Légendes : Dick Smith 1ère partie

De tous les maquilleurs qui ont oeuvré dans le cinéma, Dick Smith compte parmi les plus importants, ceux dont la contribution a perduré au-delà de sa disparition, survenue l’été dernier. Passé maître dans l’art de transformer en centenaire des jeunots d’une vingtaine d’années, il est même parvenu à rendre son travail invisible…
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Le 30 juillet 2014, Dick Smith rend son dernier souffle. Il avait 92 ans. Mort d’un géant. De l’un de ces artisans qui a permis à tout un métier de sortir de l’ombre. « On lui doit tout », « Il nous a tout appris », « Une influence considérable »… Les hommages pleuvent. Tous les cadors des effets spéciaux de maquillage des années 80 et 90 reconnaissent l’immensité de son talent, en même temps que sa gentillesse. « Mon ami, mon mentor » regrette Rick Baker. Guillermo del Toro tient les mêmes propos. « Il m’a aidé par correspondance à créer les maquillages de Cronos » assure le réalisateur de Pacific Rim. « Personne au Mexique ne le pouvait ! Je l’ai finalement rencontré à New York, en 1987. Il m’a reçu comme s’il me connaissait depuis des décennies. Il s’est montré incroyablement ouvert et gentil. Au terme d’un dîner avec mes parents, ma femme et moi, il est devenu un membre de la famille à part entière. »

Guillermo del Toro ne perdra jamais le contact avec Dick Smith. Pendant des années, les deux hommes s’écriront « des douzaines et des douzaines de lettres », se rencontreront… Nul doute que si le premier avait encore été en activité au moment des Hellboy et du Labyrinthe de Pan, le second l’aurait engagé, au moins à titre de consultant. Mais, dès la seconde moitié des années 90, Dick Smith pose ses instruments. Une semi-retraite bien méritée.

APPRENDRE SUR LE TAS 

« J’ai fait mes débuts il y a 50 ans » explique Dick Smith. « Si je suis venu au maquillage, c’est pour avoir vu Quasimodo quand j’étais gamin. La transformation de Charles Laughton m’a fortement impressionné, comme l’année suivante, celle de Spencer Tracy en Mr Hyde. » Dès lors, l’adolescent ne rêve que de monstres. Particulièrement ceux de Jack Pierce pour Frankenstein et Le Loup-garou de la Universal. Un jour, particulièrement inspiré, il se grime en Mr Hyde et surgit devant ses camarades d’école. « Leurs réactions terrifiées m’ont comblé » rigole-t-il. « Croyant à un maniaque, le policier du campus m’a poursuivi. »

Étudiant à Yale, Dick Smith suit un cursus d’ingénieur en mécanique, puis change de braquet dans la perspective d’exercer la profession de dentiste. « Je voulais surtout revêtir la blouse blanche que portaient alors tous les maquilleurs de cinéma. Je l’avais vue sur Jack Pierce ! » Motivé, le jeune homme envoie des lettres de candidature spontanée aux studios et producteurs. En vain. « Je n’ai alors trouvé comme travail que la fabrication, pendant six mois, de moulages de troncs d’arbre et de faux lichen à base de peinture, au service « préparation » du Musée d’Histoire naturelle de New York. » 

 

Déçu que les portes des plateaux de cinéma lui soient fermées, le jeune homme tient alors compte d’un conseil de son père : solliciter les télévisions qui, au milieu des années 40, montent en puissance. « À raison de 50 dollars par semaine, NBC m’a engagé. Une chance extraordinaire. Nous étions en juin 1945 et je n’avais que 23 ans. Je ne connaissais rien du maquillage sinon ce que j’avais lu dans un manuel assez minable. Autrement dit, j’ai tout appris par moi-même. » Et vite ! Dans l’organigramme de sa profession, Dick Smith prend rapidement du galon. En moins de cinq ans, il se retrouve à superviser le travail d’une équipe de 20 personnes. Toutefois, le travail qu’on lui demande n’a rien de bien spectaculaire : il s’agit surtout, comme au cinéma, de dissimuler les défauts de l’épiderme sous les éclairages vifs des projecteurs. Du maquillage de beauté.

 

Plus que l’usage quotidien de fond de teint, Dick Smith se passionne tout particulièrement pour le vieillissement artificiel des comédiens. Un travail fréquent, mais archaïque et approximatif. « Pendant une dizaine d’années, j’ai testé diverses techniques sur Vaughn Taylor, l’un des acteurs les plus régulièrement employés par NBC. Un vrai cobaye pour moi. Heureusement, il se prêtait au jeu de bonne grâce. » Le jeune homme apprend, tâtonne, expérimente, avoue ses erreurs, notamment sur un épisode de la série Kraft Television Theatre pour lequel il doit métamorphoser un trentenaire en quête de la jeunesse éternelle en vieillard. « Je me suis donné du mal à fabriquer un masque en latex aussi détaillé que possible. À l’oeil nu, le résultat me paraissait satisfaisant mais, filmé, c’était une catastrophe. » Une bonne leçon, dont Dick Smith apprendra beaucoup. Immédiatement, il s’engage à faire mieux sur La Dame de pique, captation d’un opéra de Tchaïkovski. Il confectionne un masque à ce point réaliste pour la cantatrice Winifred Heidt que le réalisateur lui refuse tous les gros plans prévus. « Je cherchais constamment à m’améliorer » explique le maquilleur qui, dans l’exercice, se plie à la technique du masque intégral, « de la première ligne des cheveux à la pomme d’Adam. » 

Conscient que ce mode opératoire limite la mobilité des traits et donc l’expressivité des interprètes, il teste – toujours sur Vaughn Taylor – des prothèses de vinyle adhésif. En l’occurrence, des poches sous les yeux, une lèvre inférieure, des bajoues et un double menton. Belle transformation de l’acteur, mais procédé à haut risque : pendant que les caméras tournent, deux éléments du puzzle facial tombent. Pas bien grave sauf qu’à l’époque, les téléfilms s’appelaient encore « dramatiques » et se tournaient en direct. La faute à une matière résistant à la colle.

« On progresse en tirant des leçons de ses erreurs » admet Dick Smith. « Je peux dire que j’ai mis de longues années à devenir un bon maquilleur. » Soit une bonne part des années 50, durant lesquelles, parallèlement à une abondante activité sur les plateaux TV, il touche au cinéma, travaillant pour Joseph L. Mankiewicz (La Maison des étrangers), Henry Hathaway (Les Marins de l’Orgueilleux, Appelez nord 777, La Fureur des hommes) et William A. Wellman (Le Rideau de fer), le plus souvent sans être crédité au générique. Des prestations secondaires, guère plus spectaculaires que de petites blessures au visage. « En réalité, le premier film de cinéma sur lequel j’ai travaillé est Misty, un divertissement familial avec des poneys. Nous avions à peine commencé à tourner que je me suis blessé à l’annulaire de la main gauche, à cause de mon alliance, en sautant d’une camionnette. J’ai dû être amputé. Je suis resté des mois en arrêt maladie avant de reprendre mon activité. »

ALICE, CYRANO, QUASIMODO ET LES AUTRES 

Durant les années 50, le cinéma continuant à le bouder, Dick Smith se met au service des sociétés de production TV. Ce qui lui amène beaucoup d’opportunités, exceptionnelle en ce qui concerne la version 1955 d’Alice au pays des merveilles. « J’en suis d’autant plus fier que, pour la première fois, j’ai utilisé de la mousse de latex dans la fabrication des prothèses, des masques que j’ai voulus aussi proches que possible des dessins originaux qui accompagnaient le livre de Lewis Carroll. » Jolie réussite. En revanche, Dick Smith se montre plus circonspect avec l’appendice nasal du Cyrano de Bergerac incarné par José Ferrer. « José en était content. Pas moi. Je jugeais ce nez pas assez réaliste. » Autre comédien satisfait, Laurence Olivier, dans une adaptation TV du roman L’Envoûté de W. Somerset Maugham « Il s’est montré si heureux de sa transformation en lépreux qu’il m’a dit [...]

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Commentaire(s) (1)
banditmanchot
le 21/11/2014 à 17:38

Article d'anthologie, dossier blindé, du 100% pur MAD.

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