LE RETOUR DE CHUCKY de Don Mancini

Le Retour de Chucky

Ce n’est pas parce qu’on emprunte la petite porte qu’on ne peut pas faire une entrée remarquée. Si Chucky doit désormais se contenter de sorties DTV/VOD, c’est pour mieux offrir à son créateur la liberté nécessaire à de joyeuses et étranges expérimentations. Le résultat, c’est ce Retour de Chucky, nouvel opus qui ose explorer des pistes inédites tout en célébrant le passé. Un grand écart aussi casse-gueule que stimulant.

 Alors que la plupart des franchises horrifiques cultes des années 80 ont échappé à leurs créateurs pour subir des revivals plus ou moins heureux aux mains de studios avides de capitaliser sur des marques reconnues (Vendredi 13, Halloween, Massacre à la tronçonneuse, Hellraiser…), le cas de la saga Chucky est assez unique. Depuis quasiment 30 ans, les pérégrinations sanglantes de la poupée tueuse habitée par l’esprit du serial killer Charles Lee Ray sont en effet imaginées par une seule et même personne, Don Mancini, scénariste de tous les films de la franchise et réalisateur des trois derniers. Alors que les formules horrifiques ont souvent tendance à s’appauvrir avec le temps à force de vouloir respecter des schémas préétablis, Mancini n’a pas peur de triturer son matériau pour en tirer des concepts excitants, grâce à une indépendance garantie par des budgets serrés. Après avoir fait sa Nuit américaine avec le méga méta Le Fils de Chucky, puis avoir opéré un virage gothique avec La Malédiction de Chucky, le réalisateur/scénariste profite de l’évolution logique de l’héroïne de ce dernier, Nica (Fiona Dourif), accusée des meurtres causés par la poupée Brave Gars, pour installer l’action de ce Retour de Chucky (on continue de préférer le titre original, Cult of Chucky) dans un institut psychiatrique. Convaincue par son thérapeute qu’elle est bien l’auteur de la tuerie, commise lors d’un accès de folie, Nica tente de se reconstruire. C’est alors que plusieurs poupées Brave Gars apparaissent dans l’institut, et que des morts suspectes commencent à se succéder…



SCHIZO ET FIER DE L’ÊTRE
La grande qualité – ou le grand défaut ? – du Retour de Chucky est certainement sa schizophrénie assumée, à l’image de son héroïne. À force de triturer sa mythologie avec l’imagination débridée d’un gamin s’éclatant dans sa chambre avec ses jouets, Mancini a quasiment créé un « chuckyverse » où se télescopent anciens et nouveaux personnages issus de différentes couches diégétiques de la franchise. Andy Barclay, l’enfant poursuivi par Chucky dans les trois premiers films (et qui avait un caméo dans La Malédiction…) profite par exemple ici d’un temps de présence plus conséquent qui va l’amener à côtoyer Nica… Mais l’exemple le plus évident de ces expérimentations reste Jennifer Tilly, qui joue ici son propre rôle, à une nuance près : elle est désormais possédée par l’esprit de Tiffany, interprétée dans La Fiancée de Chucky par… Jennifer Tilly. L’idée géniale de ce nouvel opus est de balancer tout ce petit monde au milieu d’un asile, où la folie « classique » des patients entre en collision frontale avec celle de l’univers de Chucky. Ce dernier devient ainsi le catalyseur de personnages secondaires perturbés qui projettent dans la poupée leurs propres psychoses. L’occasion d’un joli numéro d’équilibriste tonal où les séquences mettant en scène la vedette en plastique, avec ses vannes sarcastiques (toujours débitées avec mordant par Brad Dourif), se heurtent à des moments plus graves et dérangeants. Comme lorsque la patiente Madeline, internée pour avoir étouffé son bébé et persuadée que Chucky en est la réincarnation, donne le sein à celui-ci. Mancini évite le côté exploitation de cette idée qu’on croirait issue du Manoir de la terreur (réjouissant bis de 1981 d’Andrea Bianchi) en embrassant le drame intime de Madeline, seulement contrebalancé par une légère goutte de sang sur son chemisier, à l’endroit où affleure le mamelon tété par la poupée… De fait, Le Retour de Chucky prend un malin plaisir à aller là où ne l’attend pas, tirant sa force d’une singularité assez vivace pour compenser des limites budgétaires parfois visibles (quelques effets numériques embarrassants, une image parfois trop vidéo) et une tendance au fan service que d’aucuns trouveront envahissante (voir la scène post-générique où un énième personnage secondaire de la saga revient pointer le bout de son nez).



PSYCHOSE PULSIONNELLE
Mais Mancini ne s’appuie pas que sur un script malin et des idées ludiques (comme le nouveau pouvoir magique de Charles Lee Ray) pour dynamiser ce Retour. Ayant déjà fait preuve de solides aptitudes visuelles dans les deux précédents volets (ainsi que sur quelques épisodes de la série Hannibal), il adopte un langage cinématographique à même de compenser ses limites de temps et d’argent. L’ascétisme d’un production design quasiment bichromatique (des décors ascétiques aux costumes ternes) permet ainsi d’appuyer l’irruption de la joyeuse folie de la poupée Brave Gars, de ses costumes bariolés et de l’éclat vermillon des litres de sang qu’elle fera fatalement couler. Et l’expressivité de la mise en scène, qui exhibe avec gourmandise une grammaire « depalmio-hitchcockienne », s’accentue à mesure que le lieu où se déroule l’action est contaminé par la folie communicative de Charles Lee Ray : nombreux plans à double optique (pour faire cohabiter sur un même niveau de netteté un sujet rapproché et un second plus éloigné), travellings compensés, split screen, angles penchés, ralentis poético-macabres… Pas l’ombre d’une idée de génie dans cet inventaire, mais la volonté d’illustrer avec emphase et conviction un récit ludique et tordu, partagé entre le désir (forcément délicat) de satisfaire les fans d’une saga ayant plusieurs fois muté, et l’envie d’emmener cette dernière sur des territoires vierges. À ce titre, la conclusion du film s’amuse à donner un sacré coup de pied dans la fourmilière (si Mancini n’assure pas le service après-vente, la franchise pourrait très bien ne jamais s’en remettre) tout en adoubant une très étrange réunion de famille (impossible d’en dire plus sans spoiler) qui rappelle également que si le papa de Chucky se plait à revisiter sa création avec les mêmes acteurs et techniciens, c’est aussi parce qu’il semble profondément aimer son monstre et ceux qui l’aident à lui donner vie. On le comprend : Chucky est, pour nous aussi, un membre de la famille, et si sa turbulence est parfois déstabilisante, elle a aussi le mérite d’être attachante et, surtout, une constante source de surprise. Il y a bien longtemps que les grands frères Freddy et Jason ne peuvent plus en dire autant…





INTERVIEW
DON MANCINI
RÉALISATEUR, SCÉNARISTE ET PRODUCTEUR
FIONA DOURIF & JENNIFER TILLY
ACTRICES

C’est lors du dernier Frightfest que nous avons rencontré la fine équipe du Retour de Chucky, composée du réalisateur/scénariste/producteurDon Mancini et des comédiennes Fiona Dourif (fille de la voix de Chucky, aka Brad Dourif)et Jennifer Tilly, toujours aussi délicieusement betty-boopesque. Un trio de choc etde charme qui revient sur cet étonnant nouveau volet et sur l’évolution d’unefranchise horrifique pas comme les autres.


Don, vous semblez utiliser le personnage de Chucky pour explorer différents genres et ambiances. Lors de la sortie de La Malédiction de Chucky, vous aviez évoqué l’influence de James Whale. Quelle référence aviez-vous en tête pour Le Retour de Chucky ? Shock Corridor de Samuel Fuller peut-être ?

Don Mancini : Les influences pour Le Retour de Chucky étaient tout simplement les films qui se déroulent dans un asile psychiatrique en général. Par exemple Shutter Island et Vol au-dessus d’un nid de coucou, forcément. Nous y faisons d’ailleurs quelques clins d’oeil…

Jennifer Tilly : Le père de Fiona, Brad Dourif, jouait dans Vol au-dessus d’un nid de coucou !

D.M. : Sans oublier Freddy 3 – les griffes du cauchemar, mais aussi Inception, dans la façon d’inclure des scènes dont on ne sait pas si elles tiennent du rêve ou de la réalité… Nous n’avions jamais fait ça dans l’univers de Chucky, et je me suis dit que ce serait un élément intéressant à inclure dans la franchise.


La Malédiction de Chucky était un film très gothique, avec un production design qui l’était tout autant. Le Retour… se déroule quant à lui dans un univers radicalement différent, très géométrique, presque abstrait. Vous vouliez surprendre les fans en catapultant Chucky dans un environnement qui semble de prime abord très éloigné de la franchise ?

D.M. : Oui, je voulais explorer autre chose. Initialement, quand on pense à un institut psychiatrique, on s’imagine justement une vieille bâtisse gothique un peu décrépie et lugubre, quelque chose tout droit sorti de chez Dickens. D’une, nous nous serions répétés par rapport au précédent film, et de deux, j’avais en effet très envie de voir Chucky dans ce décor minimaliste et abstrait. Le film est quasiment en noir et blanc, excepté Chucky, avec ses cheveux roux et sa tenue aux couleurs vives, qui du coup ressortent dramatiquement à l’écran. Nous avons fait très attention à donner aux autres personnages des costumes aux couleurs neutres – à part ceux de Jennifer, bien sûr (rires). De la même manière, dans La Malédiction…, nous avions conçu l’espace verticalement, avec cette vieille maison à plusieurs étages et cet ascenseur dans lequel le personnage de Fiona se retrouvait coincé. Cette fois, nous avons défini l’espace de façon horizontale, avec ces longs couloirs… Le but était, d’une certaine façon, de montrer que le décor représente l’état d’esprit de l’héroïne. Sur le tournage, à Winnipeg, le plateau était parfois un vrai labyrinthe de couloirs, il nous arrivait de nous perdre. En règle générale, c’est extrêmement cool de voir vos idées se concrétiser sur un plateau, mais là, j’avais parfois l’impression d’être suspendu entre le rêve et la réalité, c’était assez étrange par moments.

Fiona Dourif : Tu avais cette vision du décor dans ton esprit depuis si longtemps, du coup c’était un peu comme se perdre dans ta tête…

J.T [...]

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Commentaire(s) (1)
Dario Bava
le 06/10/2017 à 23:13

C'était inévitable, Chuck a envoyé la purée...

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