Le cinéma de genre Australien
À quand remonte le tout premier film fantastique, de terreur ou de science-fiction australien ? À Satan in Sydney de Beaumont Smith, en 1918 ? Mauvaise pioche, puisqu’il s’agit en réalité d’un édifiant mélodrame. Dans une production de plus en plus disparate, les westerns du bush se taillent la part du lion. Presque quarante ans plus tard, Le Dernier rivage aurait pu être ce pionnier en montrant avec quelle sérénité Gregory Peck et Ava Gardner attendent que les radiations occasionnées par la Troisième Guerre mondiale s’abattent sur Melbourne. Pas de chance : le film est une production 100 % américaine réalisée par le très mou Stanley Kramer.
En réalité, avant le début des années 70, le cinéma australien se tient prudemment à distance des choses de l’imaginaire. D’ailleurs, peut-on vraiment parler d’une cinématographie nationale avec, de 1950 à 1970, seulement une quarantaine de longs-métrages mis en chantier ? Parmi lesquels un fort pourcentage de coproductions, dont L’Ambitieuse (1959) du Français Yves Allégret, They’re a Weird Mob (1966) de l’Anglais Michael Powell, Horizons sans frontières (1960) de l’Américain Fred Zinnemann…
Si son financement provient en partie de l’étranger, Réveil dans la terreur, réalisé en 1971 par Ted Kotcheff (Wake in Fright en VO, voir plus loin) est une pure émanation du terroir australien, de l’Outback profond que découvre un jeune instituteur en route pour Sydney. Un voyage au bout de l’enfer en somme, où beuveries, parties de chasse au kangourou nocturnes et viol se tirent la bourre dans un maelström hallucinatoire. L’oeuvre d’un réalisateur, Ted Kotcheff, dont la colère suinte à l’écran via cette adaptation du roman de Kenneth Cook. Sans doute, une décennie plus tôt, Joseph Losey et son comédien fétiche, Dirk Bogarde, en auraient-ils extrait une oeuvre plus cérébrale, moins viscérale.
L’ÂGE D’OR
En 1971, Réveil dans la terreur sort le cinéma australien de sa torpeur. Ça tombe bien, la sortie du film coïncide avec la volonté gouvernementale d’affirmer une identité artistique propre au pays. Résultat : la production explose dès 1972/73 avec les sorties de Shirley Thompson Versus the Aliens (une comédie de science-fiction orchestrée par Jim Sharman, futur réalisateur du Rocky Horror Picture Show) et The Sabbat of the Black Cat de Ralph Lawrence Marsden, adaptation décalée d’une nouvelle d’Edgar Poe. Les prémices d’un âge d’or du fantastique qu’annoncent également, en 1973, la parodie Barry McKenzie Holds His Own, où Bruce Beresford transforme Donald Pleasence en « Comte Plasma », et surtout en 1974 Les Voitures qui ont mangé Paris, féroce tableau satirique d’une communauté de naufrageurs de la route. Dès l’année suivante, son réalisateur, Peter Weir, prend une envergure mondiale avec Pique-nique à Hanging Rock où des collégiennes disparaissent mystérieusement au sein d’une nature aussi calme qu’inquiétante, où se tapit une peur insidieuse, héritage de l’école Jacques Tourneur. L’acte de naissance officiel du cinéma fantastique australien, qui s’épanouit en prenant le contrepied du gothique hammerien et du « réalisme » américain de La Nuit des morts-vivants et Massacre à la tronçonneuse. Pique-nique à Hanging Rock marque si fort les esprits que sa productrice Patricia Lovell et le scénariste Cliff Green récidivent peu après avec Summerfield (Ken Hannam, 1977), une autre histoire de disparition mystérieuse dans un cadre a priori paradisiaque.
Peter Weir persiste dans la même direction avec La Dernière vague (1977), illustration d’une prophétie apocalyptique aborigène. D’autres cinéastes le suivent, tous plus prompts à distiller une atmosphère qu’à ruer dans les brancards, à innover plutôt qu’à se barricader derrière des stéréotypes tapageurs. Jim Sharman avec Summer of Secrets (1976) et La nuit, un rôdeur (1978), Colin Eggleston avec Long Weekend (1978), Rolf de Heer avec Incident at Raven’s Gate (1988)… En quelques films, l’Australie fait souffler sur le cinéma fantastique un vent nouveau, réussissant à injecter de l’originalité dans des sujets aussi galvaudés que le vampirisme (Soif de sang de Rod Hardy en 1979, avec son élevage de donneurs involontaires de sang), la maison hantée (le repaire de retraités de Montclare : rendez-vous de l’horreur de Tony Williams, 1982), les pouvoirs paranormaux (Patrick de Richard Franklin en 1978, avec son comateux adepte de la télékinésie agressive), le monstre animal (le sanglier géant de Razorback de Russell Mulcahy, 1984)… Le plus singulier de tous : Harlequin (Simon Wincer, 1980), portrait d’un guérisseur malveillant directement inspiré de Raspoutine.
Même quand il aborde le thème du super-héros, le cinéma australien se la joue original. Ainsi, aux surhommes américains des années 70/80, il répond par le pastiche The Return of Captain Invincible (Philippe Mora, 1983), dont le justicier volant, ancien alcoolique, ne résiste pas aux cocktails préparés par le diabolique Mr. Midnight incarné par le regretté Christopher Lee. « Il ne faut pas idéaliser le cinéma fantastique australien des années 70 et 80 » tempère Mark Hartley, réalisateur du remake de Patrick, d’un documentaire sur la Cannon (Electric Boogaloo) et d’un autre justement consacré au cinéma d’exploitation australien (Not Quite Hollywood : The Wild, Untold Story of Ozploitation !). « La censure y sévissait, réprimant la violence et le sexe. Les réalisateurs n’étaient finalement pas si libres que ça. »
Tandis que certains revendiquent leur identité singulière, d’autres productions australes s’inspirent des gros succès de Hollywood ou d’ailleurs (Alison’s Birthday de Ian Coughlan, qui en 1981 emprunte beaucoup à Rosemary’s Baby, Nightmares de John D. Lamond, 1980, et ses penchants pour le giallo). Mais la production locale parvient toujours à saupoudrer le résutat final d’un petit quelque chose qui fait toute la différence et ajoute un cachet unique à une histoire conventionnelle. Pas forcément dans le domaine du slasher urbain (Lady Stay Dead de Terry Bourke en 1981, Innocent Prey de Colin Eggleston en 1984, Dangerous Game de Stephen Hopkins en 1987, Snapshot de Simon Wincer en 1979, devenu aux États-Unis The Day After Halloween), mais plutôt dans celui du survival en plein air : Fair Game (Mario Andreacchio, 1986), L’École de tous les dangers (Arch Nicholson, 1985), Run Chrissie Run (Chris Langman, 1984), Déviation mortelle (Richard Franklin, 1981)… Leur particularité : un cadre grandiose et sauvage où s’expriment des moeurs rudes et un machisme poussé dans ses derniers retranchements. Ce qui pourrait être la définition exacte de Night of Fear (1972) et Inn of the Damned (1975), deux films de Terry Bourke, respectivement confrontation d’une citadine et d’un tueur fou, et version western de L’Auberge rouge ! Un cinéma brut de décoffrage. Dommage que Bourke ait choisi la facilité en s’orientant vers la télévision, abandonnant en chemin le projet Crocodile, où le tandem Rod Taylor/Charlton Heston était censé se mesurer à un gros saurien mangeur d’hommes. Exactement le sujet des Dents de la mort (1987) d’Arch Nicholson, dont le héros rappelle Crocodile Dundee (sorti l’année précédente), mais sans les blagues foireuses.
Aussi riche et foisonnante que soit la production australienne des années 70 et 80, elle se voit éclipsée par deux titres météores : Mad Max en 1979, et plus encore Mad Max 2 : le défi, à peine trois ans plus tard. Si le premier, aussi percutant soit-il, ne quitte pas les ornières du récit de vengeance, sa suite redessine totalement les frontières de la SF post-apocalyptique. Un choc visuel dont le réalisateur, George Miller, avoue avoir emprunté au western et aux films de samouraïs, genres qu’il transcende au sein d’un spectacle sans précédent.
Le succès est mondial. Mad Max 2 fait école, non seulement parce qu’il génère une cohorte d’ersatz souvent pitoyables, mais aussi parce qu’il influence toute une génération de jeunes cinéastes. James Cameron avouera avoir longuement étudié les scènes d’action de George Miller avant de tourner Terminator, dont Paul Verhoeven reconnaîtra avoir repris le découpage pour les besoins de RoboCop.
En fait, les Mad Max irriguent littéralement deux décennies de cinéma d’action. Sinon davantage… Revers de la médaille : le cinéma australien attise l’appétit de Hollywood. Ce qui pouvait lui arriver de pire. La Warner investit 10 millions de dollars dans Mad Max : au-delà du dôme du tonnerre. L’argent du compromis. Moins de violence, des enfants pour rameuter les familles et un rôle pour Tina Turner afin de booster la campagne marketing avec la chanson We Don’t Need Another Hero… Les crocs limés, George Miller ne fera que coréaliser le film, laissant le soin à son compatriote George Ogilvie d’en tourner les séquences les plus commerciales.
LE DÉCLIN
Mad Max 2 marque le grand tournant d’un cinéma australien qui, en quelques années seulement, sort de la route, victime d’une véritable hémorragie des talents. Le grand exode vers Hollywood. Mel Gibson compte parmi les premiers à faire ses valises, précédé par plusieurs réalisateurs : Gillian Armstrong, Bruce Beresford, Peter Weir, Fred Schepisi… Bientôt tous les artisans du cinéma horrifique et fantastique australien leur emboîtent le pas, à commencer par Simon Wincer (Harlequin) et Richard Franklin (Patrick, Déviation mortelle). Après Razorback, Russell Mulcahy (voir interview) ne remettra pas les pieds en Australie avant un bon moment en raison du succès de Highlander (1986). Sans vergogne, Hollywood assèche littéralement un cinéma australien réputé pour ses brillants techniciens et leur sens de l’image. Ainsi, à peine a-t-il fait ses preuves sur le thriller d’épouvante Dangerous Game que Stephen Hopkins accepte l’offre de New Line de réaliser Freddy 5 – l’enfant du cauchemar (1989). Même chose pour Phillip Noyce qui, au lendemain du thriller nautique Calme blanc (1989), gaspille son talent aux USA sur des blockbusters sans âme (Sliver, Le Saint, Bone Collector…). De son côté, Brian Trenchard-Smith (voir interview) ira réaliser des épisodes de Mission impossible, 20 ans après, Les Dessous de Palm Beach…
Diplômé de l’Australian Film and Television School de Sydney, Alex Proyas réalise dans son pays natal plusieurs courts-métrages, un premier long expérimental (Spirits of the Air, Gremlins of the Clouds, 1989, situé dans un Outback post-apocalyptique) puis, aux États-Unis, des clips musicaux et spots publicitaires… Retour au bercail pour le premier film cinéma de l’enfant prodige ? Pas vraiment, le producteur américain Edward R. Pressman lui ayant déjà jeté le grappin dessus pour les besoins de The Crow (1994). Le pillage des ressources continue, comme le prouve l’exil du producteur Antony I. Ginnane (Patrick, Soif de sang, Harlequin, voir interview). Ailleurs, l’herbe est toujours plus verte. En Australie, elle ne pousse pas sous les pieds de tout le monde. Si les succès à l’international se multiplient dans les années 90 (Muriel, Shine, Priscilla, folle du désert, Ballroom Dancing…), le genre marque le pas. Il faut dire qu’il ne reste plus grand monde pour le remettre à flot, sinon une poignée d’artisans et de débutants sans le sou. « Si les années 90 ont été si difficiles, c’est d’abord parce que le gouvernement a coupé les vivres » assure Mark Hartley. « Le système d’aides a pris fin et la production s’est effondrée. Les gens ont dû partir. »
Que retenir de cette décennie dans ce paysage dévasté ? Il y a bien Body Melt (1993), décapante comédie horrifique où une entreprise pharmaceutique teste sa dernière molécule sur la population d’une petite ville… Le premier et dernier long-métrage de Philip Brophy, émule du cousin néo-zélandais Peter Jackson dont le Brain Dead est sorti l’année précédente. À part ça ? Une poignée d’obscures productions telles que Demonstone (Andrew Prowse, 1990), In the Winter Dark (James Bogle, 1998), Bedevil (Tracey Moffatt, 1993)… Paradoxalement, à cette époque, certains producteurs australiens recrutent des « horror stars » internationales. En Australie, où il avait déjà tourné Captain Invincible, Christopher Lee revient jouer de son image pour les besoins de A Feast at Midnight (Justin Hardy, 1994). Il aurait presque pu y croiser Linda Blair, infirmière dans Dead Sleep (Alec Mills, 1992), thriller d’épouvante médicale, façon Morts suspectes de Michael Crichton.
Si elles se sont révélées bien pauvres pour le fantastique d’un point de vue qualitatif et quantitatif, les années 90 sont tout de même parsemées de quelques événements intéressants. Lassé de Hollywood et du traitement que les studios infligent aux cinéastes, George Miller fait le voyage en sens inverse. Retour aux Antipodes, où il commence par produire Babe, le cochon devenu berger (Chris Noonan, 1995), avant d’en réaliser la suite. Deux chefs-d’oeuvre. Pendant ce temps, la société Village Roadshow Pictures, branche cinéma d’un groupe de médias australiens, fraie avec les majors américaines et creuse son trou. De plus en plus de films américains [...]
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