LE NÉO-IRRÉALISME DE LUCIO FULCI

La ressortie en salles, le 17 juillet chez Les Films du Camélia, de quatre psycho-thrillers du Maestro datant de sa période « pré-zombies » permet la réévaluation d’oeuvres longtemps considérées comme transitionnelles, mais dont la popularité ne cesse de croître auprès des fans, et dont les thématiques se révèlent particulièrement en phase avec notre temps.
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un journaliste qui l’interrogeait sur sa « trilogie zombiesque » et son « Âge d’Or » des années 1980, Fulci répliqua vertement : « J’en ai marre de tous ces critiques qui parlent de trilogie. Je pense que mon véritable âge d’or, c’est le début des années 70. » (1). Soit les années de réalisation de la tétralogie informelle dont Les Films du Camélia proposent actuellement une rétrospective : Perversion Story (1969), Le Venin de la peur (1971), La Longue nuit de l’exorcisme (1972) et le plus tardif L’Emmurée vivante (1977). Des films rompant avec la kyrielle de comédies plus ou moins besogneuses à la gloire du tandem Franco Franchi et Ciccio Ingrassia que signa Fulci, et précédant le cycle gothico-gore inauguré par L’Enfer des zombies (1979). Des films qui continuent de diviser les spécialistes du cinéma populaire italien quant à leur appartenance au giallo, catégorie très élastique – et pour tout dire un peu nébuleuse – de thrillers sanglants dont les traits distinctifs sont le baroquisme visuel et l’amphigouri scénaristique. Force est de constater que les opus fulciens sont bien pourvus en ces deux matières et garantissent autant d’ivresse que d’éventuelle irritation. Mais plus que les spécimens d’un sous-genre, ils sont les oeuvres éminemment personnelles d’un artisan qui se découvre auteur – et en jouit pleinement.



L’ENVERS DES ZOMBIES
Avec le recul, la sacralisation de Fulci par les fantasticophiles qui découvrirent au Grand Rex les envolées morbides de L’Enfer des zombies, Frayeurs (1980), L’Au-delà (1981) et La Maison près du cimetière (1981) apparaît indissociable d’un air du temps désormais lointain, où l’opulence horrifique, le vertige esthétique et le rejet des structures narratives traditionnelles étaient de mise, laissant toute latitude à une sorte d’hédonisme de l’atroce. Décennie du clinquant, du kitsch new wave, de la célébration des formes au détriment du fond, les années 80 trouvèrent en Fulci leur pendant purulent, le chantre d’une horreur extrême et dénuée d’arrière-plan idéologique. Le goût de l’outrance, l’imagerie gothique, la revendication d’un formalisme décadent sont autant de signes d’une horreur ludique visant essentiellement au plaisir des yeux et au calvaire de l’estomac. Le cadre de ces films est coupé de toute réalité sociale ; leurs personnages occupent un espace-temps fantasmé, qu’il s’agisse de la Louisiane cauchemardesque de L’Au-delà, de la Nouvelle-Angleterre hivernale de La maison près du cimetière ou de l’imaginaire Dunwich rêvée par Lovecraft et décor de Frayeurs. L’érotisme, puissant vecteur de subversion, n’a pratiquement aucune place dans le cycle des morts-vivants, preuve supplémentaire d’une absence de visées contestataires (notons que les zombies fulciens s’apparentent plutôt à des fantômes et n’ont pas la portée politique de ceux de Romero).
Il en va différemment des psycho-thrillers des années 1970, ce qui explique peut-être le regain d’intérêt qu’ils suscitent à l’époque actuelle, de nouveau entichée d’idéologie, de lutte des classes et de considérations féministes. Fulci, que de nombreuses interviews montrent soucieux d’accéder au statut d’auteur – fut-ce dans le créneau du cinéma commercial et de genre – était trop malin pour ignorer qu’une telle reconnaissance impliquait une conscience des réalités sociales du moment. Cette conscience apparaît en filigrane de ses quatre premiers thrillers, mais de façon toute personnelle, aussi étrangère à la tradition néo-réaliste qui fit les belles heures du cinéma italien « engagé » qu’aux hargneuses allégories politiques de ses confrères américains spécialistes du shocker – Hooper, Craven ou Romero. Son optique serait plutôt celle d’un « néo-irréalisme », la peinture d’une réalité qui se construit à coups de leurres, de simulacres et de dissimulations, et qui n’existe au bout du compte qu’en creux, dans le grand avortement des illusions.



LE RÉEL EST L’ENNEMI DU VRAI
Dans Perversion Story, relecture sexy du Sueurs froides de Hitchcock, un médecin-businessman entame une liaison pernicieuse avec une poule de luxe, sosie de sa défunte épouse, sur fond de trafic d’assurance-vie et de machinations familiales. Dans Le Venin de la peur, une bourgeoise frustrée, fascinée par les bacchanales de sa voisine d’immeuble, rêve qu’elle la poignarde au cours d’une orgie et apprend que le me [...]

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