Légendes : Daria Nicolodi
Si elles sont nombreuses à s’être distinguées dans les films fantastiques ou d’horreur italiens, elles sont en revanche rares, très rares, à en être devenues des reines, des icônes. Il y a la Britannique et sombre Barbara Steele, et qui d’autre ? Peut-être Catriona MacColl pour ses trois collaborations avec Lucio Fulci… et Daria Nicolodi. Surtout elle.
Née le 19 juin 1950 à Florence, Daria Nicolodi grandit dans une famille d’intellectuels, avec un père avocat et une mère philologue, spécialiste de la philosophie grecque. « Ma grand- mère, Yvonne Müller Loeb Casella, a beaucoup compté dans mon enfance. Juive parisienne, elle avait côtoyé Jean Cocteau et m’avait communiqué le goût des sciences occultes. Je me souviens que dès mes six ans, elle me racontait des histoires que l’on ne raconte généralement pas aux enfants de mon âge. Elle me parlait même de certains textes de l’Apocalypse. Elle m’a aussi appris le français. »
À quatorze ans, au contact de camarades, l’adolescente exprime une irrésistible envie de jouer la comédie. Ce qu’elle fait d’abord dans plusieurs troupes de théâtre amateur de Florence et de sa région. « Admise à l’Académie d’Art dramatique de Rome, j’ai suivi les cours de Luca Ronconi, un jeune metteur en scène dont j’avais aimé un spectacle. Le jour où il a eu besoin d’une jeune femme pour une pièce montée dans le cadre d’un festival d’art dramatique à Venise, il m’a appelée. C’est ainsi que j’ai débuté. » Sur les planches donc, puis au cinéma, avec Rara film, une petite chose expérimentale du musicien Sylvano Bussotti. « À l’écran, pendant une heure trente, vous n’aviez que des femmes qui pleuraient. Je pleurais, moi aussi, avec les cheveux qui me cachaient le visage. » Et Daria Nicolodi d’enchaîner sur un deuxième film d’avant-garde : « Une réalisation de mon premier mari, le sculpteur Mario Ceroli. J’y incarnais une muette qui ramenait une statue de bois à la vie. » Un exercice dont tous semblent avoir oublié le titre et qui, en toute discrétion, marque les premiers pas de la comédienne dans le fantastique.
Autant Rara film que le Mario Ceroli ne sont pas inscrits dans les filmographies officielles de la comédienne, sa carrière débutant – sur le papier – par Les Hommes contre, pamphlet antimilita- riste de Francesco Rosi sur fond de Première Guerre mondiale. Dans les habits d’une infirmière, Daria Nicolodi n’y fait qu’une apparition. Plus substantielle s’avère sa prestation de maîtresse dans La Propriété, c’est plus le vol d’un autre géant du cinéma italien, Elio Petri. « Je l’ai jouée comme le voulait le réalisateur, avec des yeux très bleus, une bouche très rouge et toujours très peu vêtue. Quelque chose qui va totalement à l’encontre de ma propre personnalité, et c’est justement ce qui l’a rendue très stimulante à interpréter. » Surtout que son érotisme s’exprime par des fantasmes morbides, un bas sur le visage rendant l’une de ses « chevauchées » d’Ugo Tognazzi plus inquiétante que torride.
SOUVENIRS D’ENFANCE
La critique et le public ne sont pas les seuls à remarquer Daria Nicolodi dans La Propriété ; à une avant-première, un certain Dario Argento la trouve tant à son goût qu’il appelle Elio Petri pour obtenir son numéro de téléphone. Il imagine déjà la jeune femme dans la peau de Gianna Brezzi, l’intrépide journaliste des Frissons de l’angoisse. « Ironiquement, lorsque je me suis présentée aux auditions, Dario ne semblait pas se souvenir de moi » pointe la comédienne. « Pourtant, nous nous étions rencontrés, brièvement certes, à l’aéroport de Fiumicino de Rome. Avec Mario Ceroli, j’étais sur le départ pour l’Amérique. Accompagné de sa liaison du moment, Marilù Tolo, son interprète de Cinq jours à Milan, il partait pour des vacances en Afrique. Pas très heureuse en ménage, j’ai remarqué que Dario ne l’était pas plus que moi. Nos regards se sont croisés et, un instant, j’ai pensé : « Et puis merde, je devrais plutôt embarquer avec lui ! ». De son côté, Dario n’a pas eu le courage de venir me parler. Les circonstances ne jouaient pas en notre faveur et nous avons attendu un an avant que notre liaison puisse enfin démarrer. » Justement grâce aux Frissons de l’angoisse, ce giallo labyrinthique que le réalisateur met sur pied dans le seul but de retrouver le public qu’il avait perdu avec la comédie historique Cinq jours à Milan. « J’ai adoré le scénario » s’emballe Daria Nicolodi. « Le personnage de Gianna Brezzi me changeait tellement des femmes fragiles et vulnérables que j’avais incarnées jusqu’alors. Dario m’a avoué qu’il avait deviné en moi une personnalité beaucoup plus forte que celle que je paraissais avoir, qu’il allait m’aider à explorer cette facette de moi-même. En fait, d’une nervosité proche de la frénésie, Gianna Brezzi est la réplique exacte de ce que Dario était lorsqu’il exerçait la profession de journaliste au Paese Sera. Au fil des jours, de plus en plus en phase avec le personnage, je me masculinisais littéralement. Au final, l’expérience fut extraordinaire, tellement plaisante. Heureusement que je n’ai pas suivi les conseils de mes amis, des intellectuels pour la plupart. Ils me disaient : « Daria, ce type n’a tourné qu’un seul bon film auparavant, L’Oiseau au plumage de cristal ! Pourquoi es-tu si pressée de jouer dans le prochain ? ». »
Sans doute un peu aveuglée par les sentiments qu’elle porte au jeune cinéaste, Daria Nicolodi ose le changement de registre, coiffant ainsi au poteau des dizaines de candidates. « J’ai vraiment pris plaisir à tourner Les Frissons de l’angoisse » confirme-t-elle. « Un bonheur de tous les instants. Un jour, sur le plateau, je me souviens m’être dit : « J’aime ce film, j’aime cet homme, j’aime son imagination, j’aime son enthousiasme et je veux être avec lui. ». Au-delà de l’expérience professionnelle unique, j’ai vécu une passion extraordinaire. J’étais si heureuse que, je le crois, cela se voit à l’écran ! »
Plus tard, Daria Nicolodi déchantera quelque peu en apprenant qu’en France, le distributeur coupe 35 minutes du film, diminuant ainsi l’importance de son personnage au profit de celui de David Hemmings. « Oui, Gianna Brezzi a été sacrifiée, mais Les Frissons de l’angoise reste cependant un beau film » annonce-t-elle, tout sourire. Grand succès, tant critique que financier, le giallo cimente les liens entre le réalisateur et l’actrice. Le 20 septembre 1975, les voilà parents d’une petite fille, Asia.
Davantage qu’une simple égérie, Daria Nicolodi prend une part active dans l’oeuvre et les choix artistiques de Dario Argento. Une authentique muse. La logique aurait voulu que, dans l’écume des Frissons…, le cinéaste ajoute un cinquième thriller horrifique à son tableau de chasse. « J’ai proposé à Dario d’abandonner le genre pour se consacrer à un film sur la magie » assure la comédienne. « En matière de giallo, il n’avait plus rien à prouver. Je lui ai parlé d’une histoire que ma grand-mère m’avait racontée quand j’étais gamine. Des faits qu’elle affirmait être véridiques. À quinze ans, ses parents l’avaient envoyée étudier le piano dans une école près de Bâle, en Suisse. Là, elle s’est aperçue que les professeurs n’enseignaient pas seulement la musique, mais également la magie noire. Elle en fut choquée, mais elle a aussi beaucoup appris sur le sujet. Le scénario de Suspiria repose sur ce souvenir. J’y ai aussi mêlé des éléments étrangers, de sources diverses. Notamment les Trois Mères, que j’ai découvertes dans la partie « Suspiria de Profundis » du livre Confessions d’un mangeur d’opium anglais de Thomas de Quincey : Mater Suspiriorum, Mater Tenebrarum et Mater Lachrymorum. En référence à Mater Suspiriorum, j’ai suggéré à Dario que Suspiria ferait un titre formidable ; il était d’accord. Pour nous documenter, nous avons voyagé, rencontré des sorcières. De vraies sorcières, des gens mauvais, très sombres. »
MAIN BASSE
Dario Argento se saisit des idées de sa compagne, conscient qu’il tient là les prémices d’un projet original, très différent de tout ce qu’il a accompli jusqu’à présent. Une authentique appropriation qui, dans le couple, génère de fortes turbulences. « Jusqu’à la dernière semaine de montage, j’ignorais si j’allai [...]
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