Légendes : Carlo Rambaldi

Le parcours de Carlo Rambaldi est aussi singulier que spectaculaire. Celui d’un bricoleur qui passe son enfance à fabriquer ses jouets et qui se retrouve, un peu par hasard, sur des plateaux de cinéma en pénurie de profils comme le sien...
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Venu au monde le 15 septembre 1925 à Vigarano Mainarda, une petite localité d’Émilie-Romagne, Carlo Rambaldi ne se destine nullement au cinéma au terme de ses études à l’Institut des Beaux Arts de Bologne, en 1951. « Je voulais peindre, sculpter » explique ce bricoleur né, fils d’un mécanicien. Et dessiner, pourrait-il ajouter, lui qui en 1948 et 49 met ses crayons au service de gazettes locales, d’agence de « réclame » comme on dit alors. Ses tableaux, très influencés par Picasso, rencontrent même un certain succès auprès de la critique. « Parallèlement, je me suis également intéressé à l’anatomie humaine, à la manière dont la mécanique pouvait reproduire un mouvement naturel » pointe-t-il. « Cela me fascinait tout en présentant, selon moi, une dimension artistique. » 
En 1956, l’artiste en herbe fait très discrètement ses débuts cinématographiques à l’occasion d’un court-métrage commandité par une fédération de pêche, Pescatori di sturgeon. Il en est non seulement l’auteur et le réalisateur, mais il fabrique également pour l’occasion trois esturgeons dont un entièrement mécanisé, mais tous si réalistes qu’ils passent incognito au milieu des vrais. « Pour le montage, je me suis rendu à Rome » poursuit-il. « Un technicien a remarqué mes faux poissons et en a parlé au réalisateur Giacomo Gentilomo. » Alors à l’oeuvre sur Le Chevalier blanc, illustration de la légende de Siegfried et de l’anneau des Nibelungen, Gentilomo bute sur un obstacle : un dragon cracheur de feu, élément indispensable à l’histoire. « J’en ai construit un de seize mètres, grandeur nature ! » exagère Carlo Rambaldi. « Il était entièrement mécanique. Pour l’activer, quatre gars se tenaient à l’intérieur de sa carcasse fabriquée à l’aide de bois et de mousse de latex. Il n’a pas coûté très cher. » Bien que le monstre, cloué au sol, se ne dresse jamais sur ses pattes et répète inlassablement le même mouvement du cou, l’effet spécial constitue pour son créateur la meilleure des cartes de visite. « Désormais, je faisais du cinéma sans même l’avoir cherché » s’amuse-t-il.




SUR TOUS LES FRONTS 
Le Chevalier blanc assurant sa promotion, Carlo Rambaldi fait de plus en plus fréquemment la navette entre son atelier et les plateaux de cinéma, d’abord très sollicité dans le péplum, qu’il soit mythologique ou historique. Ainsi concocte-t-il la peluche géante et cornue de Thésée et le Minotaure, la plante carnivore (neuf mètres de diamètre) de La Vengeance du colosse, le cyclope du Géant de Thessalie, le dragon et la Méduse (très originale) haute de 3,5 mètres de Persée l’invincible, le serpent de mer de Maciste contre les monstres… Pour La Vengeance d’Hercule, Vittorio Cottafavi est plus exigeant que ses petits camarades : un énième dragon, Cerbère le chien à trois têtes, une chauve-souris géante et un centaure ! Un impressionnant bestiaire bricolé avec les moyens du bord, souvent bien sommaires. « À la même époque, j’ai aussi contribué à de grosses productions américaines ou à des coproductions » précise l’artiste « Pour Barabbas, j’ai par exemple fabriqué un mannequin de gladiateur qui, pris dans un filet, était traîné par un char, ainsi qu’un ours et un mannequin de Silvana Mangano destiné à recevoir des pierres. Pour Cléopâtre, on m’a commandé les serpents qui, à la fin, mordent Elizabeth Taylor. » Alors inconnu du grand public, Carlo Rambaldi n’est pas mentionné au générique des deux films, « oubli » fréquent durant la première moitié de sa carrière. « Dans les années 1960 et 1970, on me commandait fréquemment des animaux impossibles à apprivoiser » précise-t-il. « Je me souviens avoir fabriqué des araignées, un corbeau et différents reptiles. La Via dei babbuini m’a permis d’élaborer un crocodile de quatre ou cinq mètres capable de nager grâce à une hélice et de marcher sur la terre ferme grâce à un moteur. » L’expert en effets spéciaux élargit occasionnellement son registre avec des animaux domestiques, en particulier les chiens du Venin de la peur, victimes d’une atroce vivisection dans un laboratoire. « La séquence était si réaliste que Lucio Fulci et son producteur ont été traînés devant un tribunal par trois associations. Ils auraient probablement été condamnés à une peine sévère pour cruauté animale si je n’avais pas apporté la preuve qu’il s’agissait de marionnettes, de poupées ! » L’année suivante, le même Fulci lui demande de concevoir la chute dans le vide de Marc Porel pour La Longue nuit de l’exorcisme ; il s’exécute avec une telle inventivité que le visage du mannequin utilisé explose littéralement contre les rochers…
Quatre ans après Le Venin de la peur, Carlo Rambaldi intervient à nouveau devant la justice, cette fois pour certifier, pièce à conviction à l’appui, que le touriste dévoré par les lions du pseudo documentaire Les Derniers cris de la savane n’est pas un estivant imprudent, mais un mannequin bourré de viande. Illusion parfaite. Comme les reproductions de Raquel Welch, Virna Lisi, Nathalie Delon, Agostina Belli et consoeurs pour les besoins du charnier découvert dans la chambre froide du Barbe-bleue d’Edward Dmytryk, le mannequin de Sydne Rome projetée à travers un pare-brise pour La Baby Sitter… En résumé, Carlo Rambaldi sait tout faire avec une discrétion qui force le respect. Des ailes pour l’ange de Barbarella à 72 heures du tournage de la séquence ? Aucun problème. Des armures aussi imposantes que légères sur requête d’Orson Welles pour Falstaff ? Très bien. Gérard Depardieu qui, muni d’un couteau électrique, se tranche le sexe dans La Dernière femme ? Le Marcello Mastroianni de La Grande bouffe figé dans sa Bugatti ? Double satisfaction de Marco Ferreri. Un foetus dans un ventre ouvert ? Il en est capable, en l’occurrence pour les besoins du Salon Kitty (aka Les Nuits chaudes de Berlin) de Tinto Brass… Quant au Pier Paolo Pasolini des Contes de Canterbury, il lui délègue la création d’un diable qui, en position de déféquer, expulse six moines de son derrière. Même Federico Fellini (Juliette des esprits) et Luchino Visconti (Ludwig – le crépuscule des dieux) toquent désormais à la porte de son atelier ! 




LES QUATRE MAÎTRES 
Naturellement, les talents de Carlo Rambaldi se déploient dans l’horreur. Il y cumule notamment Vierges pour le bourreau, La Nuit des diables, La Proie des vierges, L’Antéchrist, Les Orgies de Frankenstein 80, Lady Frankenstein, cette obsédée sexuelle, Chair pour Frankenstein et Du sang pour Dracula… Un festival de têtes coupées et de faciès cauchemardesques. Les plus grands maîtres du genre recourent à ses services, Mario Bava en premier lieu. Pour lui, Carlo Rambaldi multiplie les prestations : des maquettes au milieu desquelles se tient un géant (Les Mille et une nuits), des ossements extraterrestres (La Planète des vampires), un crotale (Roy Colt & Winchester Jack), le loup de John Phillip Law (Danger : Diabolik !), des sévices gores (La Baie sanglante, Baron vampire)… « Un génie, un authentique Géo Trouvetou » dit de lui le réalisateur, en connaisseur. La plus belle réussite de leur collaboration demeure cependant Polyphème, le cyclope de l’un des épisodes de la série L’Odyssée. « À la demande de Mario, j’ai élaboré un masque intégral dont l’oeil unique était manoeuvré par des câbles cachés sous le latex et dans les cheveux » décrit Carlo Rambaldi. « Si les deux premiers essais se sont soldés par des échecs, le troisième fonctionnait parfaitement. Le revêtement intérieur du masque était si souple que l’acteur pouvait jouer sans que les mouvements de sa bouche ne fassent bouger le reste. » Une inconvénient cependant, relevé par Mario Bava : la chaleur dégagée par le trucage, qui manque de cuire l’interprète !
Après avoir longtemps travaillé avec Mario Bava, Carlo Rambaldi se met naturellement au service de Dario Argento. Il convainc d’abord ce dernier d’inclure dans 4 mouches de velours gris une machine capable de révéler la dernière image vue par les défunts. Leur deuxième film en commun sera Les Frissons de l’angoisse, pour lequel Rambaldi crée surtout le troublant automate de porcelaine au crâne fracassé. Des contributions modestes par leur durée à l’écran, mais essentielles sur le plan dramatique. Comblé, Dario Argento ne tarit pas d’éloges à son sujet : « Un génie et un grand ami » déclare-t-il. « Son esprit ne s’arrête jamais. Vraiment quelqu’un de très intelligent. Si certains créateurs d’effets spéciaux sont d’abord des techniciens, C [...]

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