Légendes : AMICUS CONTES DE LA FOLIE ORDINAIRE 1ère partie

Certes, le nom « Hammer » reste le plus évocateur du fantastique anglais des années 60/70. Mais dans ce domaine, il ne faut pas oublier la Amicus, une société fondée par deux Américains venus croquer à pleines dents dans le pudding british.
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De la fin des années 50 au début des années 70, une firme règne sur le cinéma fantastique : la désormais mythique Hammer, une société de production généraliste qui en vient à se spécialiser dans le genre suite à un heureux concours de circonstances et à un flair imparable. Pourtant – le succès créant inévitablement d’opportunistes vocations, la Hammer doit bientôt partager le marché avec des concurrents. Comme Tyburn, Tigon, les productions Richard Gordon et même, à domicile, l’américain American International Pictures de James H. Nicholson et Samuel Z. Arkoff… Son principal rival restera cependant, pendant une quinzaine d’années, la Amicus. Avec qui elle partage réalisateurs, acteurs, scénaristes, techniciens, et aussi le goût du gothique… Une sorte de némésis, née de la rencontre du distributeur Max J. Rosenberg et du scénariste Milton Subotsky. Deux Américains, le premier financier, le second artiste, saltimbanque et passionné de cinéma. « Depuis que je suis gosse, j’ai toujours voulu faire des films » annonce Subotsky, né le 27 septembre 1921 à New York. « Durant mes études universitaires, tous les samedis, je voyais jusqu’à six films, essentiellement dans les doubles programmes de Brooklyn. Comme ma famille considérait qu’une carrière dans le cinéma ne serait pas bonne pour sa réputation, j’ai suivi les cours d’une grande école d’ingénieur new-yorkaise. Que j’ai rapidement abandonnée pour trouver un emploi dans une société de production, en tant qu’assistant-caméraman sur des documentaires. J’ai ensuite appris le montage, et je me suis mis à écrire. Mobilisé pendant la Seconde Guerre mondiale, j’ai persisté dans l’écriture en travaillant sur des films destinés à l’entraînement des troupes, non seulement en tant que scénariste, mais aussi comme monteur. » 

DE CHUCK BERRY À FRANKENSTEIN
À partir de 1949, sans perdre de vue son objectif de passer à la production cinématographique, Milton Subotsky s’oriente vers la télévision, dans le registre de l’acquisition de droits. « Les stations de télévision privées avaient alors un besoin pressant de programmes, de films que je leur fournissais après les avoir achetés. Il fallait néanmoins en réduire la durée de vingt-six minutes. Il n’existait à l’époque aucune case dévolue à des fictions d’une heure trente ou plus. À force de couper des passages entiers, j’ai beaucoup appris sur la construction dramatique, le montage. Dans certains cas, ainsi raccourcis, les films gagnaient en rythme, en qualité. » On peut aussi appeler ça du charcutage, mais, sans état d’âme, Milton Subotsky fait son boulot. 1954 marque un tournant dans sa carrière : des étudiants de Harvard lui demandent quelques dollars dans le but d’achever la bande originale de Touch of the Times. Ce qu’il fait en échange des droits de distribution. « Ayant besoin de quelqu’un pour diffuser le film au cinéma, j’ai contacté Max J. Rosenberg. » En compagnie de Joseph Levine, celui-ci dirige alors la société de distribution indépendante la plus importante du pays. Affaire conclue, mais les deux hommes voient déjà plus loin ; ils parlent avenir, projets communs. 
Ensemble, Milton Subotsky et Max J. Rosenberg produisent d’abord la série éducative Junior Science, « en toute confiance, sans avoir signé le moindre contrat », assure le premier. Un joli petit succès. Un peu plus tard, ils accèdent à leur rêve de cinéma avec Rock Rock Rock !, pur film de teenagers inspiré par le DJ Alan Freed ! Une très modeste entrée en matière, mais les chansons de plusieurs vedettes (Chuck Berry, Frankie Lymon, Connie Francis…) lui valent d’engranger d’appréciables bénéficies. Le tandem exploite ensuite le filon avec Jamboree !, où donnent de la voix pas moins que Jerry Lee Lewis, Fats Domino et Buddy Knox. 
Plutôt que de continuer à exploiter le filon musical destiné à un public adolescent, Milton Subotsky change de fusil d’épaule en rédigeant une adaptation du Frankenstein de Mary Shelley, intitulée Frankenstein and the Monster. Un choix plutôt audacieux dans les années 50, le fantastique gothique étant tombé en désuétude une dizaine d’années plus tôt, après les dernières productions Universal du genre. Dans l’incapacité financière de produire le film, Milton Subotsky et Max J. Rosenberg contactent Eliot Hyman de Warner Bros./Seven Arts qui, lui-même, en parle à ses partenaires britanniques de la Hammer dans la perspective de tourner rapidement une série B bon marché, en noir et blanc, animée par un Boris Karloff sur le retour. « De mon côté, je voulais un film en couleurs » explique Subotsky. « Mon scénario restait relativement fidèle au livre, excepté la partie située au pôle Nord, que je n’ai pas retenue. L’accueil d’Eliot Hyman n’a pas été très encourageant. « Que connaissez-vous aux films d’horreur ? Vous n’avez jusque-là fait que deux musicals ! » nous a-t-il reproché. Tony Hinds, de la Hammer, a ensuite rejeté la proposition, sous prétexte qu’il n’aimait pas le scénario ! » Plutôt que de demander une réécriture, Hinds lance aussitôt son propre Frankenstein. « Il a repris l’idée sans que je sois crédité. J’ai cependant obtenu un pourcentage sur les recettes. Quant au film, Frankenstein s’est échappé !, quel navet ! » De mauvaise foi, l’Américain constate toutefois, grâce aux subsides que lui rapporte le navet en question, qu’il y a bien un marché pour le fantastique, dont la Hammer s’empare immédiatement. « Pourquoi pas moi ? » s’interroge Subotsky. La réponse, il la trouve en 1960 dans La Cité des morts, un projet qu’il mène à bien peu après l’irruption du premier Frankenstein Hammer sur les écrans. « J’en ai écrit l’histoire originale, puis George Baxt l’a développée sous forme de scénario » souligne-t-il. Un récit dans lequel une étudiante enquête sur la pratique de la sorcellerie dans un patelin reculé du Massachusetts. Elle y découvre que des sorcières y sont toujours à l’oeuvre et qu’elles ont prévu de la sacrifier à Satan. Ce qui se produit. Inquiets de son absence, son frère et son fiancé suivent sa trace… « Le principe de l’héroïne tuée dans la première partie de l’histoire était alors nouveau, Alfred Hitchcock n’ayant pas encore tourné Psychose » signale Milton Subotsky, qui aurait pu ajouter que le roman de Robert Bloch, dont s’inspire le grand Hitch, n’était également pas paru à ce moment-là. « Au départ, je devais faire le film avec Hannah Weinstein qui produisait en Angleterre les séries Robin des Bois etLes Boucaniers. En lisant le scénario, je me suis rendu compte qu’il y en avait pour à peine plus d’une heure de métrage. À ce stade, La Cité des morts devait faire office de titre B dans un double programme. Pas question. J’ai repris le script de George Baxt de façon à y ajouter un personnage et, par conséquent, vingt minutes supplémentaires. » Le Professeur Driscoll (Christopher Lee) est le protagoniste en question, universitaire satanique qui envoie l’une de ses élèves à la mort.

L’EXIL 
Pour l’heure, dans l’écume de La Cité des morts, Milton Subotsky ne replonge pas immédiatement dans le fantastique. Il aborde le carcéral (La Rafale de la dernière chance), la prostitution de luxe (Girl of the Night), le divertissement à la Lassie (Lad : A Dog) et les turpitudes urbaines d’une fille de la campagne (Girl in Trouble). Des séries B produites aux États-Unis, après lesquelles il prend la ferme décision de s’installer à Londres. Un déménagement auquel il ne voit que des avantages. « Bien que les coûts de production ne soient pas beaucoup plus bas, les salaires le sont, eux. Ce qui signifie que vous pouvez, à budget égal, consacrer plus de temps au tournage. Un gage de qualité, car si les petites productions américaines n [...]

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