Légendes : CANDYMAN

Candyman

Né sous la plume de Clive Barker et « réinventé » par Bernard Rose, le boogeyman Candyman commence fort et finit mal. Grandeur et décadence express d’un croquemitaine tragique devenu, en dépit de sa déchéance cinématographique, une icône du cinéma fantastique.
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En cette année 1992, les producteurs oeuvrant dans le fantastique et l’horreur ne semblent guère enclins à prendre le risque de la nouveauté. Ils préfèrent les supposées garanties apportées par les suites, si l’on en juge par le bal des séquelles qui se joue alors : se bousculent sur les écrans, grands ou petits, Simetierre 2, Hellraiser III, Prom Night IV : Deliver Us from Evil, Evil Dead 3, Stepfather 3, Waxwork II : perdus dans le temps, Critters 2, 976-Evil II… Dans ce morne paysage se distingue un Candyman qui suscite l’intérêt par la personnalité de deux de ses artisans : le réalisateur/scénariste Bernard Rose, dont le Paperhouse atteste d’une sensibilité en rupture avec les conventions du genre, et le producteur Clive Barker, romancier auquel Hellraiser ouvre les portes du cinéma. Deux natures dont la rencontre ne pouvait aboutir qu’à une oeuvre elle-même unique : Candyman donc, adaptation par Rose de la nouvelle Lieux interdits (The Forbidden en VO) publiée dans Prison de chair, le cinquième Livre de sang de Barker.
« Au départ, ce n’était pas Lieux interdits que je devais porter à l’écran, mais un autre des récits du recueil » souligne Bernard Rose. « C’est Steve Golin, un producteur avec lequel j’avais déjà travaillé pour Playboy Channel, qui m’a contacté. Je voulais revenir au fantastique à la Paperhouse, un peu pour me refaire de l’échec de Chicago Joe et la showgirl », un film noir rétro avec Kiefer Sutherland, aussi esthétisant que raté. En parcourant l’anthologie de contes macabres de Barker, Bernard Rose tombe sur cette histoire d’une trentaine de pages située dans l’un des quartiers les plus populaires de Liverpool, la ville des Beatles. « La mienne aussi » glisse l’auteur. « J’y ai grandi au sein d’un milieu ouvrier. Un endroit très dur, lugubre. » Sous sa plume, une étudiante découvre sur les murs dudit quartier des graffitis se référant à « Candyman », une sorte de croquemitaine local, de légende urbaine. « Il m’a été soufflé par une histoire que j’ai entendue pendant mon enfance. Celle d’un type évadé de l’asile et armé d’un crochet » poursuit l’écrivain. 

 

QUARTIER INTERDIT 

« J’ai appelé Clive Barker à propos des droits de Lieux interdits, ils étaient toujours disponibles » poursuit Bernard Rose. « Il m’a accordé une option gratuite car, fauché, je n’étais pas en mesure de les acheter. Très généreux de sa part. Et ça m’a permis de me mettre à l’écriture en toute quiétude. Clive a ensuite accepté de négocier les droits sous réserve qu’on lui donne un poste de producteur. » Si le créateur de la franchise Hellraiser se range à la cause du jeune cinéaste, c’est également pour avoir beaucoup aimé Paperhouse. « J’avais aussi grandement apprécié ses clips érotiques produits par Propaganda pour Playboy Channel. Des courts-métrages visuellement sophistiqués, inventifs » ajoute Clive Barker, heureux de ne pas avoir pas à traiter avec un tâcheron. « À partir du moment où les filles se déshabillaient, j’étais libre d’y faire ce que je voulais ! » en plaisante le réalisateur. « J’ai fini par parler de Lieux interdits à Steve Golin, lui annonçant que j’avais l’intention non seulement de tourner le film, mais également de l’écrire » témoigne-t-il. « Lorsque Steve a réalisé que je n’avais jamais rien écrit auparavant et qu’il m’avait tout de même payé, il a pété un plomb, envisageant même d’engager quelqu’un d’autre. J’ai alors rapidement terminé le script, Steve l’a lu et a aimé. Il a consenti à le porter à l’écran sans attendre. » Un projet monté avec une rapidité inédite. En six semaines, le producteur réunit un budget de 6 millions de dollars et trouve des distributeurs aussi solides que TriStar, pour les États-Unis.
Au total, Bernard Rose consacre neuf mois à la métamorphose de Lieux interdits en Candyman. « J’ai d’abord rencontré Clive Barker pour discuter de mes intentions. Bien qu’ayant son mot à dire, il n’a pas interféré dans mon travail. Il a compris les changements que je voulais apporter. » Des apports souvent importants, tel le rituel qui consiste à prononcer cinq fois le nom de Candyman devant une surface réfléchissante pour qu’il se manifeste. « J’ai emprunté ce principe à la légende urbaine de Bloody Mary, dont il faut dire le nom treize fois face à un miroir pour la voir y apparaître. Dans la première version du script, les personnages invoquaient par conséquent Candyman à treize reprises. Terriblement long. J’ai donc réduit ce nombre à cinq. » Cinq « Candyman » d’affilée pour invoquer l’esprit d’un homme mort plus d’un siècle plus tôt. Un certain Daniel Robitaille, fils d’esclave et peintre, assassiné par la populace pour avoir fait un enfant à une Blanche. Les lyncheurs lui scient d’abord la main droite, puis l’enduisent de miel afin qu’un essaim d’abeilles achève leur sinistre besogne.
Dans son adaptation, le réalisateur/scénariste modifie également la perception des faits illustrés. « Dans la nouvelle, tout est considéré comme réel, factuel. J’ai pris une autre direction en racontant l’histoire d’un autre point de vue, totalement subjectif. Celui de l’héroïne, de façon à ce que tout puisse uniquement se dérouler dans sa tête. J’ai également procédé à la délocalisation de l’intrigue, de Liverpool à Chicago. Chicago apporte un aspect plus universel aux événements, même si, en réalité, cette histoire pourrait se dérouler n’importe où. J’ai choisi Chicago parce qu’il s’agit une ville à l’architecture moderne, où le contraste entre quartiers riches et pauvres est beaucoup plus marqué qu’en Angleterre. »
À Chicago qu’il visite pour la première fois à l’occasion d’un festival de cinéma, Bernard Rose découvre l’endroit « idéal » : Cabrini Green, « une zone sous contrôle des gangs, la transposition de l’environnement gothique traditionnel dans un cadre urbain actuel. » Une décision pas anodine. « Cet endroit est une légende » sourit-il. « Tous les ans, il s’y produit un nombre incroyablement élevé de meurtres. Un secteur extrêmement dangereux. Nous n’avons rien inventé le concernant. Ainsi, lorsque Helen Lyle se lance dans des recherches à son sujet, les coupures de presse qu’elle consulte, qui portent sur des assassinats, sont authentiques. Même l’histoire du tueur se glissant d’un appartement à l’autre par l’armoire de la salle de bain repose sur des faits réels. Nous avons dû prendre certaines précautions avant de débarquer à Cabrini Green, en nous assurant l’assistance de l’antenne locale du commissariat de police et la coopération des représentants de la communauté. Pour amadouer les chefs des deux principaux gangs, nous avons engagé certains de leurs membres comme figurants. » Le réalisateur ne le confirme pas, mais la production verse aussi des pots-de-vin aux caïds du secteur. À Cabrini Green, la paix a un prix, y compris pour un séjour express de deux jours, sous bonne garde.
« Nous ne nous y sommes pas attardés ! Exception faite de quelques plans d’extérieurs très larges, la plupart des scènes du scénario situées dans la cité ont été tournées en studio. » Plus prudent effectivement. Surtout qu’en quittant les lieux, l’équipe essuie un coup de feu, une balle tirée depuis l’une des barres HLM traversant le toit d’un camion rempli de matériel. Un « au revoir », en somme. [...]

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