Légendes : Amando de Ossorio

Un pionnier du cinéma fantastique ibérique. Avec les moyens (réduits) du bord, beaucoup de volonté et autant de restrictions pour lui compliquer la vie, il réussit néanmoins à créer son univers cinématographique, ses propres monstres…

Amando de Ossorio n’est pas un grand réalisateur. Il ne fait pas partie de ceux dont le talent insolent aurait inspiré une jeune génération. Pourtant, à l’instar d’un Paul Naschy, il marque profondément le cinéma fantastique espagnol, principalement grâce à une figure, à un personnage désormais élevé au rang d’icône : le templier mort-vivant. Sa création, sa grande contribution au genre.
Né le 6 avril 1918 à La Corogne, en Galice, dans un milieu petit-bourgeois, Amando de Ossorio (Rodriguez à l’état civil) grandit à quelques centaines de mètres d’un cinéma, le Cine Paris. Il y découvre des classiques du muet comme Le Fils du Cheik, avec Rudolph Valentino. C’est dans une autre salle, le Savoy, qu’il s’initie au fantastique avec les Frankenstein de James Whale ainsi que le Dracula de Tod Browning. Lorsqu’éclate la Guerre civile, il est réformé en raison de problèmes de santé remontant à l’enfance.
Le jeune homme étudie la photographie, au grand désespoir de son père qui voit d’un mauvais oeil son inclinaison à embrasser une profession artistique ou culturelle. Puis ce sera la radio, avec l’adaptation de chefs-d’oeuvre de la littérature. À partir de 1942, il étudie le journalisme à Madrid, où sa passion grandissante pour le cinéma s’exprime par l’entremise de deux courts-métrages, El Misterio de la endemoniada et El Ultimo carnaval. Un faux départ puisque Amando de Ossorio se résigne à travailler dans une banque, trouvant une échappatoire via le petit studio photo dans lequel il se réfugie après ses heures de bureau. Graduellement, il accède cependant au cinéma à travers la radio, le théâtre, la fréquentation des milieux artistiques… À la demande du producteur de ses premiers courts, il travaille enfin sur des longs-métrages de fiction. « J’ai écrit des scripts, souvent sans être crédité. Dans la plupart des cas, ils ont été massacrés, modifiés par les réalisateurs chargés de les mettre en images » avoue-t-il. Pourtant, il gravit les échelons, un à un, comme assistant, puis réalisateur de « réclames ». La Bandera negra constitue son baptême du feu dans le long-métrage, portrait d’un homme dans l’attente du verdict de la condamnation de son fils. Une tentative innovatrice, tant sur le fond que dans la forme, l’unique protagoniste se livrant à un long monologue tout en parcourant des rues désertes. Pratiquement de l’avant-garde, dominée par une scène onirique de tribunal inspirée de l’expressionnisme allemand, des mannequins remplaçant juges et policiers, les décors étant réduits à un dépouillement symbolique… Et au final, une terrible déconvenue. « En y critiquant la peine de mort, je me suis exposé aux foudres de la dictature franquiste. La Bandera negra a tout simplement été interdit, sous prétexte qu’il avait été tourné sans autorisation officielle. Il n’a jamais été montré au public. » Dur à encaisser, à une époque où le régime ultraconservateur du général Franco favorise l’exploitation de divertissements tel L’Enfant à la voix d’or



LA DOLCE VAMPIRA 
La Bandera negra banni des écrans, Amando de Ossorio attendra huit ans avant de récidiver. Huit ans à travailler sur des publicités et des documentaires institutionnels, jusqu’au jour où un producteur lui redonne sa chance avec Les Pistoleros. « Un suspense plutôt qu’un vrai western » explique le réalisateur à propos de cette enquête menée par un cowboy lancé sur les traces de l’assassin de son frère. Le Far West parfum paella, Amando de Ossorio le visitera à nouveau deux ans plus tard, via le nettement plus conventionnel Le Massacre d’Hudson River, récit de la révolte d’un groupe de trappeurs contre le propriétaire d’un comptoir qui voudrait payer leurs peaux de castor au prix le plus bas. « À l’époque, tout le monde faisait des westerns et je suis rentré dans ce moule » admet-il, conscient de la modestie de son apport. Le pied remis à l’étrier, il enchaîne sur Pasto de fieras, évocation des turpitudes d’un petit berger, puis sur la chronique La Niña del patio où il est question d’un spectacle de flamenco organisé afin d’éviter la vente d’une maison. Suivra également la comédie sentimentale Escuela de enfermeras, dans laquelle un fils à papa intègre une école d’infirmières ! Pas vraiment des brûlots susceptibles de déclencher le courroux des censeurs.
Sa vocation, le réalisateur la révèle dans la foulée avec Malenka la vampire. Un projet directement dicté par le succès des films fantastiques gothiques anglais et italiens. « C’est un projet que j’ai essayé de monter pendant de longues années sans que personne ne s’y intéresse » précise-t-il. « J’y suis parvenu à un moment où le public espagnol paraissait prêt. Moi, je l’étais depuis longtemps, depuis mes courts-métrages des années 40. » Si le projet Malenka aboutit enfin, c’est autant grâce à la popularité croissante du genre qu’à la présence d’Anita Ekberg, la pulpeuse star scandinave de La Dolce Vita de Fellini, vedette désormais déchue et réduite à des prestations alimentaires. C’est ainsi qu’elle se retrouve à interpréter un mannequin qui hérite d’un vieux château autrefois habitée par une vampire morte sur le bûcher. « J’avais écrit et tourné le film autour d’une machination dont l’héroïne était la victime » annonce Amando de Ossorio. « Les vampires n’y étaient qu’un leurre. Le producteur a jugé que Malenka serait plus commercial avec de vrais vampires. Il a par conséquent demandé à modifier la fin de la version étrangère. » Ce qui donne, de l’aveu même du cinéaste, « une scène improvisée » de décomposition express d’un disciple de Dracula. Un effet spécial terriblement mal fichu.
Quoi qu’il en soit, dans sa version locale, Malenka la vampire rencontre un joli succès, contribuant à l’émergence d’un cinéma fantastique ibérique dont Jess Franco avait été le pionnier avec L’Horrible docteur Orlof. Pourtant, malgré tout sa bonne volonté, le premier long-métrage fantastique d’Amando de Ossorio est dénué d’un ingrédient primordial : l’originalité. S’il ne s’achevait pas sur une volte-face (encore que, dans les années 30, Tod Browning avait déjà illustré le coup du complot dans La Marque du vampire), le film serait même plutôt conventionnel, brassant des éléments du Masque du démon et d’une classique histoire d’héritage. 



L’ESPÈCE NOUVELLE 
L’inspiration ne vient au réalisateur qu’avec sa tentative suivante. À savoir La Révolte des morts-vivants. Un avatar de La Nuit des morts-vivants ? « Oui, George Romero a exercé sur moi une certaine influence, surtout dans la notion de siège » reconnaît Amando de Ossorio. « Je n’ai cependant pas voulu l’imiter, mettre en scène les mêmes zombies. Je me suis référé aux légendes de ma Galice natale, à l’Histoire européenne… C’est ainsi que sont nés les templiers morts-vivants. Le personnage n’était encore jamais apparu à l’écran. » Enfin, le réalisateur propose de l’inédit dans un domaine où le recyclage d’idées est souvent la règle.
Originaires du XIIIe siècle, ces morts-vivants encapuchonnés sont les moines soldats d’un ordre aux pratiques occultes des plus sinistres. Le sacrifice de vierges, notamment, dans le but de s’abreuver d’un sang capable de leur conférer la vie éternelle. Naturellement, l’Église ne goûte que modérément aux frasques des templiers en question. Ils finissent suppliciés, avant que des corbeaux n’arrachent les yeux de leurs cadavres. L’assurance d’une cécité au-delà de la mort car, bien sûr, les membres de la confrérie surgissent de leur tombeau, toujours prêts & [...]

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