Légendes : Bert I. Gordon
Figure du film fantastique et de science-fiction des années 1950 à 80 et historien de cette même sphère cinématographique, Forrest J. Ackerman le surnommait affectueusement « Mr B.I.G. ». B.I.G pour les initiales de son patronyme complet, Bert I. Gordon, et non pour son gabarit modeste, 1m65. B.I.G., surtout, pour le dénominateur commun de plus de la moitié de ses 22 réalisations. Car, dès ses débuts professionnels en 1954, Bert I. Gordon se pique d’intérêt pour les géants, les titans, tous ceux – animaux et humains – dont la taille atteint des proportions XXL.
Venu au monde le 24 septembre 1922 à Kenosha dans le Wisconsin, Bertram Ira Gordon grandit pratiquement dans les salles de cinéma. Dès l’âge de six ans, il engloutit tout ce qui lui tombe sous les mirettes : westerns, comédies, films d’horreur et de science-fiction, films de gangsters… « Tous les samedis et dimanches, ma mère me déposait dans la salle à dix heures et revenait me chercher pour dîner » déclare-t-il. « Les serials me tenaient tout particulièrement en haleine, grâce à leur cliffhanger. Après quelques années à ce régime, je suis devenu copain avec le gérant de l’établissement. » L’occasion de découvrir la cabine de projection, son fonctionnement… Dans ce cinéma, l’adolescent assiste aussi à des spectacles vivants, notamment les tours d’un magicien, dont celui qui consiste à enfoncer des épées dans une grosse boîte supposée renfermer une jolie assistante. « La confection des illusions me fascinait plus que les illusions elles-mêmes. La graine était plantée. Moi aussi, je me livrerai un jour à des tours de passe-passe ! » Bert I. Gordon n’attend pas longtemps pour s’y essayer. Il tente d’aborder de travailler les négatifs des clichés pris avec l’appareil photo offert par ses parents pour ses huit ans. « Bon, le résultat n’était pas terrible, mais j’aimais le processus. » Un an plus tard, sa tante lui fait un cadeau qu’il juge « inestimable » : une caméra 16 mm. « Dès que je l’ai eue en main, je me suis mis à filmer. Je n’ai pas arrêté depuis. J’ai commencé par des courts-métrages sur des sujets simples. Ma soeur aînée, mes cousins et des copains d’école étaient mes comédiens les plus réguliers. » Le gamin se fixe aussi des objectifs plus ambitieux en entreprenant de créer des effets spéciaux optiques : « Je les fabriquais dans la chambre noire où je développais la pellicule. J’ai ainsi créé un fantôme transparent, dédoublé l’un de mes interprètes de manière à lui donner un frère jumeau à l’image. ». Du Georges Méliès en somme, système artisanal et formateur.
GO WEST !
Adolescent, Bert I. Gordon poursuit son apprentissage, photographiant les coulisses des artistes de cabaret après le spectacle, des devantures de magasins, tirant le portrait des autres étudiants pour le livre d’or d’une université qui lui prête une caméra 35 mm servant aux actualités locales. Tout naturellement, ses études achevées, le jeune homme entend faire de sa passion un métier. Désormais installé dans le Minnesota, il crée une société de production de messages publicitaires pour la télévision, heureux de multiplier les effets visuels dès que l’occasion se présente, ainsi que d’employer une retraitée des studios Disney pour des spots animés. Celle-ci, considérant la paie trop minable, abandonne immédiatement. D’une chaîne de pressing à une autre de voitures d’occasion, Bert I. Gordon fidélise une clientèle. « J’ai même reçu une commande du magazine Sports Afield : un documentaire sur l’entraînement des chiens de chasse. Une aubaine, étant moi-même chasseur ! Champ, mon braque allemand à poils courts, en était la vedette ! Mais si toutes mes activités dans la publicité et le reportage TV me donnaient satisfaction, je poursuivais toujours mon rêve de faire du cinéma. » Quoi de plus logique dans ces conditions que de prendre la direction de Los Angeles ? Ce que fait Gordon, non sans une halte à Las Vegas… où il perd une partie de ses économies. À L.A., où, en ce début des années 1950, tous les grands studios sont déjà sortis de terre, personne n’attend Bert I. Gordon. « J’ai frappé à toutes les portes » admet-il. « Quelqu’un d’Universal m’a donné ce conseil : « Écoute, petit, puisque je t’aime bien, voici ce que tu devrais faire : retourner à Saint Paul dans le Minnesota. Ici, à Hollywood, à moins que ton père ne s’appelle Darryl F. Zanuck ou Samuel Goldwyn, tu n’as aucune chance de percer. ». » Douche froide, mais il en faut davantage pour décourager quelqu’un d’aussi pugnace et exalté.
LE BOA ET L’IGUANE
La chance sourit à Bert I. Gordon lorsque, par l’intermédiaire du propriétaire d’un laboratoire de développement, il croise Henry B. Donovan, producteur de la série western Cowboy G-Men. « Henry m’a confié un boulot : transporter quotidiennement la pellicule impressionnée du plateau au laboratoire et revenir au bureau de la production avec un rapport technique. La paie n’était pas terrible, la série pas davantage, néanmoins, je pouvais assister à son tournage. Quatre mois plus tard, la chaîne en stoppait la diffusion. J’étais à la rue. » Quatre mois d’oisiveté plus tard, Bert I. Gordon reçoit un appel : on lui demande s’il connaît le format 16 mm, s’il serait capable de réduire des longs-métrages britanniques de manière à en faire des digests de 25 minutes pour la télévision. Il s’y colle avec zèle. Ensuite chargé de filmer une course automobile depuis les tribunes, de superviser la production de la série Racket Squad pour le compte du sponsor Gillette, puis d’intégrer des plans 16 mm dans une copie 35 mm, Bert I. Gordon ronge toujours son frein. Jusqu’au jour où le vent tourne définitivement en sa faveur. « Tout part de la rencontre avec Tom Gries, un débutant comme moi » se souvient-il. « Il m’a dit : « Je veux réaliser quelque chose. Veux-tu le produire ? ». J’ai saisi l’occasion. Sans un sou en poche, nous nous sommes adressés à Consolidated Film, un laboratoire. Nous lui avons proposé ce marché : le développement de la pellicule et un financement de 18.000 dollars en échange d’une partie des recettes et des ventes. J’étais non seulement producteur, mais également chef-opérateur. Nous avons tous travaillé gratuitement, dans l’espoir que le projet gagne de l’argent. Ce qui a été le cas ! » De quel film parle Bert I. Gordon ? De Serpent Island, une série B d’aventure dans laquelle une secrétaire engage un ingénieur maritime à la ramasse et un capitaine cupide pour déterrer le trésor de son arrière-grand-père, lequel les attend sur une île au large de Haïti, gardée par un boa constrictor et des adeptes du vaudou. Vraiment obscur, mal foutu… Mais vu son budget, Serpent Island ne pouvait cependant qu’être bénéficiaire. Pas de quoi transformer son producteur en nabab, mais assez pour lui donner envie de retenter le coup.
En quête d’un sujet vendeur, Bert I. Gordon découvre en 1953 Le Monstre des temps perdus, dont les effets spéciaux de Ray Harryhausen l’impressionnent. Le film étant bon marché, il se pose la question : « Pourquoi pas moi ? ». Le voilà qui écrit King Dinosaur à quatre mains avec Tom Gries. L’histoire d’une expédition sur une planète jumelle de la terre et peuplée de dinosaures. Outre des stock-shots (dont certains issus de Tumak, fils de la jungle), ses quatre explorateurs se frottent surtout à un tyrannosaure d’une sous-espèce inconnue des paléontologues, puisque le spécimen possède toutes les apparences d’un iguane. Pas bien grave selon Bert I. Gordon, qui trouve sa créature dans l’un des vivariums de Ralph Helfer, le fournisseur en reptile de Serpent Island. « Ralph disposait de tout ce dont nous avions besoin, des lézards qui, avec leur collerette et leurs épines dorsales, avaient tout l’air de mini-dinosaures. Bien sûr, ils étaient minuscules en comparaison des vrais, mais les effets spéciaux ont changé la donne. Il suffisait de filmer l’iguane de près et les comédiens de loin, ensuite de superposer les plans. Nous avons également construit des décors miniatures, utilisé une caméra munie d’un système à grande vitesse dont nous avons ensuite ralenti la fréquence de défilement des images… Tout aurait été parfait si nos iguanes n’étaient pas aussi sensibles aux variations de température. Devant les caméras, ils avaient si froid qu’ils restaient immobiles, pratiquement en hibernation, quelque chose que j’ai découvert en lisant un livre emprunté à la bibliothèque de Beverly Hills. J’ai aussitôt acheté huit petits chauffages de salle de bain que j’ai installés tout autour d’eux. » Ses igua [...]
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