Légendes : Brian Clemens

Grâce à lui, Chapeau melon et bottes de cuir est devenu une fiction innovante, en phase avec son temps, culte dès sa diffusion. Autodidacte à peine scolarisé, le scénariste Brian Clemens a marqué le fantastique britannique, aussi bien sur le petit écran que sur le grand, où il a notamment contribué à façonner la légende Hammer.
Array

C’est le 10 janvier 2015 que Brian Clemens quitta ce monde, à l’âge respectable de 83 ans. Selon son fils Samuel, lors de ses derniers instants, il regardait un épisode de Chapeau melon et bottes de cuir, à l’issu duquel il déclara : « Je crois que j’ai fait du bon travail. ». Ses derniers mots, avant son dernier souffle.
Né le 30 juillet 1931 à Croydon, dans le Surrey, Brian Clemens commence très tôt à imaginer des histoires : à cinq ans, il écrit et illustre un petit roman, Brocky and the Bad Adder, récit des aventures d’un blaireau et d’un serpent. Deux autres suivent. L’année de ses dix ans, son ingénieur de père lui demande : « Que veux-tu faire quand tu seras grand ? ». Réponse : « Écrivain ! ». Un an plus tard, le gamin reçoit en cadeau une antique machine à écrire sur laquelle il tape avec seulement deux doigts. À douze ans, le jeune Brian connaît les honneurs de la publication rémunérée de l’une de ses nouvelles dans The Hospital Saturday Fund Magazine. Inondé de livres en tous genres (manuels techniques, Tolstoï…) par l’un de ses oncles, il se réfugie avec d’autant plus de gourmandise dans la lecture qu’il ne peut mener la vie normale d’un gamin de son âge. « Je souffrais de pneumonie chronique » explique-t-il. « J’étais si souffreteux que j’étais privé d’activité physique ; je ne pouvais pas même faire de vélo ou apprendre à nager avec mes camarades de classe. Un mot du médecin avertissait le maître-nageur que je ne pouvais pas me déshabiller pour me mettre en slip de bain. » La Seconde Guerre mondiale n’arrange rien. Comme tous les gosses de Londres, il est mis hors de portée du Blitz allemand, à la campagne. Direction Hitchin, dans le Hertfordshire, où sa scolarité s’interrompt : à la suite d’une bourde administrative, le rectorat de Hertfordshire le croit inscrit à Croydon… tandis que celui de Croydon le pense enrôlé à Hertfordshire. Résultat : Brian Clemens sèche durablement les cours. « Ma scolarité fut effectivement très brève » commente-t-il. « Je l’ai remplacée par la lecture et le cinéma. »



TRAVAIL À LA CHAÎNE 
À quatorze ans, déjà prêt à s’aventurer dans la vie active, Brian Clemens caresse l’espoir d’une carrière de journaliste. Perspective vite oubliée : il ne possède pas les diplômes requis. Faute de mieux, il se contente d’un petit boulot de coursier dans une agence de publicité. Sa santé s’améliorant peu à peu, le jeune homme effectue ensuite deux ans de service militaire en tant qu’instructeur en armes à feu. « Bien que je n’avais jamais tenu jusque-là un pistolet ou un fusil, je me débrouillais si bien au tir que, pendant tout ce temps, j’ai appris à des gens comment tuer d’autres gens. » Rendu à la vie civile, Brian Clemens reçoit une proposition de travail pour le moins inattendue : détective privé dans une agence spécialisée, sous condition qu’il suive une formation de deux ans à Leeds, dans la partie nord du pays. Il renonce, ne voulant pas s’éloigner de Londres. Plutôt que de jouer les apprentis Sherlock Holmes, il intègre l’agence de publicité J. Walter Thompson en tant que rédacteur. Mais il aspire à autre chose qu’aux slogans tapageurs des réclames : l’écriture de scripts. Il en envoie plusieurs à des producteurs, dont à la BBC qui se porte acquéreur de l’un d’eux, Valid for Single Journey Only, un thriller confiné dans un compartiment de train où deux voyageurs se font face. Une première satisfaction. « J’avais auparavant destiné à la BBC une première tentative, Murder Anonymous, mais j’avais été trop ambitieux ; il aurait fallu des dizaines de caméras pour filmer ça en direct ! Mes interlocuteurs ont néanmoins été sympathiques ; ils m’ont invité à déjeuner pour m’expliquer comment ça se passait, avant me faire visiter les studios. J’en ai eu tenu grandement compte et j’ai retenté ma chance. » Celle-ci tournera définitivement en sa faveur peu après. « Un soir, lors d’une partie de bridge, une joueuse m’a dit travailler pour les frères Danziger, des producteurs de cinéma, et que ceux-ci recherchaient constamment des scénaristes. Je suis allé me présenter à eux. » Harry Lee et Edward J. Danziger, des artisans de la série B low cost. « Quelle merveilleuse école ! » se rappelle Clemens. « Les Danziger ne possédaient pas leurs propres plateaux, ils les louaient. Ils allaient par exemple voir MGM et réservaient des décors des récentes productions. Ils venaient ensuite me voir pour me donner des instructions : « On veut que tu écrives un thriller d’une heure dix où on verrait l’intérieur d’un palais de justice, un sous-marin et une montgolfière. Nous pouvons disposer de ces décors pendant deux semaines. ». Cela pouvait aussi bien être la tombe d’un pharaon qu’une voiture de tramway. À moi d’intégrer tous ces éléments dans une histoire qui se tienne. » 
Brian Clemens inaugure sa collaboration avec les Danziger en 1956 avec Operation Murder, un suspense passionnel dans lequel un chirurgien suspecte sa séduisante épouse d’entretenir une relation avec son meilleur ami. Le premier d’une série d’une vingtaine de films, tous destinés à la deuxième partie de doubles programmes. The Depraved, On the Run, Links of Justice, The Child and the Killer, Web of Suspicion, High Jump, A Woman’s Temptation… Essentiellement des thrilers, pour beaucoup inédits en France, hormis Dans les griffes de la Gestapo. « Ces films se faisaient avec des budgets très réduits, généralement 17.000 livres. Leur tournage ne dépassait jamais les sept ou dix jours. Un épisode d’une série TV se bouclait en trois ou quatre jours. » Car, parallèlement au cinéma, les Danziger braconnent aussi du côté de la petite lucarne avec The Vise, The Cheaters, Man from Interpol« Qu’il s’agisse d’un long-métrage ou d’un épisode de série, j’étais rémunéré indistinctement » signale Brian Clemens. « Soixante livres la semaine. Ce n’était pas mal. Les Danziger utilisaient tout ce que j’écrivais, ils n’ont rien jeté. » Brian Clemens est plus particulièrement attaché à l’un des titres de cette période : The Tell-Tale Heart d’Ernest Morris d’après la nouvelle Le Coeur révélateur d’Edgar Allan Poe. Soit le cauchemar d’un homme qui, rongé par la culpabilité, entend battre le coeur du vieillard dont il a caché le cadavre sous son parquet. « D’un récit de trois pages, j’ai tiré un script pour un long-métrage d’un peu plus d’une heure. Un vrai défi. Je me suis si bien limité en décors que mon scénario aurait fait une bonne pièce de théâtre. Malgré les restrictions, c’est plutôt réussi, bien interprété. »
Pendant quatre ans, Brian Clemens ne travaille pratiquement plus que pour les Danziger, sur des programmes purement alimentaires. Formateur, sous réserve de quitter le nid avant de s’encroûter. « La série Destination danger m’en a fourni l’occasion » raconte le scénariste. « À l’époque, j’ai recruté un agent afin qu’il élargisse mes horizons. C’est par son intermédiaire qu’on m’a offert d’en écrire le pilote. Il savait que son créateur, Ralph Smart, avait besoin d’un sérieux coup de main. » Le héros de la série étant déjà défini – l’espion freelance John Drake –, le scénariste n’a plus qu’à imaginer un script qui le présente au public. Ce sera Le Paysage qui accuse, dans lequel Drake épingle les assassins d’un banquier lui-même coupable du détournement de cinq millions de dollars en lingots d’or. Brian Clemens fait si bien ses preuves que la production lui passe commande de huit autres scripts. Les bons chiffres d’audience de Destination danger lui donnent une nouvelle enverrute, et le voilà de plus en plus sollicité. « J’ai travaillé sur L’Homme invisible, Sir Francis Drake, Ivanhoé et d’autres. Je comptais parmi les dix scénaristes qui intervenaient sur pratiquement toutes les séries britanniques du moment. Si je n’avais pas été aussi occupé sur Chapeau melon et bottes de cuir, j’aurais certainement pu à collaborer à Robin des Bois et au Saint. »



UN MONDE À PART
S’il n’est pas le créateur de Chapeau melon et bottes de cuir, Brian Clemens exerce une énorme influence sur la série dès sa création en 1961, au point de se l’approprier et de la sculpter à son goût. « Je suis arrivé sur le projet au tout départ » se rappelle-t-il. « La chaîne ITV cherchait à réemployer Ian Hendry parce qu’il leur avait fait bonne impression dans Police Surgeon, qui n’a pourtant pas du [...]

Il vous reste 70 % de l'article à lire

Ce contenu éditorial est réservé aux abonnés MADMOVIES. Si vous n'êtes pas connecté, merci de cliquer sur le bouton ci-dessous et accéder à votre espace dédié.

Découvrir nos offres d'abonnement

Ajout d'un commentaire

Connexion à votre compte

Connexion à votre compte