LE SECRET DE LA CHAMBRE NOIRE de Kiyoshi Kurosawa

Le Secret de la chambre noire

C’est en banlieue parisienne que Kiyoshi Kurosawa poursuit sa passionnante déconstruction/reconstruction du film de fantômes, au fil d’un récit sombre et mélancolique qui ne cesse de se déplier et de se replier sur lui-même pour nous happer dans ses effluves toxiques au rythme d’une mise en scène une fois de plus impressionnante de maîtrise.

Dans une ville de banlieue parisienne débarque Jean (Tahar Rahim), jeune homme vivotant de petits boulots. Il vient postuler pour une position d’assistant auprès du célèbre photographe Stéphane Hégray (Olivier Gourmet), qui vit presque en reclus dans une vieille maison depuis la mort accidentelle de sa femme, en compagnie de sa fille, la belle Marie (Constance Rousseau), qu’il utilise comme modèle. Autrefois reconnu pour l’audace de ses travaux de mode, Stéphane est désormais obsédé par l’un des plus anciens procédés photographiques : le daguerréotype, qui consiste à exposer à la lumière une grande plaque d’argent pour y fixer une image via un procédé chimique. Les temps de pose nécessaires étant particulièrement longs, Stéphane soumet Marie à de difficiles séances, ce qui perturbe de plus en plus Jean, guère insensible aux charmes de la jeune fille…

On avait laissé Kiyoshi Kurosawa sur Vers l’autre rive (son Creepy, tourné ensuite, ne nous est pas encore parvenu), film de fantôme si apaisé qu’il aurait pu marquer la fin de l’exploration quasi obsessionnelle de cette thématique par le cinéaste japonais. Le Secret de la chambre noire prouve qu’il n’en est rien. Pour Kurosawa, le film de fantôme ne constitue finalement pas un genre en soi, mais plutôt un champ narratif inépuisable qu’il se plaît à revisiter sous une lumière à chaque fois nouvelle. Sur le papier, Le Secret de la chambre noire (on continue de préférer le premier titre envisagé : La Femme de la plaque argentique) renoue avec une caractéristique moderne du ghost movie nippon, puisqu’il montre, comme Ring, Kaïro et d’autres avant lui, une interaction entre les revenants et un procédé technologique. Mais la nature chimique du procédé (sa conception officielle date de 1839), qui revient aux sources de la photographie (et donc du cinéma), suscite une approche au diapason, ancrée dans des couleurs terreuses, des matériaux anciens et organiques (pierre, bois, plantes) et des décors de manoir gothique hors du temps, que Kurosawa préfère ici à ses habituelles déambulations urbaines. C’est d’ailleurs l’une des thématiques visuelles du film, les premières séquences nous transportant d’un cadre moderne à un quartier ancien, comme pour annoncer le voyage techno-temporel que s’apprêtent à faire les personnages et le spectateur. Enfin, pour le spectateur français, le voyage se révèle moins dépaysant, puisque, grande première pour le cinéaste, l’histoire se déroule donc en banlieue parisienne, certainement en raison de la genèse du scénario : c’est en effet lors d’une exposition au Japon que Kurosawa est subjugué par l’ambiance fantomatique et mélancolique d’un daguerréotype représentant une rue de Paris, ville où a été inventé le procédé.



LA PRISON DE L’IMAGE

Mais, bien sûr, Le Secret de la chambre noire ne se contente pas de confronter une poignée de personnages à des revenants hantant des clichés argentiques. Déjà, les particularités du daguerréotype instaurent une pincée de sadomasochisme dans un registre finalement très nippon : la durée des temps de pose implique l’utilisation de fauteuils et mécanismes spéciaux qui immobilisent le sujet, sublimes objets de torture douce qui ne disent pas leur nom et installent un rapport de domination/soumission entre le modèle et l’artiste. Et c’est de fait la fascination qu’éprouve le second pour le premier qui va provoquer l’apparition des spectres, dont l’essence a été figée sur les plaques argentiques mais, aussi et surtout, dans l’oeil et l’esprit du photographe, les personnages devenant eux-mêmes, à l’instar des appareils-photos, le prisme à travers lequel les esprits se manifestent. L’occasion pour Kurosawa d’affiner un peu plus son jeu sur les surcadrages et les délimitations visuelles qui séparent et/ou enferment les personnages dans des compositions essentiellement pensées en deux dimensions, à l’instar donc d’une photographie. C’est d’ailleurs dans cette bi-dimensionnalité que se cache la vérité de l’image et des protagonistes, l’un des rares mouvements de caméra en profondeur du film (un lent travelling avant lors d’une des visions de Stéphane) échouant finalement à révéler au spectateur et à Jean ce qui terrifie ainsi le photographe.



PURE ÉPOUVANTE 

La force du film est aussi de ne pas s’enfermer dans une logique totalement surnaturelle et d’aérer son récit par des sous-intrigues plus terre-à-terre – rappelant autant les machinations des Diabo [...]

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