supplice, Anderson se voit offrir deux affectations : soit les cuisines, soit la police militaire ! Très peu pour lui. Heureusement, un officier compréhensif le soustrait au pire en l’orientant vers une fonction d’opérateur radio. Affecté dans une base du Kent, Gerry Anderson y découvre l’aéronautique. Une expérience dont il saura se souvenir. Rendu à la vie civile, et Gainsborough Pictures ayant fermé ses portes, le jeune homme intègre les studios de Pinewood en tant que monteur son. L’occasion, notamment, de côtoyer Lewis Milestone sur Commando sur Rhodes, entre autres. 



MAUDITES MARIONNETTES 
En 1955, Gerry Anderson aborde la télévision en rejoignant les rangs de Polytechnic Films, une structure qui, deux ans plus tard, dépose le bilan. Au chômage, il fonde avec l’un de ses collègues, le chef-opérateur Arthur Provis, sa propre société de production, AP Films. Mais que produire ? La question ne se pose pas longtemps. « Nous avons reçu une commande de ITV, la chaîne concurrente de la BBC » explique-t-il. « Franchement, je ne m’attendais pas à ça. À moi qui m’étais préparé à une nouvelle version des Dix commandements, on demandait de travailler à une série dont les personnages étaient des marionnettes ! Si je n’avais pas eu autant besoin de travailler, j’aurais purement et simplement décliné la proposition. Les marionnettes, ça ne m’intéressait pas le moins du monde ! » À reculons, Gerry Anderson, Arthur Provis et les anciens de Polytechnic qu’ils ont recrutés s’attellent aux 52 épisodes de The Adventures of Twizzle, le Twizzle en question étant un jouet vivant capable, à l’instar du Mister Fantastic des 4 Fantastiques, d’allonger à loisir ses bras et jambes. Un Toy Story avant l’heure. Avec un budget très modeste de 900 dollars l’épisode de quinze minutes, The Adventures of Twizzle se tourne dans des conditions si économiques que personne n’en attend quoi que ce soit.
« Nous avions honte de ce que nous faisions, particulièrement par rapport aux gens du métier » confesse le jeune producteur. « Nos marionnettes étaient laides, et donnaient l’impression d’avoir été fabriquées à partir de papier mâché ! Plutôt que de Twizzle, je rêvais de cinéma, de comédiens de chair et d’os. J’espérais que quelqu’un dise, un jour : « Pourquoi ce type perd-il son temps avec ces poupées de chiffon ? Il devrait se consacrer à de vrais films ! ». » 
Terriblement frustré, Gerry Anderson reste professionnel et s’applique à livrer un travail honnête. Surprise : diffusée à partir de novembre 1957, la série reçoit de bonnes critiques. L’audience est au rendez-vous. Autre motif de satisfaction : les liens créés avec Sylvia Thamm, une belle blonde de ses employés. Elle deviendra bientôt sa femme et sa partenaire. Les pontes d’ITV se montrant plus que satisfaits, AP Films est prié d’enchaîner sur une autre série, Torchy, the Battery Boy, récit des turpitudes d’un jouet affligé d’une ampoule au milieu du front. Vingt-six épisodes sont commandés ; le piège se referme autour de Gerry Anderson. « Je n’étais toujours pas un grand amoureux des marionnettes, mais je me rendais compte que nous étions en train d’améliorer nos techniques. Torchy était beaucoup moins rigide que Twizzle. » Grâce, notamment, à des dialogues beaucoup mieux synchronisés avec les mouvements de la bouche.
Des progrès, Gerry Anderson en effectue d’autres sur Four Feather Falls, série western dont il s’empare avec beaucoup plus d’enthousiasme que les précédentes. « J’ai commencé à penser qu’avec des marionnettes, il était possible de réaliser des programmes dignes des films de cinéma » déclare-t-il. En dépit du départ de deux de ses plus proches partenaires, Arthur Provis et Roberta Leigh (productrice et scénariste), Gerry Anderson se lance dans ce nouveau défi « avec des moyens beaucoup plus importants que par le passé, des équipements neufs et de nouveaux studios quatre fois plus vastes que les premiers. Avec Four Feather Falls, nous avons testé avec 90 % de succès un procédé inédit pour les dialogues ; ils étaient enregistrés avant le tournage et un système électronique fixait les mouvements de la bouche. Beaucoup plus réaliste qu’auparavant. Seul inconvénient : des fils électriques capables d’envoyer une décharge de 60 volts. » Nouveau succès pour Gerry Anderson qui, en cette année 1960, voit un rêve prendre forme : la société Anglo-Amalgamated le sollicite pour mettre en images le long-métrage Crossroads to Crime, l’histoire d’un jeune policier qui infiltre un gang de braqueurs de camions de marchandises. Une série B, certes, mais un film tout de même. « Franchement, ça n’a pas été une réussite, et j’en suis le premier à blâmer ! » lâche-t-il.



OPTION OPTIMUS 
Gerry Anderson se remet vite de l’échec de Crossroads to Crime et revient à ses marionnettes, auxquelles il voue un attachement de plus en plus prononcé. Ces retrouvailles prennent la forme d’une nouvelle série, Supercar, dont il est le créateur en compagnie du directeur artistique Reg Hill. Une idée qui mature depuis des mois et se concrétise à la fin de l’année 1960. Elle se résume en quelques mots : une voiture futuriste qui roule, vole et évolue sous l’eau. Pratiquement la Lotus Esprit de L’Espion qui m’aimait, mais 17 ans plus tôt. « Supercar m’a permis de synthétiser tous les progrès techniques de ce type de spectacles » se félicite le producteur. « Certaines des marionnettes bénéficiaient de câblages ; elles pouvaient ainsi bouger sur un plateau tridimensionnel. Nous disposions désormais d’effets spéciaux optiques, de prises de vues de vrais paysages… La synchronisation des dialogues et des mouvements de la bouche avait également fait des progrès grâce à des mécanismes insérés dans les poupées. Nous pouvions aussi tourner en 35 mm, disposer d’un orchestre pour la musique. J’étais si satisfait de toutes ces innovations que je les ai rassemblées sous un terme un peu ronflant : « Supermarionation ». Pratique pour nous différencier de la concurrence, et ça me donnait davantage l’impression d’être pris au sérieux. »
Toutefois, Gerry Anderson et son équipe poussent si loin le perfectionnement que le devis de Supercar grimpe à 6000 dollars l’épisode. Sous le choc du chiffre, Lew Grade, patron d’ITC, en tombe presque de sa chaise. « Il a bien failli s’étouffer. La pilule avalée, il m’a dit : « OK, on le fait si vous divisez la somme par deux. »Nous avons essayé sans sacrifier à la qualité, mais nous n’avons réussi à réduire le devis que d’un tiers. Lew Grade a néanmoins accepté de financer la série, sous r&eacu [...]

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