Légendes : Dick Smith 2ème Partie

La carrière de Dick Smith se divise en deux époques : l’avant et l’après L’EXORCISTE. Un après où l’artiste doit se montrer à la hauteur d’une réputation chèrement acquise, en donnant le meilleur de lui-même dans des conditions souvent difficiles, voire parfois hostiles…

Si, avec le vieillissement de Max von Sydow, Dick Smith tient l’effet spécial de maquillage le plus discret de L’Exorciste, sa deuxième prestation sur le film de William Friedkin se révèle beaucoup plus spectaculaire. Elle porte sur Linda Blair, une adolescente joufflue de douze ans qu’il doit transformer en possédée capable d’une rotation complète de la tête et d’une vidange de l’estomac par la bouche. « J’ai d’abord lu le scénario » précise le maquilleur. « J’ai ensuite rencontré William Friedkin qui m’a passé l’enregistrement de l’exorcisme dont le roman de William Peter Blatty est inspiré. Impressionnant, tous ces cris, parfois de véritables beuglements, parfois des gémissements. Il aurait pu s’agir d’un faux, mais, plutôt que de réfléchir à sa réalité, je me suis aussitôt concentré sur ce qu’on me demandait de faire. »

LA BEAUTÉ DU DIABLE 

Non sans s’être documenté sur les conséquences physiques d’une possession, Dick Smith rencontre vite un sérieux problème : Linda Blair elle-même. « Avec son petit nez rond, ses yeux rieurs, son teint rose et ses bonnes joues, elle avait l’air de tout sauf d’un démon » se désespère-t-il. « Un défi. William Friedkin m’a donné carte blanche. Avec un assistant et deux cameramans, j’ai commencé par des essais. En quelques jours, nous avons essayé cinq maquillages différents, cinq concepts à l’opposé les uns des autres. Le premier reposait sur une épaisse perruque de cheveux noirs et de sourcils broussailleux. Il avait tout de la sorcière. Les quatre autres propositions étaient nettement plus sobres, bien qu’il s’agissait de visages hideux, dérangeants. » Le réalisateur décide que la solution se trouve quelque part au milieu. Une indication à partir de laquelle Dick Smith élabore un maquillage qui afflige le charmant minois de Linda Blair de profondes balafres et d’un teint de cadavre. Encore excessif au goût de William Friedkin, qui demande à Dick Smith de ne pas complètement cacher la jeune comédienne sous le latex ; il est impératif que le spectateur puisse l’identifier. « Nous avions déjà commencé à tourner quand nous nous sommes aperçus que le résultat que l’on croyait satisfaisant dans l’atelier ne fonctionnait pas. J’ai par conséquent adouci le maquillage, réduit la surface de prothèse de façon à rendre ce visage plus vraisemblable. »

Des défis, Dick Smith en aura bien d’autres à relever sur L’Exorciste. Des effets spéciaux qui s’annoncent complexes d’un point de vue technique, mais dont la fabrication tient surtout du bricolage. En étroite collaboration avec Marcel Vercoutere, il trouve ainsi une réponse astucieuse au challenge de la tête qui tourne sur elle-même : une réplique grandeur nature de Linda Blair. « Encore fallait-il que la partie supérieure du mannequin puisse bouger et je n’avais aucune idée quant à la façon de faire ça. Pour un maquilleur, il s’agissait d’une commande inédite. » Mais Dick Smith n’est pas du genre à abdiquer. La fausse tête, il la fixe à un long câble de transmission flexible qui, passant par le dos, le torse et la nuque, peut être manoeuvré sans difficulté. « Quelque chose de très simple » tempère-t-il. Et ces yeux qui bougent ? « Ils étaient pilotés à distance, grâce à une commande. Ce mécanisme, Marcel l’a emprunté à un avion miniature télécommandé. » Outre la tête pivotant à 360 degrés et ses yeux mobiles, la marionnette de Linda Blair servira à plusieurs reprises. Notamment lorsque de la vapeur sort de la bouche de la possédée. Un tuyau, de la fumée et le tour est joué… En revanche, pour la gamine vomissant un infâme gloubi-boulga verdâtre, Dick Smith n’utilise pas le mannequin, mais épargne à Linda Blair les pénibles contingences de l’effet. « C’est sa doublure, Eileen Dietz, qui a supporté de longues heures durant le système que nous lui avons fixé dans la bouche. » Une installation constituée d’une pompe, d’un tube dissimulé sous le latex, d’un extracteur de salive… Ingénieux certes, mais une fois de plus, parfaitement simple. Quant au vomi envoyé à la face du père Merrin, c’est une épaisse soupe de pois.

Fabriquée en un seul exemplaire, Linda (le petit nom du mannequin articulé) donne des sueurs froides à son créateur, mais pas en raison de son fonctionnement. Redoutant un vol, Dick Smith l’embarque tous les soirs sur le siège arrière de sa voiture. À son domicile, il le dépose dans son salon. Même manège le lendemain, et des semaines durant, le tournage de L’Exorciste s’éternisant bien au-delà du calendrier prévu. Explication : le perfectionnisme sans concession de William Friedkin. « Une expérience aussi satisfaisante que traumatisante » avoue Dick Smith. « Sept jours sur sept, j’étais là, tellement épuisé et sollicité que j’ai craqué. Avant même que l’on ne tourne, j’avais déjà cumulé trois mois d’intense préparation avec un seul assistant, Rick Baker. Un jour, je me suis fâché avec William Friedkin. Au terme d’une violente dispute, j’ai quitté le plateau. Nous nous sommes rappelés et les choses se sont à ce point améliorées que nous sommes devenus les meilleurs amis du monde. »


De L’Exorciste, Dick Smith sort certes essoré, mais aussi grandi, célèbre. Désormais, les sollicitations se multiplient, toujours pour des vieillissements, mais plus seulement. Naturellement, il rempile pour L’Exorciste II : l’hérétique avec, cette fois, des effets spéciaux plus pondérés, John Boorman empruntant une autre voie que celle de William Friedkin. « Je me suis surtout consacré à un autre possédé, le jeune Noir » précise-t-il. Un maquillage sans effusion, qui passe pratiquement inaperçu dans cette suite ésotérique, que le réalisateur veut soft. 

MASTER OF HORROR 

Le succès de L’Exorciste est tel que le nom de Dick Smith devient « bankable », attrayant, du jour au lendemain. Un argument commercial à lui seul, synonyme de frissons garantis. Certains producteurs le comprennent immédiatement et le propulsent au plus haut de l’affiche. 

Le producteur de La Sentinelle des maudits est le premier à capitaliser sur son nom, en dépit d’une contribution relativement modeste, dont la lame d’un couteau tranchant net un nez constitue le point d’orgue. « Sans doute l’un des trucages les plus gore, les plus réalistes de toute ma carrière » reconnaît-il. « En revanche, je suis beaucoup plus réservé sur le film lui-même. Malheureusement, ce n’est pas le seul navet sur lequel j’ai travaillé. » Et le brillant maquilleur de citer également Spasms, récit de la relation télépathique entre un milliardaire et une entité reptilienne. Clou du spectacle : une tête qui se déforme monstrueusement pour gonfler et éclater. « Les meilleurs effets spéciaux ne sauveront jamais les projets mal conçus, mal ficelés. Il faut parfois travailler comme un malade et inventer des trucs dont on est très satisfait, puis déchanter devant le film. » 

Dick Smith se montre plus satisfait du Fantôme de Milburn, récit de la vengeance d’outre-tombe d’une femme dont le fantôme requiert plusieurs étapes de putréfaction et autant de répliques de l’actrice Alice Krige. « L’un des mannequins articulés n’a pas été retenu par le réalisateur : un buste sans visage, mais dont l’énorme bouche, édentée, s’ouvre démesurément. En 2000, William Malone m’a demandé la permission d’en exploiter une copie conforme dans La Maison de l’horreur. » 

Scanners de David Cronenberg compte parmi les prestations les plus marquantes d’un Dick Smith hissé au rang d’« horror star » dans les années 70 et 80. Encore que les effets spéciaux ne portent pas tous sa signature, la responsabilité des explosions crâniennes revenant à Gary Zeller. Lui se charge des stigmates physiques qui précèdent, notamment d’abondants saignements oculaires. « Quand Dick m’a annoncé qu’il allait travailler sur mes yeux pour simuler une hémorragie, j’ai pris peur » explique Stephen Lack, l’acteur principal. « Sachant très bien manipuler les gens pour obtenir ce qu’il voulait, il m’a simplement dit : « On va seulement t’auditionner les yeux ouverts ! ». Ce qui impliquait un moulage de ma tête, avec une coquille de plastique sur mes yeux qu’on avait légèrement engourdis avec de la novocaïne. Dix interminables minutes pour un claustrophobe. À partir de là, Dick a fabriqué un buste dont il m’a fait cadeau. Je l’ai toujours et il m’arrive de le montrer dans des conventions. » 

ESPOIRS DÉCUS 

Davantage encore que Le Fantôme de Milburn, Spasms et Scanners, Au-delà du réel donne du fil à retordre à Dick Smith. Son scénario prévoit la régression de Jessup, le scientifique incarné par William Hurt, vers une forme de vie primitive, un magma organique dont les caractéristiques humaines disparaissent au terme de violentes convulsions. « À l’origine, il était question que j’élabore mes effets spéciaux d’après les oeuvres de David Sosalla, un sculpteur alors très connu. Ne tenant pas compte de mon avis, il a imaginé des concepts qui, d’un point de vue morphologi [...]

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