Le film du mois
Horns
On peut à vrai dire légitimement questionner les raisons qui ont poussé Joe Hill à abandonner le nom de son géniteur Stephen King quand on constate à quel point Horns essaie de s’inscrire dans la même oeuvre. Petite bourgade industrielle perdue dans la campagne américaine (s’agirait-il du Maine ?), flashes-back retraçant avec crudité et réalisme l’enfance des nombreux protagonistes (on se croirait par moments dans Ça, Stand By Me, Coeurs perdus en Atlantide ou Dreamcatcher), antihéros marginalisé en proie à une malédiction inexpliquée, élément surnaturel amenant la communauté à révéler ses plus bas instincts… Tout ou presque semble effectivement lier Horns aux écrits de Stephen King, jusque dans la manière dont Hill subordonne son argument fantastique à une tragédie glaçante et terriblement terre-à-terre. Celle de Ig Perrish (Daniel Radcliffe, qui confirme après La Dame en noir l’intelligence et l’audace de ses choix de carrière), accusé à tort du meurtre barbare de sa petite amie Merrin Williams (Juno Killer Joe Temple, dont la beauté non standardisée sert à merveille l’aura hypnotisante du personnage). Harcelé par l’ensemble de sa communauté, et voyant sa propre famille lui tourner le dos, Ig se découvre après une nuit arrosée un faciès scarifié : des cornes diaboliques lui percent désormais le crâne. Loin de susciter l’effroi de ses concitoyens, ces nouveaux attributs poussent étrangement ces derniers à avouer secrets et pulsions, quand ils ne les mettent pas carrément à exécution. Pas très commode, quand le médecin local préfère forniquer subitement avec son assistante plutôt que de finir son travail de chirurgie, mais très pratique si l’on veut que des coupables potentiels du meurtre passent enfin à table…
Cette comparaison forcée avec l’univers de King ne tourne évidemment pas toujours à l’avantage du manuscrit de Joe Hill ni, par extension, à l’adaptation filmée d’Alexandre Aja, scénarisée par l’apprenti psychologue Keith Bunin, vétéran de la série En analyse avec Gabriel Byrne. Certains rebondissements auraient ainsi gagné à profiter de l’expérience de l’auteur de Carrie au bal du Diable : les ficelles, il faut bien l’admettre, sont ici trop épaisses pour se fondre discrètement dans le flux d’informations entretenu par la quête obsessionnelle du héros. Malheureusement prévisible dans sa résolution (un comble, pour une intrigue cultivant autant son parfum de mystère), Horns ne sort pas pour autant totalement perdant de son mimétisme stylistique. Au contraire, l’atmosphère claustrophobique de la petite ville côtière et la description de ses moeurs arrêtée dans l’espace et le temps servent à Alexandre Aja une matière extrêmement cinégénique. Très inspiré par le microcosme mis à sa disposition, le réalisateur sait l’exploiter avec une élégance rare, usant du point de vue de son protagoniste aliéné pour renverser les valeurs dominantes et prendre une hauteur salvatrice sur les enjeux du récit ; une hauteur propice à des moments de drôlerie aussi maîtrisés qu’inattendus. Satirique et acide, y compris lorsqu’il manque de très peu de sombrer dans le petit gag homophobe (Aja aurait-il son passeport grolandais ? C’est bien possible !), Horns embrasse finalement la jeunesse du récit de Hill, sa méchanceté adolescente et sa faculté à passer en permanence d’une émotion à son contraire. Instable et constellée de ruptures de ton désarçonnantes, la structure narrative inspire une mise en scène en constante remise en question, Aja passant volontiers d’une horreur suggestive ou d’un sentiment de malaise à une explosion de gore semblant sortir de nulle part. En résulte une expérience singulière, souvent anarchique, mais toujours hantée par le fantôme d’une love story à la naïveté très attachante.
Alexandre PONCET
Interview ALEXANDRE AJA
Réalisateur et producteur
PACTE AVEC LES DIABLES ?
Entre un BLACK HOLE désormais bloqué dans les limbes du development hell et un COBRA à un cheveu de décoller, le réalisateur français nous cause de l’aventure HORNS, ou comment il a dû composeravec les Weinstein, le fils de Stephen King et un ex-magicien à lunettes.
Je trouve que Horns n’est pas ton meilleur film, mais en revanche, c’est de loin le plus attachant.
Moi, j’ai l’impression que c’est mon meilleur film. Et pourtant, j’ai en général du mal à prendre de la distance, du moins immédiate, par rapport à mon travail. C’est en tout cas celui auquel je suis désormais le plus attaché. Pour faire simple, tout a commencé avec la lecture du bouquin, qui n’a d’ailleurs pas été un succès en France, contrairement aux États-Unis où il a cartonné. Ça a été un coup de coeur. J’étais en postproduction sur Piranha 3D quand je l’ai découvert – avant même sa publication – et page après page, je me sentais basculer dans quelque chose d’unique, original, qui bifurquait d’un ton à l’autre de manière permanente tout en conservant un canevas de thriller. Chaque chapitre me parlait, directement, et pour tout dire, j’avais l’impression d’avoir moi-même écrit cette histoire. J’entendais un écho dans la voix de Joe Hill, et je me suis dit : « Ce mec est fait du même bois que moi. ». Ce fut alors une évidence, je devais faire ce film. Et puis, j’avais envie après Piranha 3D de pousser plus loin le mélange de genres, peut-être en réaction à un système hollywoodien trop « formulatique » qui case les films dans des niches bien précises. J’étais d’ailleurs persuadé, à la lecture du livre, que la transposition de tout cet univers à l’écran fonctionnerait parfaitement, et ce malgré les multiples avertissements des producteurs et financiers, qui préconisaient d’enlever soit l’humour, soit l’horreur, mais en tout cas de ne pas manipuler trop de sensibilités à la fois. J’ai voulu résister, et imposer mon mélange à travers cette fable.
Que t’ont dit exactement ces producteurs ?
Au départ, il y avait une envie totale de respecter le texte. Joe Hill était d’ailleurs impliqué. Mais dès que le film a été tourné, tous les papes du marketing ont commencé à mettre leur grain de sel. Il a fallu résister. Comme sur La Colline a des yeux et comme sur Piranha 3D, où les projections-tests m’ont finalement donné raison quant au juste dosage des ruptures de ton. On a d’ailleurs testé Horns dans une version expurgée des scènes de comédie. Et il s’est écrasé. C’était évident. Sans sa « dimension comédie noire », le film ne marchait pas.
Il existe un « montage sans comédie » du long-métrage ?!
On a été obligé de suivre ce processus. Mais tu sais, avec Piranha 3D, on a dû aussi passer par des étapes assez dingues. Je me souviens par exemple des Weinstein qui m’ont dit que pour que le film soit un succès, on devait enlever toute la nudité et le sang. Ça remettait beaucoup de choses en question, non ?! (rires) Tu te dis alors : « Oh la la, mais qu’est-ce qu’il va se passer ?! ».
Tu savais de toute façon où tu mettais les pieds…
Bien sûr. Et puis finalement, il y a toujours eu ce paradoxe entre la façon sincère de recevoir le film et l’embarras quant à le marketer par la suite. À Toronto, Horns a bénéficié d’un super accueil. Le public, la presse, les distributeurs – dont les Weinstein qui l’ont d’ailleurs acquis –, tous ont très bien saisi le truc. Et puis après, une fois que le film est dealé, il y a cette « peur marketing » qui revient et saisit les distributeurs.
Pour rebondir sur Toronto, le film est reparti en montage après sa présentation il y a maintenant plus d’un an. Qu’est-ce qui a bougé ?
Je vais te dire exactement ce qui a changé. En fait, c’est très simple, on perdu un an. C’est à peu près le résumé de ce qui s’est passé. Le film a été vendu lors du Festival de Toronto en 2013. Ça a été la plus grosse vente du marché sur le territoire américain. Les Weinstein ont adoré. Tellement d’ailleurs, qu’après l’avoir acquis, ils ont voulu… le changer ! On a donc fait des modifications, on a testé des trucs, et finalement, on est revenu à la version projetée à Toronto. À une différence près : on a ajouté quelques « mini voix off » afin d’éclaircir certains éléments de l’histoire, même si je trouve que le film fonctionnait très bien sans.
L’originalité de Horns repose sur le traitement quasi naturaliste d’éléments fantastiques, notamment l’apparition des cornes sur la tête du personnage principal…
C’était ce qui m’intéressait dans ce travail d’adaptation. Le rendu des cornes, par exemple, est très réaliste, très animal. Ce que je voulais, c’était mixer un univers iconoclaste à la Gregory Crewdson (photographe américain connu pour son traitement ultra cinématographique et atmosphérique – voire carrément fantastique – de paysages typiquement américains – NDR) à une imagerie du début du XIXe, comme les illustrations de Gustave Doré par exemple. Quand je parlais avec KNB, je leur ai notamment évoqué la statue de Saint-Michel terrassant le démon, avec cette idée de retranscrire une sensibilité romantique très forte. Puis j’aimais l’idée [...]
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