Légendes : Angus Scrimm
Angus Scrimm entame nettement la cinquantaine quand, en 1979, Phantasm débarque sur les écrans américains. Pour lui, c’est le signe d’une renommée soudaine à travers un personnage que l’on pourrait qualifier d’homme de l’ombre, des ténèbres même. Un rôle connu sous le nom de « Tall Man » (« homme de grande taille »), nommé ainsi par son créateur Don Coscarelli. Une effrayante silhouette, un entrepreneur des pompes funèbres patibulaire qui, depuis le cimetière de Morningside, se livre à un vaste trafic de cadavres vers une dimension parallèle. Avènement d’une nouvelle grande figure du cinéma fantastique, doublé de la revanche non préméditée d’un comédien auquel la chance n’avait jusque-là jamais souri.
Né le 19 août 1926, Angus Scrimm fait son éducation cinématographique à Kansas City, sa ville de naissance. À 12 ans, il découvre le fantastique gothique. « Une salle du secteur s’est mise à programmer des double et triple programmes avec des Dracula, Frankenstein et autre Vampire Bat » se rappelle-t-il. « Pratiquement tous les soirs, un hiver durant, je m’y réfugiais, regardant tout ce qui y était programmé, le bon et le moins bon. Après, je rentrais chez moi et, sur le chemin souvent bordé de neige, je ressentais de délicieux frissons. » Adulte, il se destine à une carrière d’acteur et, pour se donner toutes les chances d’y accéder, suit les cours d’art dramatique de UCLA, dispensés alors par William C. de Mille, le frère de Cecil, et Stella Adler. Auparavant, il a été contrôleur de tickets au Paramount Theater de Los Angeles et, pendant un an, coursier à la RKO, un important studio du milieu des années 40. « Mais cela n’a rien donné. J’étais vraiment trop timide pour ce métier-là » assure-t-il. Bilan effectivement très maigre : quelques pièces de théâtre (dont, affirme-t-il, une version d’Arsenic et vieilles dentelles montée par Sam Peckinpah !), ainsi que l’interprétation d’Abraham Lincoln dans un film éducatif produit par l’Encyclopaedia Brittanica. « Pour gagner ma vie, j’ai dû changer de crédo » poursuit-il. Angus Scrimm vivra donc de sa plume. Pendant de longues années, il travaille pour le programme TV Guide, le quotidien Los Angeles Herald Examiner, le mensuel Cinema Magazine, qu’il ira jusqu’à coéditer… Un peu plus tard, il se fait même un nom en cumulant des notices biographiques pour les disques Capital Records. Du chanteur country Tex Ritter à Chopin ou Ravel, en passant par la harpiste Nancy Allen, Angus Scrimm fait preuve d’une culture musicale assez considérable, ajoutant aussi à son tableau de chasse Édith Piaf, Ella Fitzgerald, Frank Sinatra, les Beatles, les Rolling Stones, Nat King Cole, Arthur Rubinstein… Des textes qu’il signe Rory Guy, de son véritable nom, Lawrence Rory Guy. L’un d’eux, pour l’album Korngold : The Classic Erich Wolfgang Korngold, lui vaut même un Grammy Award. Petite consécration qui ne le met cependant pas à l’abri des vicissitudes de l’existence.
PAR LA PETITE PORTE
« Je ne suis redevenu acteur qu’en 1971, dans Sweet Kill de Curtis Hanson, que j’avais rencontré en travaillant sur un magazine de cinéma » continue Angus Scrimm. Une production Roger Corman dans laquelle un impuissant tue des femmes. « J’y incarne l’amant d’Isabel Jewell. Un rôle modeste mais qui m’a redonné envie de jouer la comédie. De toute manière, ilfallait que je trouve d’urgence du travail car, après une dizaine d’années de bons et loyaux services, Capital Records venait de me licencier. Certes, on me commandait toujours des notices, mais c’était désormais insuffisant pour joindre les deux bouts. J’ai donc tenté ma chance en faisant la tournée des castings. Il m’arrivait de tomber sur des auditions de films érotiques. Dès que je m’en apercevais, je décampais ! »
Pratiquement aux abois, Angus Scrimm décroche, sur la lancée de Sweet Kill, une apparition dans le slasher Scream Bloody Murder : le rôle d’un médecin qui, pour s’être montré un peu trop curieux, se fait éclater le crâne par le Norman Bates de service. Sa première grande prestation arrivera dans la foulée. Un tournant dans sa singulière carrière. « C’était en 1972. Ce jour-là, je suis tombé sur un petit encart publicitaire publié dans le Hollywood Reporter. Il invitait des acteurs à se présenter à des auditions organisées au Century Plaza. J’y suis allé et, derrière le bureau d’une salle de conférence, j’y ai découvert un adolescent, Don Coscarelli. Le réalisateur, malgré son très jeune âge. Il m’a demandé de lire quelques répliques et, un peu plus tard, m’a rappelé pour des essais caméra. C’est ainsi qu’il m’a proposé un rôle important dans Jim, the World’s Greatest ! N’ayant rien de mieux à faire, j’ai accepté ! » Le voici dans la peau de Russell Nolan, un père violent et alcoolique qui bat son plus jeune fils, convaincu qu’il n’est pas de lui.
S’il se dit heureux de la performance de celui qui s’appelle toujours Rory Guy, Don Coscarelli se montre un peu distant, prudent. « J’en avais tout simplement peur ; il m’intimidait beaucoup » s’excuse le réalisateur. « Il me donnait des frissons ! » Pourquoi ? À cause de sa grande taille ? Une caractéristique que partage le cinéaste. « Je crois que Don a commencé à me craindre quand, au terme d’une journée à attendre qu’il me fasse appeler sur le plateau, il est venu m’annoncer que je ne tournerai pas ! Il paraît que j’ai pris ça très mal, que j’ai réagi comme une bête furieuse. Cette attitude lui aurait inspiré le Tall Man de Phantasm ! »
Pas consciemment au début, mais les choses se précisent. Après un deuxième long-métrage (la comédie dramatique Kenny & Company), Don Coscarelli veut se convertir à un genre alors sans risque sur le plan commercial : l’horreur. « Ce n’est pas Don qui m’a mis au courant de l’existence de Phantasm, mais ses parents, Shirley et Dac » témoigne Angus Scrimm. « J’étais à une projection à la Writer’s Guild quand ils m’ont tapé sur l’épaule pour m’annoncer : « Sais-tu que Don a écrit un nouveau scénario et qu’il y a prévu un rôle d’étranger pour toi ? » « Étranger », soit « alien » en anglais. Sans autre information, l’acteur se fait déjà un film, très loin de celui dans lequel il va s’engager. « J’ai songé à l’histoire d’un immigrant européen fraîchement installé aux États-Unis. Lorsque j’ai lu le scénario, je me suis rendu à l’évidence qu’il s’agissait d’un autre type d’étranger ! » Disponible, Angus Scrimm accepte immédiatement l’offre de Don Coscarelli, non sans s’organiser : « Je n’ai eu qu’une disposition à prendre : m’arranger avec ma soeur Lucille pour assurer la garde de ma mère qui, atteinte de la maladie d’Alzheimer, nécessitait une surveillance constante. »
RELOOKING EXPRESS
Première étape : établir le look de cet « étranger », tâche qui incombe en grande partie à Shirley Coscarelli, soutien indéfectible de son fils. Entre ses mains, Angus Scrimm change de visage. « Elle a commencé par revoir ma coupe de cheveux, coiffant ceux-ci en arrière de manière à dégager au maximum mon front et, de ce fait, à allonger mon visage. Elle a ensuite utilisé un fond de teint très clair afin de me donner une texture de peau proche de celle d’un cadavre, puis a marqué le creux de mes joues… Toujours en train de consulter un énorme guide du maquillage, Shirley a essayé sur moi quatre autres looks, mais elle est revenue au premier, le meilleur. » Simple et efficace.
Habiller le comédien n’est pas plus compliqué. Sobriété et économie sont de mise avec, en premier lieu, un costume noir emprunté à la garde-robe de Dac Coscarelli. « Elle l’a apporté à un tailleur avec des instructions très précises : rendre plus étroites les jambes du pantalon et les manches de la veste, puis rétrécir le col. » Des retouches pour mieux souligner une silhouette filiforme, à laquelle des chaussures à talons compensés ajoutent plusieurs centim& [...]
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