Légendes : Curt Siodmak

Avec au moins deux oeuvres majeures (LE LOUP-GAROU, VAUDOU) et quelques bons films (LA BÊTE AUX CINQ DOIGTS, LE RETOUR DE L’HOMME INVISIBLE…), Curt Siodmak compte parmi les scénaristes les plus efficaces de l’Âge d’Or du fantastique hollywoodien des années 30 et 40. Mais ce n’est là que l’une des cordes à l’arc d’un homme complexé par la figure du grand frère Robert…
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Quand, en 1926, il touche pour la première fois à l’univers cinématographique, Curt Siodmak le fait en catimini. Fritz Lang ayant interdit le plateau de Metropolis à la presse, le jeune homme et son épouse, la baronne Henrietta De Perrot, s’y glissent en tant que figurants. Des journalistes incognito, même si le premier a déjà oeuvré sur la rédaction d’intertitres allemands destinés aux courts-métrages burlesques de Mack Sennett.
À l’époque – l’Allemagne des années 20 –, Curt Siodmak entend bien vivre de sa plume. Il se refuse à trimer aux usines Siemens au terme d’un stage de plusieurs mois, ou d’exercer la profession de mathématicien, bien que ses diplômes universitaires et une situation économique plus que précaire l’y incitent fortement. Non, il opte pour l’écriture. Tout particulièrement la science-fiction, l’anticipation, sous forme d’essais, de nouvelles… Une direction à laquelle le prédestinaient d’ailleurs ses études scientifiques. Dans l’un de ses livres, il est question de téléportation. Dans l’autre, de quatre mouches tsé-tsé qui grossissent démesurément au fur et à mesure qu’elles pompent le sang des humains…L’écrivain débutant rencontre son premier succès littéraire avec Hochofen Zwei, un roman narrant une catastrophe industrielle. L’avance versée par son éditeur, il l’utilise en partie pour aider l’un de ses trois frères, Robert, à achever le long-métrage semi-documentaire Les Hommes le dimanche, illustrant un chassé-croisé amoureux dans le Berlin de l’époque. Le film rencontre à ce point les faveurs du public que les Siodmak sont engagés par la UFA, le plus grand studio du pays.
Tandis qu’il y suit une formation de scénariste, Curt Siodmak continue à publier des romans, la plupart flirtant avec la science-fiction. Le plus marquant : Le FP1 ne répond plus, tableau d’un aéroport flottant qui, construit au milieu de l’Atlantique, suscite des actes de sabotages de la part de sociétés rivales. Le livre n’attendra pas longtemps avant d’être porté à l’écran. Du cinéma catastrophe avant l’heure, doté d’un budget considérable. Dans ses trois versions (conjointement tournées avec des comédiens allemands, français et anglais), Le FP1 ne répond plus remplit les salles. En étant également le coscénariste, Curt Siodmak aurait dû en récolter les fruits mais, de confession juive, il doit précipitamment quitter l’Allemagne, désormais sous la coupe nazie. Hitler au pouvoir, il s’exile aussitôt à Paris ; il y écrit la comédie La Crise est finie pour son frère réalisateur. Puis il part pour la Grande-Bretagne.
À Londres, Curt Siodmak n’est pas attendu les bras ouverts. Il doit renoncer à une fantaisie historique située à Paris pendant l’Exposition universelle de 1867 (For Kings Only), se résigner à ce qu’Alfred Hitchcock ne mette pas en images les aventures de l’enquêtrice sourde-muette de The Deaf-Mute… Puis le vent tourne, lorsque la Gaumont-British, motivée par la réussite du FP1 ne répond plus, lui propose d’adapter le best-seller de Bernhard Kellermann, Der Tunnel. Un autre récit de prouesse technologique (ici, un tunnel creusé entre le Royaume-Uni et les USA), enrichi de nombreux éléments de science-fiction. Le film, Transatlantic Tunnel, reste le plus significatif parmi ceux auxquels Curt Siodmak se consacre durant son transit britannique. 

MONSTERS A GO-GO 

« Je suis arrivé aux États-Unis en 1937 » se rappelle-t-il. « Grâce à un agent, j’ai immédiatement trouvé un travail à Paramount, studio pour lequel j’ai commencé par écrire des comédies exotiques pour Dorothy Lamour. J’étais bien payé, 350 dollars hebdomadaires au début. J’ai loué une maison, embauché un serviteur philippin… » Le rêve américain, en somme. « Puis, par hasard, j’ai croisé une vieille connaissance, Joe May, comme moi un exilé allemand. Il devait bientôt tourner Le Retour de l’Homme invisible et ne disposait pas encore d’un scénario. Il m’a demandé de m’y atteler. Ma première mission chez Universal. Pas bien compliqué car, quelques années plus tôt, j’avais écrit La Puissance dans l’ombre. » Un roman prophétique qui, publié en 1937, raconte comment un physicien idéaliste invente la formule de l’invisibilité pour empêcher la Deuxième Guerre mondiale à force d’actes de sabotage. « Sans en reprendre l’intrigue, j’ai repris le thème du pouvoir qui rend fou », par le biais d’un innocent qui, pour se disculper du meurtre de son frère, met à profit un sérum d’invisibilité. « Le Retoura si bien marché que le studio m’a ensuite sollicité pour L’Agent invisible contre la Gestapo et La Femme invisible, un film de propagande anti-nazi et une comédie. J’y ai d’autant plus pris plaisir que je lançais des défis techniques à John Fulton, le responsable des effets spéciaux. Et, à chaque fois, il les relevait. »
Davantage encore que ces trois cas d’invisibilité, Le Loup-Garou contribue à la réputation de Curt Siodmak dans le fantastique gothique. « Je n’ai pas choisi de me frotter à ce genre, c’était une commande » souligne-t-il souvent. « Le réalisateur et producteur du Loup-Garou, George Waggner, m’a présenté les choses ainsi : « Voilà, nous disposons d’un budget de 180.000 dollars, de Lon Chaney Jr, Ralph Bellamy, Claude Rains, Warren William, Bela Lugosi et Maria Ouspenskaya, du titre The Wolf Man, et nous tournons dans dix semaines. Vas-y, fonce ! ». Sept semaines plus tard, le scénariste livre la « commande » en question, tragédie d’un brave type, Larry Talbot, affligé d’une malédiction familiale qui le métamorphose en bête enragée à chaque pleine lune. 
« J’ai imaginé cette histoire en me documentant au maximum sur le mythe, ses légendes, ses implications psychologiques… Je l’ai aussi construite sur le modèle de la tragédie grecque. Je ne m’attendais pas à un tel succès, Universal non plus. J’en ai profité pour solliciter une augmentation hebdomadaire de 25 dollars, mais le studio l’a rejetée. Pendant ce temps, le producteur exécutif Jack J. Gross s’octroyait une prime de 10.000 dollars, et George Waggner offrait une superbe bague en diamant à sa femme. » Injuste, même si, dès lors, le scénariste entre dans la période la plus active de sa longue carrière. Désormais, dans le registre du fantastique gothique, toutes ses idées sont les bienvenues, y compris les plus saugrenues. « Un jour, pour plaisanter, j’ai lancé : « Et si on enchaînait sur Frankenstein contre le Loup-Garou ? ». George Waggner m’a pris au sérieux ; il m’a prié de me mettre aussitôt au boulot ! Ce qui tombait bien : j’avais besoin d’argent pour m’acheter une voiture neuve ! Ensuite, dans La Maison de Frankenstein, j’ai réuni les trois grands monstres de la Universal, soit la Créature de Frankenstein, le Loup-Garou et Dracula. Je n’en ai écrit que le synopsis et je n’ai jamais vu le résultat à l’écran. En tout, pour Universal, j’ai travaillé sur 27 films ! » Le Fils de Dracula n’est pas le moins singulier du lot. Il scelle l’unique cohabitation de Robert et Curt Siodmak au générique d’une production américaine. Encore que celle-ci se déroule dans des circonstances particulières… « Robert avait quitté la Paramount qui lui imposait une méthode de travail très stricte » assure le second. « Sa situation financière était désormais telle que, presque tous les jours, je demandais à Jack J. Gross s’il n’avait pas un travail à lui donner. C’est tombé sur Le Fils de Dracula dont j’avais justement signé le scénario. Robert a d’abord choisi de me virer, préférant retravailler l’histoire avec Eric Taylor. D’expérience, il savait que nos tempéraments ne se prêtaient pas à une collaboration. Le Fils de Dracula a relancé sa carrière, bien que je considère que Lon Chaney Jr soit, en vampire, une erreur de casting. Le rôle aurait mieux convenu à Bela Lugosi. Un incident s’est produit pendant le tournage. Ivre, Lon Chaney a cassé un vase sur la tête de mon frère qui, appréciant les personnalités excentriques, l’a bien pris ! »
Ses dispositions pour le fantastique, Curt Siodmak ne les met pas uniquement au ser [...]

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