Légendes : Alberto De Martino

Certes, il n’est ni Mario Bava ni Riccardo Freda, ni même Lucio Fulci. Mais, au fil des années, Alberto De Martino s’est révélé être l’un des artisans les plus compétents du cinéma populaire italien, si efficace qu’il parvient même à mettre en confiance une star hollywoodienne de premier plan. Compétent, efficace, et capable de tirer le meilleur des genres dont il s’empare opportunément…

Le 13 octobre 1961 apparaît sur les écrans italiens Le Gladiateur invincible, un péplum signé Antonio Momplet. Qui donc ? « Il existe vraiment, mais il n’a pas tourné un seul mètre de pellicule du film. Sur le plateau, Antonio n’a fait qu’acte de présence. Un type sympathique au demeurant. Il m’a été imposé par la coproduction espagnole pour des raisons contractuelles. » Des propos tenus par le véritable ordonnateur du projet, Alberto De Martino, qui réalise là son premier long-métrage de fiction. « J’avais auparavant été assistant sur une vingtaine de films, auprès de Mario Bonnard, Camillo Mastrocinque, Giorgio Simonelli, Mario Costa… J’ai aussi travaillé en tant que directeur du doublage. Ce qui m’a permis de côtoyer Federico Fellini sur La Dolce Vita, Mario Monicelli, Mario Monicelli et d’autres grands du cinéma italien. » En réalité, Alberto De Martino inaugure sa carrière bien plus tôt, en tant qu’interprète furtif en 1935 dans la superproduction fasciste Scipion l’Africain. Né le 12 juin 1929 à Rome, il n’a alors que six ans. Faire du cinéma, quoi de plus normal pour un enfant de la balle, qui grandit sous les projecteurs près d’un père comptant parmi les maquilleurs les plus demandés de Cinecittà. 
Cinq ans plus tard, Alberto De Martino retourne à l’école, à temps plein, avant d’entamer des études universitaires. « De 1949 à 1953, j’ai suivi des cours de droit dans une université où j’ai rencontré Antonio Margheriti et Lucio Fulci. Étant tous les trois musiciens amateurs, nous avons même joué du jazz ensemble : Antonio aux percussions, Lucio à la trompette et moi au piano ! » Trois des futurs cadors du cinéma populaire de la Péninsule dans le même orchestre : pas banal. « En parallèle, j’ai aussi travaillé à la réalisation de courts-métrages documentaires. Ça parlait des femmes et du sport, de musique, de médecine… Des sujets très variés destinés à la première partie des programmes de cinéma. » 


SURFER SUR LA VAGUE 

Au tout début des années soixante, déjà fort d’une solide expérience, Alberto De Martino aborde donc la réalisation à part entière avec Le Gladiateur invincible, puis le western comique Due contro tutti. Retour rapide au péplum, par le biais du mythologique Persée l’invincible, dont le héros se bat contre un dragon et Méduse qui, au lieu d’une chevelure de serpents, présente un oeil unique, façon Cyclope. « Des effets spéciaux de Carlo Rambaldi » signale le réalisateur. « Aux États-Unis, il est ensuite devenu célèbre grâce à Alien et E.T., l’extra-terrestre. Sur Persée…, il ne disposait pas des mêmes moyens. Il a fait ce qu’il a pu avec très peu d’argent. » Ce qui, à l’écran, crève les yeux, tant les monstres en question respirent le bricolage. Un sérieux handicap pour un spectacle par ailleurs estimable. À de rares exceptions près, le cinéma italien des années 60 n’est pas très riche. « C’est également pour des questions d’économie que j’ai tourné Le Manoir de la terreur en noir et blanc. Ce n’était pas un choix esthétique » explique Alberto De Martino qui, en même temps que le péplum et le western, touche là à un domaine que le public réclame. « Pour donner l’illusion d’un film américain ou anglais, le producteur m’a demandé d’employer un pseudonyme. J’ai opté pour Martin Herbert. Une pratique alors très fréquente. » 
Si, avec Le Manoir de la terreur, le réalisateur n’égale pas Mario Bava ou Riccardo Freda dans l’épouvante gothique, il ne donne pas moins au genre l’un de ses fleurons, reprise officieuse de La Chute de la maison Usher et de L’Ensevelissement prématuré d’Edgar Poe dans laquelle une certaine Emily de Blancheville revient dans le domaine familial pour y découvrir que son père, brûlé vif des années plus tôt, n’est pas aussi mort qu’elle le croyait. Pire, elle pourrait succomber sous cinq jours sous le coup d’une malédiction. « Le Manoir de la terreur est un film que j’ai mis du temps à aimer. Bien qu’on le classe souvent dans le gothique à la Mario Bava, je l’ai tourné dans une optique plus hitchcockienne, privilégiant le suspense plutôt que l’horreur. Le producteur, Italo Zingarelli, pensait surtout à mettre à profit le succès récent de La Chambre des tortures de Roger Corman. Ce qui l’a poussé à ajouter le nom d’Edgar Poe sur l’affiche, ceci malgré ma désapprobation. »
À peine Le Manoir de la terreur est-il sur les écrans qu’Alberto De Martino enchaîne déjà sur un péplum (Les 7 invincibles). Il en tournera encore deux autres (Le Triomphe d’Hercule, La Révolte de Sparte), puis des westerns (100.000 dollars pour Ringo, Django tire le premier, L’Assaut du fort texan), un film de guerre (La Gloire des canailles)… « Mon genre, c’est le genre qui marche ! » annonce-t-il à qui l’interroge alors sur son éclectisme fortement teinté d’opportunisme. Le mérite de l’honnêteté, y compris dans sa conversion à l’espionnage par le truchement des James Bond qu’il duplique via Espionnage à Capetown et L’Affaire Lady Chaplin. Vient ensuite Opération frère cadet, entreprise pour le moins saugrenue dans laquelle un chirurgien esthétique du nom de Neil Connery (le propre frère de Sean, plâtrier à Édimbourg) est recruté par les services secrets britanniques. Sa mission : contrecarrer les plans d’un super-méchant qui, en possession d’un rayon atomique, menace de faire main basse sur tous les secrets industriels de la planète. Doué pour l’hypnose et apte à lire sur les lèvres, l’agent secret malgré lui démontre également une belle dextérité au tir à l’arc… « Le projet s’est monté sur la simple parenté entre Sean et Neil Connery » admet le cinéaste. « Le producteur, Dario Sabatello, est allé voir Neil, il l’a convaincu de participer à l’aventure. Il n’avait rien d’un comédien et ne savait pas jouer. Nous avons commencé par le transformer, grâce à mon père, Romolo, un maquilleur très expérimenté. Il lui a mis une perruque car il perdait ses cheveux, un dentier car ses vilaines dents faisaient mauvaise impression, une petite barbe car son visage n’avait aucun relief. Il lui a aussi rajouté du ruban adhésif sur les tempes afin de tirer ses yeux et donner davantage d’expressivité à son regard. Naturellement, nous avons limité ses dialogues au strict minimum en faisant du personnage un hypnotiseur ! Dario Sabatello a tenté de convaincre Sean Connery de faire une apparition dans le film. Il a pratiquement été reçu à coups de pied au cul ! » L’intrépide producteur convainc cependant plusieurs vétérans des Bond officiels de se rallier à sa cause : Lois Maxwell et Bernard Lee (respectivement Moneypenny et M dans les 007), Adolfo Celi (le méchant d’Opération tonnerre), Daniela Bianchi (la girl de Bons baisers de Russie) et Anthony Dawson (James Bond 007 contre Dr. No). Autant d’apparitions (et de rôles plus importants) au service d’un pastiche pas toujours subtil, qui multiplie les allusions appuyées à son modèle.

MEURTRES HORS CHAMP

Outre le péplum, le fantastique gothique, le western, la guerre et l’espionnage, Alberto De Martino braconne également sur les terres du Parrain (Le Nouveau boss de la mafia, Le Conseiller), et de l’Inspecteur Harry (Spécial magnum). Toujours avec savoir-faire et efficacité. Paradoxalement, un domaine en vogue, typiquement italien celui-là, lui réussit moins : celui du giallo, qu’il illustre avec L’Uomo dagli occhi di ghiaccio et L’Assassin est au téléphone. « Auparavant, j’avais déjà glissé des éléments du genre dans un suspense policier, Perversion, et dans Rome comme Chicago, une histoire de gangsters. J’ai renouvelé l’expérience avec Spécial magnum, un peu plus tard, mais L’Uomo dagli occhi di ghiaccio et L’Assassin est au téléphone appartiennent vraiment au domaine du giallo. » Encore que L’Uomo… tiendrait plutôt de l’enquête conventionnelle (il s’agit d’innocenter le prétendu assassin d’un sénateur avant son ex&e [...]

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