Légendes : Adrienne Barbeau
Américaine, née le 11 juin 1945 à Sacramento dans une famille aux racines arméniennes, irlandaises, allemandes et québécoises, Adrienne Barbeau est un cas. Scream queen sur le tard, à l’âge de 38 ans, elle connaît d’abord la célébrité dans le domaine de la comédie musicale. Pas étonnant, puisqu’elle prend des cours de danse depuis ses trois ans, suivis de cours de chant quelques années plus tard. Logique, donc, de la voir participer à des spectacles amateurs dans son école primaire. Une habitude qu’elle conserve à l’université. Plutôt que de demeurer dans cette Californie où elle a grandi et où elle paie ses études en travaillant comme responsable d’une officine de lutte contre les termites, elle tente sa chance à New York.
À 19 ans, Adrienne Barbeau débarque donc dans la Grande Pomme, autant dans l’espoir de décrocher une audition que de se perfectionner en tant que comédienne. Le cas de centaines d’autres jeunes, tous contraints de prendre des emplois alimentaires. Elle n’échappe pas à la règle. L’hôtel n’étant pas dans ses moyens, elle partage un petit appartement avec deux autres filles. Un court séjour suivi de galères… « Je me suis mise en quête d’un travail stable » explique-t-elle. « Je l’ai trouvé au Matty’s Mardi gras, un restaurant de la 49e Rue géré par un homme dont j’ai appris plus tard qu’il appartenait à la mafia. » Un brave type toutefois, qui prend la jeune provinciale sous son aile. Si la paie est modeste, les pourboires font toute la différence. La jeune fille accorde également sa confiance à un régulier de l’établissement. « Un monsieur d’un certain âge » le décrit-elle. « Quelqu’un de très gentil. Il me laissait toujours des pourboires généreux. Un soir, il m’a dit qu’il était sur le point d’assister à une adaptation de Casse-noisette. Je lui ai dit que je n’avais encore jamais vu de ballet. Il est sorti pour revenir un peu plus tard avec un ticket qui m’était destiné. Cet homme, un Arménien, m’a pris en affection parce que j’avais aussi du sang arménien. Pour Noël 1964, il m’a adressé une carte postale sous enveloppe. À l’intérieur, il y avait 300 dollars en liquide, plus 300 en bons d’achat. Je ne pouvais pas accepter une somme pareille. J’ai bien essayé de le joindre, mais, n’ayant pas son numéro de téléphone, je n’y suis pas parvenue. Je l’ai remercié par courrier. »
COUP DE FOUDRE
Adrienne Barbeau fait bon usage de cette manne inespérée : elle se paye des cours d’art dramatique. « Une promesse que je m’étais faite » déclare-t-elle. Après avoir démissionné de chez Matty’s pour un emploi mieux rémunéré au Spindletop, un restaurant à viande, la jeune femme fait le nécessaire pour améliorer son jeu, sa voix… Sans grand succès au début, sa tournée des auditions ne donnant strictement rien : « Parfois, j’étais recalée avant même de chanter la moindre note. On me trouvait trop petite, trop brune, pas assez mince. Ma coach vocale n’était pas très encourageante. » À force de pugnacité, Adrienne Barbeau décroche un engagement qui s’étend sur toute la saison estivale, et travaille à la fois en tant que chanteuse, comédienne, manoeuvre, babysitteur… Si la jeune femme s’accroche, elle galère toujours. Expérience du LSD, gogo danseuse sous la lumière blafarde d’un club new-yorkais, des engagements à peine rétribués pour des spectacles dans des salles miteuses, de régulières propositions de promotion canapé… Tout y passe, jusqu’au jour où elle signe son premier contrat à Broadway, en tant que choriste dans Le Violon sur le toit, un musical à succès dont, sept mois plus tard, elle rejoint la distribution auprès de Bette Midler. Puis retour aux auditions infructueuses, jusqu’à ce qu’elle décroche un rôle important dans Stag Movie en 1971, pastiche musical du monde du porno. Il faut se déshabiller, ce qu’elle fait, mais ce sont sa voix et sa présence qui retiennent l’attention des critiques. Encourageant, mais la vraie percée survient avec Grease. Une audition, puis une autre, et la voilà engagée. Pendant que le musical triomphe, un directeur de casting la contacte pour la sitcom Maude, dont l’un des rôles principaux vient de se libérer, son interprète ne contrastant pas suffisamment avec la vedette, Bea Arthur. Adrienne Barbeau, elle, contraste. Elle tournera 96 épisodes de Maude entre 1972 et 1978, incarnant la fille divorcée et blagueuse d’une mère très libérale. En France, Maude deviendra… Maguy !
Parallèlement à Maude, Adrienne Barbeau multiple les apparitions sur le petit écran, dans d’autres séries (La Croisière s’amuse, Huit, ça suffit, Quincy), des téléfilms (The Great Houdini, Alerte rouge, Have I Got a Christmas for You). « À cette époque, après avoir commencé à travailler régulièrement pour la télévision, il était pratiquement impossible d’en sortir » pointe-t-elle. « Les gens de cinéma ne voulaient simplement pas entendre parler de nous ! » Ainsi, à peine a-t-elle terminé Crash, un téléfilm catastrophe, que son agent l’appelle pour une autre fiction TV, High Rise, bientôt retitrée Someone’s Watching Me!, Meurtre au 43ème étage en France. « High Rise tombait à pic car, à ce moment-là, je voulais surtout apparaître dans des rôles dramatiques pour prouver que j’étais une comédienne à part entière, et pas uniquement la rigolote de Maude. » Pas de quoi rire dans cette histoire, en effet, le scénario reposant sur une directrice de chaîne de télévision épiée puis agressée par un maniaque. Un script qui séduit Adrienne Barbeau. « Mon agent m’a averti que son réalisateur souhaitait me rencontrer » poursuit-elle. « Je n’en menais par large. Sa réputation de débutant doué le précédait. Je voulais ce rôle coûte que coûte. L’estomac noué, je me suis rendue au rendez-vous dans les studios Warner Bros. où il avait des bureaux provisoires dans une caravane. Là, au milieu d’un épais nuage de fumée de cigarette, j’ai vu pour la première fois John Carpenter. » Immédiatement, elle tombe sous le charme. Elle le trouve décontracté, drôle, humble, talentueux. « Des mois plus tard, John m’a révélé qu’il était dans le même état que moi : terriblement nerveux. Il m’a parlé de ce personnage qu’il avait imaginé à partir des héroïnes de Howard Hawks. Une fille forte, vive, intelligente et spirituelle, telle Lauren Bacall dans Le Grand sommeil et Le Port de l’angoisse. Malheureusement, quand il m’en a reparlé, c’était pour me dire que je devais tirer un trait dessus, le studio recherchant un nom plus connu que le mien. » En l’occurrence Lauren Hutton, mannequin vedette qui s’est déjà fait une réputation au cinéma. Grosse déception pour Adrienne Barbeau. John Carpenter évoque alors un lot de consolation : le rôle de Sophie, la meilleure amie de l’héroïne harcelée, Leigh. « Cela te dérange-t-il qu’elle soit lesbienne ? » m’a-t-il demandé. Elle réagit favorablement, satisfaite de représenter une catégorie de la population généralement peu exposée à l’écran.
« Je me suis immédiatement bien entendue avec John, aussi bien sur le plan professionnel que personnel » assure la comédienne. « Sur le plateau, le premier jour, il m’a dit : « Fais-en moins ! ». « Moins ? » ai-je répondu. « Oui, la scène en question établit une forte relation d’amitié entre Leigh et Sophie. Tu n’as pas besoin de jouer. ». » En clair, tout se déroule merveilleusement entre John Carpenter et Adrienne Barbeau. Entre les prises, le réalisateur ne quitte pas son interprète. Au terme des trois semaines de tournage, la séparation est plus que chaleureuse. Apprenant peu après qu’elle vient d’être hospitalisée pour une intervention chirurgicale mineure, le réalisateur lui envoie des fleurs accompagnées d’une carte explicite. Il y est écrit : « Avec toute mon affection. ». Leur relation ne s’arrêtera pas là…
Amoureux et définitivement séparé de sa précédente compagne, Debra Hill, qui le seconde sur Halloween, John Carpenter a déjà prévenu Adrienne Barbeau qu’il lui prépare un petit quelque chose : un rôle beaucoup plus important que celui de Meurtre au 43ème étage. Il s’agit de Stevie Wayne, l’animatrice radio de Fog. « John l’a spécialement écrit à mon intention » se réjouit la comédienne, comblée par t [...]
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