Légendes : Gary Sherman
Londres, 1968. Profitant de sa double nationalité (sa mère est ressortissante anglaise, son père américain), le jeune Gary Sherman s’installe au Royaume-Uni un an après l’obtention de son diplôme de l’Illinois Institute of Technologie. Pourquoi cet exil ? « Je ne voulais pas vivre dans un pays dont Richard Nixon était le président » explique-t-il, lui qui, aux USA, a déjà tourné le documentaire musical The Legend of Bo Diddley. Une belle carte de visite à moins de 20 ans. Le cinéaste en herbe filme ensuite d’autres groupes, notamment le psychédélique Sky Saxon and the Seeds pour un long-métrage dont les rushes ne seront jamais montés. De l’autre côté de l’Atlantique, le jeune homme creuse ce même sillon, ajoutant d’autres documentaires et bandes institutionnelles à son CV. C’est cependant dans un autre domaine qu’il se fait un nom : le spot publicitaire. Il en réalise ou cadre des dizaines, pour Coca-Cola, les produits d’entretien Johnson, Procter & Gamble et tant d’autres, souvent en binôme avec Jonathan Demme, un autre expatrié.
C’est malgré lui que Gary Sherman vient au cinéma. « Je n’y pensais pas » garantit-il. « Le tournage de publicités et de films industriels me donnait toute satisfaction. Cependant, mon entourage et mes collaborateurs m’y encourageaient. Ils me serinaient avec ça : « Vas-y, fais un film. Tu en es tout à fait capable ! ». Alors, à force, j’ai commencé à sérieusement y réfléchir. » Il cogite d’abord sur des projets politiquement engagés, radicalement orientés à gauche, que personne ne prend au sérieux pour leur côté « étudiant sur le retour ». « Quelqu’un m’a alors donné ce conseil : « Prends plutôt la voie du cinéma d’horreur, on te donnera les moyens de faire tes premiers pas ! ». Ça m’a parlé, me souvenant que, à cinq ans, L’Homme au masque de cire avec Vincent Price m’avait fait forte impression. Plus tard, Rosemary’s Baby a également eu un fort impact sur moi. » Gary Sherman décide donc de verser dans l’horreur, mais sans calmer ses ardeurs militantes pour autant.
MARLON BRANDO PRESQUE CANNIBALE
« Fidèle à mes opinions politiques, j’avais pu, depuis mon arrivée en Grande-Bretagne, y observer les injustices sociales, la distinction très marquée entre les classes » souligne Sherman. « Le métro londonien me fascinait aussi, notamment parce qu’il symbolisait cette discrimination, avec tous ces travailleurs modestes qui s’y entassaient, canalisés comme du bétail dans un corral. Un mauvais traitement en soi. Puis, lors de mes recherches, j’ai découvert que la construction des tunnels avait constitué un véritable enfer pour les ouvriers, tenus à des cadences infernales à cause de leurs employeurs, des sociétés capitalistes concurrentes. Des gens mouraient sur les chantiers, certains vivaient pratiquement sur place… Les patrons s’en moquaient. À la même époque, j’ai entendu parler de Sawney Bean, un chef de clan écossais qui, au XVIe siècle, se livrait avec les siens au cannibalisme depuis les grottes où il s’était installé. » Un personnage dont s’inspirera un peu plus tard Wes Craven pour La Colline a des yeux. À ce cas d’anthropophagie, Gary Sherman en ajoute un autre : les pionniers de Donner Pass qui, bloqués dans la Sierra Nevada en 1846, consommèrent la chair de leurs compagnons d’infortune morts de froid pour survivre.
Empilant Donner Pass, Sawney Bean, les usagers du métro et une farouche volonté de condamner les inégalités de la société britannique, Gary Sherman pose avec le scénariste Ceri Jones les jalons du Métro de la mort. Soit l’enquête menée par Scotland Yard après la disparition d’un membre du gouvernement dans la station Russel Square. Enquête qui débouche sur la découverte de nombreux cas similaires ignorés par les autorités, les victimes étant de basse extraction. L’inspecteur en charge du dossier comprend in fine que le coupable n’est autre qu’un cannibale, dernier descendant d’une lignée remontant à 1880. « Une victime de la société » l’excuse presque le réalisateur. « Je dois à Jonathan Demme, avec lequel je travaillais depuis des années, d’avoir transmis notre script à un producteur new-yorkais qu’il connaissait bien, Paul Maslansky. À son tour, Paul l’a communiqué à Jay Kanter. Grâce à eux, le projet s’est rapidement concrétisé » poursuit-il. « Jonathan devait lui-même le produire, mais engagé par Roger Corman sur Angels Hard as They Come, il a dû abandonner l’idée. »
S’il ne dispose que de moyens réduits, « quatre fois moins que le budget d’une publicité de trente secondes », Gary Sherman ne se plaint pas des maigres ressources mises à sa disposition, notamment parce que la régie londonienne des transports lui donne accès à une section désaffectée du métro où sont entreposées des munitions datant de la Seconde Guerre mondiale. Un endroit infesté de rats, froid et si putride qu’il est nécessaire de le désaffecter régulièrement. Idéal, cependant, pour distiller une atmosphère poisseuse, que renforce le « résident » des lieux, interprété par un inconnu du nom de Hugh Armstrong. « Marlon Brando aurait pu tenir le rôle » certifie le réalisateur. « Il appelait souvent Jay Kanter, le coproducteur, qui était son ancien agent. Il a fortement été question qu’il joue le personnage, qu’on le rende méconnaissable grâce à du maquillage et une perruque et qu’il ait si peu de dialogues à dire que personne n’aurait pu identifier sa voix. Il n’aurait pas même été crédité au générique. » Hélas, appelé auprès de son fils Christian, Marlon Brando abandonne le projet. Le réalisateur n’en fait pas une maladie, déjà très heureux d’avoir à diriger Donald Pleasence dans un rôle de flic sarcastique écrit à son intention, ainsi que Christopher Lee à l’occasion d’une unique scène.
PHOBIQUE DE PHOBIA
Bien qu’il suscite l’intérêt des fans de fantastique et d’une partie de la critique, Le Métro de la mort s’avère une déception sur le plan commercial en cette année 1972. « En Grande-Bretagne, le distributeur Rank Film l’a associé en double programme avec Les Émotions d’un jeune voyeur, un film que les spectateurs n’appréciaient guère. Couplé avec un autre, il aurait sans doute beaucoup mieux marché. Aux États-Unis, les choses ont été pires encore. Trouvant le film ennuyeux, Samuel Z. Arkoff, le patron d’American International Pictures, l’a amputé de plusieurs passages, dont l’exploration du repaire souterrain du cannibale, qui durait douze minutes. L’accent britannique de Donald Pleasence ne lui plaisant pas, il a remplacé sa voix par une autre. Aucun respect. Frank Yablans, qui dirigeait alors Paramount, aurait certainement diffusé Le Métro de la mort dans sa forme originelle, tant il le trouvait bourré de qualités. Dommage qu’il ait réagi trop tard pour en acquérir les droits. Robin Wood, le critique du Village Voice, a été l’un des rares à remarquer que, désormais présenté sous le titre de Raw Meat au lieu du Death Line britannique, le film avait été sévèrement charcuté. Je me souviens de ses mots : « Évitez d’aller voir Raw Meat, attendez que Death Line arrive aux États-Unis. ». » D’abord présenté comme un émule sexy de La Nuit des morts-vivants, le film mettra plus de 20 ans à traverser l’Atlantique sous sa forme originelle.
Encore loin d’être considéré comme un grand film influent (Mimic et Creep lui doivent beaucoup), Le Métro de la mort ne hisse pas Gary Sherman au rang de jeune réalisateur prometteur. Au contraire, sa carrière stagne. Retour à la case spot publicitaire, et à l’écriture de scripts destinés à d’autres. Comme celui du téléfilm Mysterious Island of Beautiful Women, où les survivants masculins d’un crash aérien rencontrent des amazones sur une île inconnue. Sherman rédige également Phobia, un thriller teinté d’épouvante. « Je l’ai écrit sur le modèle de deux récits parallèles qui semblent n’avoir rien en commun et qui, pourtant, se rejoignent sur la fin. » L’un d’eux porte sur un psychiatre dont les patients meurent dans des circonstances atroces, tous victimes de leurs peurs les plus viscérales. Pour mettre cette histoire en scène, nul autre que l’immense John Huston. Gary Sherman exulte, comblé que Ronald Shusett ait acheté son script pour le porter à la connaissance du réalisateur de L’Homme qui voulut être roi et du Trésor de la Sierra Madre. « Qui pouvais-je rêver de mieux ? » reconnaît-il. Mais il déchante vite. « Un peu plus tard, des rumeurs persistantes ont commencé à arriver à mes oreilles. Elles affirmaient que John Huston était soit malade, soit constamment ivre sur le plateau, qu’il avait dépassé le budget et le calendrier de tournage prévu. Inquiétant. J’ai ensuite découvert qu’il n’avait eu le temps de filmer que l&r [...]
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