Légendes : Don Sharp
S’il rend son dernier souffle dans la ville anglaise de Wadebridge le 14 décembre 2011, Don Sharp pousse son premier cri le 19 avril 1921 à Hobart, dans l’une des régions les plus reculées d’Australie : la Tasmanie. C’est justement là qu’il fait ses débuts d’acteur, dans des spectacles de patronage. Un embryon de carrière auquel il doit renoncer quand, le 7 avril 1941, il est enrôlé dans l’Australian Air Force. Affecté à Singapour, il est blessé avant que la ville ne tombe aux mains des Japonais. Remis sur pied dans un hôpital de Melbourne, Don Sharp ne connaîtra jamais plus le feu de la guerre. Bien que toujours sous l’uniforme, le jeune homme peut, dans le cadre de l’armée, renouer avec l’art dramatique, sur les planches et à la radio. Mars 1944, retour à la vie civile. « Et au théâtre » indique-t-il. « Pendant trois ans et demi, je m’y suis consacré, ainsi qu’à des pièces et feuilletons radiophoniques. J’en ai même dirigés. J’ai aussi assuré des commentaires de documentaires. À l’époque, le cinéma australien ne se résumait pratiquement qu’à ça, les longs-métrages de fiction étant très rares. » Ce qui ne l’empêche pas de décrocher une prestation rapide dans l’un d’entre eux, Smithy, biopic de l’aviateur Charles Kingsford Smith. « En 1947, je suis arrivé au Japon, chargé de divertir les troupes alliées avec des spectacles itinérants montés dans le cadre d’une troupe dont j’avais été nommé directeur. » En mars ou avril 1948, Don Sharp pose ses valises en Grande-Bretagne, avec la ferme intention de trouver un travail à la radio et de faire ses premiers pas dans le monde du cinéma. « Personne ne m’y attendait » poursuit-il. « C’est pour cette raison que, avec des amis australiens, j’ai produit et coécrit Ha’penny Breeze », l’histoire d’anciens combats qui, de retour dans leur village du Suffolk, recollent les morceaux d’une communauté disloquée en participant à une course de bateaux. Une gentille petite chronique produite et tournée dans la précarité.
BIENVENUE CHEZ LA HAMMER !
Bien que Ha’penny Breeze ne fasse pas une grande carrière, Don Sharp s’est fait remarquer. Surtout par John Grierson et Michael Balcon de Group Three, « une société de production en partie financée par l’État, et qui avait pour vocation de promouvoir de nouveaux talents. Ayant apprécié mon travail d’écriture sur Ha’penny Breeze, John Grierson et Michael Balcon m’ont proposé de travailler auprès de Herbert Mason, l’un de leurs producteurs. À ses côtés, je visionnais des rushes, faisais des commentaires sur le montage. Assistant de production, je collaborais à des scripts. La réalisation me tentant de plus en plus, j’ai pu collaborer à la seconde équipe de certains des films dont j’avais contribué à l’écriture. À la même époque, Michael Balcon m’a proposé de rejoindre Ealing. » Ealing, soit l’une des sociétés de production les plus importantes du moment, devenue célèbre avec des comédies comme Noblesse oblige, Whisky à gogo et Tueurs de dames. « Une offre tentante, mais John Grierson m’a averti que je risquais fort d’y attendre très longtemps que l’on me donne l’opportunité de réaliser quelque chose. Il m’a dirigé vers Associated British Pathé. » Là, d’abord sous la tutelle de Hal Thomas, chef du département documentaire, Don Sharp passe enfin à la réalisation, « une fonction à laquelle m’avait préparé mon expérience de comédien. » Dans ce cadre, il tourne de tout : des documentaires, mais également des fictions pour la jeunesse (dont The Stolen Airliner, son premier long-métrage officiel en tant que réalisateur), des films institutionnels dont certains pour le Ministère de la Défense… Bonne école. En dehors d’Associated British Pathé, il s’essaie au film « rock » avec The Golden Disc, revient au cinéma familial avec The Adventures of Hal 5 dans lequel un vilain garagiste essaie de voler une belle auto à une gentille famille… Plus intéressants s’avèrent Linda (une bluette sentimentale sur fond de délinquance juvénile), ses six épisodes pour la série policière Ghost Squad, sa contribution en tant que responsable de la deuxième équipe sur le thriller de guerre Agent secret S.Z. et sur le film d’aventure Harry Black et le tigre.
À ce stade, rien ne destine Don Sharp à tourner un film d’horreur. D’ailleurs, quand le genre se présente à lui, il en est le premier surpris. « L’idée vient de mon agent », se rappelle-t-il. « Un beau jour, il m’a suggéré d’aller voir les responsables de la Hammer afin qu’ils me confient quelque chose dans ce domaine. Ça me paraissait d’autant plus déplacé que je n’avais jamais vu le moindre film d’horreur, sinon des Frankenstein dans mon enfance ! Malgré tout, j’ai rencontré Anthony Hinds qui m’a confirmé qu’il recherchait un cinéaste pour un certain projet. Je lui ai avoué que je ne connaissais rien au genre. Il m’a répondu que, à en juger par mes précédents films, il m’en sentait capable. Dans les jours qui ont suivi notre première entrevue, il m’a fait projeter Le Cauchemar de Dracula, Frankenstein s’est échappé ! et Les Étrangleurs de Bombay dans les locaux de la Hammer, situés Warnour Street. Au bout de vingt minutes, j’étais captivé, en dépit de situations absurdes, invraisemblables. À y réfléchir un peu, j’ai remarqué que ce cinéma possédait ses propres règles, un monde bien à lui, et que la fonction des réalisateurs consistait surtout à rendre crédibles des événements qui ne l’étaient pas. » C’est donc avec curiosité, piqué au vif, que Don Sharp lit le manuscrit que lui tend Anthony Hinds, Le Baiser du vampire. Un scénario signé John Elder, pseudonyme du même Anthony Hinds ! Il y est question d’un couple qui, en voyage de noces, tombe en panne et se réfugie dans une auberge bavaroise. Son épouse enlevée par un certain Dr Ravna, châtelain et vampire maître d’une secte, Gerald Harcourt se fie au professeur Zimmer, le Van Helsing de service qui, en dernier recours, envoie une horde de chauves-souris fondre sur les invités d’un bal masqué dont Roman Polanski saura se souvenir. « J’ai apprécié ce script », commente Don Sharp. « Seules ses scènes sanglantes me dérangeaient. Elles étaient excessivement empreintes d’horreur et j’ai suggéré à Anthony Hinds d’en atténuer les effusions de manière à privilégier la suggestion. Il n’y a vu aucune objection, tout comme il a accepté d’accélérer un peu le rythme de l’histoire. En tant qu’auteur du script et producteur, il aurait pu refuser. Ce n’est pas que j’étais systématiquement d’accord avec lui, mais nous nous sommes bien entendus. »
Après avoir obtenu les « comédiens de répertoire » auxquels il tient (de toute manière, Christopher Lee et Peter Cushing se sont momentanément rangés des vampires), Don Sharp prend si bien possession du projet qu’il le filme avec le savoir-faire d’un artisan rompu à l’exercice, motivé par un script en rupture de clichés et le talent d’un chef-opérateur très inspiré (Alan Hume). En huit semaines de préparation et six de tournage, à raison de six jours par semaine de cinq heures du matin à six heures du soir dans les petits studios de Bray, le réalisateur révèle de réelles dispositions pour le fantastique gothique. Le public et la presse le lui rendent d’ailleurs bien : Le Baiser du vampire bénéficie de critiques favorables en même temps que de bons chiffres au box-office en cette année 1963. Un détour par It’s All Happening, un film rock’n’roll dont le scénario sera repris par Les Blues Brothers, et Don Sharp revient à la Hammer.
Conscient qu’il tient un réalisateur de talent, apte à palier l’absence de Terence Fisher, Anthony Hinds n’attend pas longtemps pour lui proposer un deuxième fi [...]
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