
LA SAGA X-MEN
Blade, Dark City et Matrix ont certes donné au projet une raison d’être, mais à sa sortie en 2000, le premier X-Men n’en reste pas moins un événement culturel majeur. Alors que Batman Forever et Batman & Robin avaient réduit le genre super-héroïque à un joujou pour gosses de huit ans, Bryan Singer affiche ses ambitions thématiques adultes dès l’ouverture, située dans le camp de concentration d’Auschwitz. Cette cristallisation de l’intolérance dans tout ce qu’elle a de plus abject jette une ombre pesante sur l’ensemble du film, permettant au cinéaste de jouer sur des détails terriblement révélateurs. Il faut par exemple voir Magneto écarter comme si de rien n’était les barreaux métalliques de son repaire, alors qu’enfant, il n’était pas parvenu à franchir la grille qui le séparait de ses parents. De nombreuses autres séquences s’imposent par leur tonalité inconfortable : Malicia poignardée par Wolverine au réveil d’un cauchemar, le professeur X empoisonné par son propre Cerebro, un sénateur raciste se liquéfiant sous les yeux de Tornade, etc. Propulsé dans les salles la même année que Gladiator, En pleine tempête, Scary Movie et Mission : Impossible 2, X-Men connaît un succès inattendu, du moins du point de vue de la Fox et de son président d’alors, Tom Rothman. Des spy-reports révèlent à l’époque les manoeuvres inélégantes de ce dernier, mésestimant tellement l’univers des bandes dessinées qu’il avait refusé de débloquer un budget supérieur à 75 millions de dollars, à une époque où la norme tournait plutôt autour des 100. Rothman avait également insisté des mois durant pour que Dougray Scott, le bad guy de Mission : Impossible 2, tienne le rôle de Wolverine. Selon le scénariste David Hayter, le comédien dut jeter l’éponge à quelques semaines du tournage en raison d’un accident de moto survenu devant les caméras de John Woo. Pressé par le calendrier, Singer donnera sa chance à l’Australien Hugh Jackman, sans se douter qu’il fera de lui une véritable star.
LA DÉFERLANTE
La personnalité torturée de Logan, la rancoeur maladive de Magneto (fantastique Ian McKellen), l’espoir indéfectible du Professeur X (Patrick Stewart, magistral), la condition tragique de Malicia (Anna Paquin, tout aussi subtile que dans La Leçon de piano) ou encore le triangle amoureux Wolverine/Jean Grey/Cyclope, font vibrer une corde sensible auprès des spectateurs. Le genre du comic-book movie, autrefois affaire de pure fantaisie, résonne désormais comme une expression légèrement augmentée de problématiques bien réelles, autorisant une dramaturgie d’un réalisme nouveau. Une nouvelle vague d’adaptations naît dans la foulée, avec comme seconde étape le fabuleux Spider-Man de Sam Raimi. Près de 20 ans plus tard, la situation n’est évidemment plus tout à fait la même. Douzième représentant de la franchise X-Men (si l’on inclut les deux Deadpool et les trois Wolverine), Dark Phoenix a presque du mal à faire entendre sa voix. D’abord prévu pour une sortie en 2018 puis repoussé de quasiment un an (un autre long-métrage entièrement finalisé, Les Nouveaux Mutants de Josh Boone, est quant à lui décalé jusqu’en avril 2020), X-Men : Dark Phoenix tombe mal. Le dipytique Avengers Infinity War/Endgame vient d’atomiser le box-office mondial, et le public digère une décennie de productions Marvel à raison de deux à trois sorties annuelles. En dix ans, le staff de Kevin Feige a refait passer le genre d’un réalisme post-X-Men à une fantaisie vulgarisée, mâtinée de space opera invraisemblable (on respire sur des planètes hostiles sans casques, la gravité est la même dans tout l’univers et on se comprend grâce à des traducteurs universels). Alors qu’ils avaient promis de prendre du recul afin de laisser souffler les fans, Disney et Marvel se contredisent déjà en programmant un nouveau Spider-Man pour le 3 juillet prochain. « Le genre des comic-book movies n’est pas différent des autres » insiste Simon Kinberg, scénariste et réalisateur de Dark Phoenix. « C’est la même chose avec les westerns, les thrillers… Le tout est de savoir se distinguer des autres. Ce qu’on essaie de faire avec la franchise X-Men, que ce soit la série principale, Wolverine ou Deadpool, c’est explorer différents genres à travers le prisme du comic-book movie. Logan était un western, Deadpool une comédie d’action, et Dark Phoenix est une tragédie avant tout focalisée sur les personnages. Ce n’est pas quelque chose qu’on voit très souvent ces temps-ci. Tant que ces films proposeront une approche intéressante, il y aura un public. D’ailleurs, beaucoup de grands cinéastes ont évolué dans le genre, et ce n’est à mon avis pas un hasard. »
AU COMMENCEMENT
Encore auréolé du triomphe de Usual Suspects, Bryan Singer est effectivement considéré en 1999 comme un grand réalisateur. Sa participation à un comic-book movie étonne, bien plus encore que celle de Tim Burton sur le Batman de 1989. Le premier X-Men valide haut la main le choix de carrière de Singer, y compris dans des séquences d’action certes loin des standards pyrotechniques actuels, mais dont le niveau de détail maniaque assure quantité de moments hautement iconiques. Si la séquence de la Statue de la Liberté capture à merveille les interactions entre les deux groupes belligérants, la scène de la gare reste un sacré moment de cinéma, culminant avec une prise d’otages d’un nouveau genre qui souligne parfaitement la détermination de Magnéto. Porté aux nues par la critique, Singer est en position de force lorsque la Fox lui commande une séquelle. Le budget de X-Men 2 grimpe à 110 millions de dollars et la durée, artificiellement limitée à une heure quarante-cinq sur l’original pour optimiser le nombre de séances quotidiennes, peut contractuellement dépasser les deux heures. Si David Hayter pose les bases du récit, Singer décide de s’associer avec les jeunes Dan Harris et Michael Dougherty (futur réalisateur de Trick ‘r Treat, Krampus et Godzilla II roi des monstres). Consolidant les acquis du premier opus et éclairant le sentiment d’isolement des mutants sous un angle beaucoup plus personnel pour Singer (la visite de Bobby Drake chez ses parents sent le vécu), le script est un modèle de dramaturgie, maniant les trajectoires de ses personnages avec une virtuosité proche de L’Empire contre-attaque (cf. la séduction de Pyro par Magneto, les flashes-back liés à l’Arme X ou l’éveil final de Phoenix). Singer, Harris et Dougherty jouent aussi avec une immédiateté très pertinente, le récit basculant lors de deux séquences de dialogues nocturnes montées en parallèle, suivies d’attaques-surprises formidablement chorégraphiées. Si le premier X-Men ne brillait pas toujours par l’esthétisme de ses scènes d’action, la suite est admirable à ce niveau, d’une ouverture instantanément culte soutenue par le requiem de Mozart à un climax généreux dans un barrage abandonné, en passant par l’évasion de Magneto, l’invasion de l’école par des forces militaires ou une course-poursuite aérienne entre le X-Jet et deux avions de chasse. Les fans devront attendre X-Men : le commencement en 2011 pour retrouver un tel spectacle : la nouvelle recrue Matthew Vaughn, qui avait ironiquement refusé de tourner le troisième opus de la franchise, s’y lâche compulsivement sur les morceaux de bravoure bondiens, accrochant un sous-marin secret à la cale d’un navire pris pour cible par Magneto, ou demandant au X-Jet de s’interposer entre les forces russes et américaines en pleine crise de Cuba. Révélé par Layer Cake et le splendide Stardust, le mystère de l’étoile, l’ancien producteur de Guy Ritchie bouscule certes les codes visuels de la franchise comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, mais propose à la place un drame d’une agressivité rare, cimenté par des idées de mise en scène glaçantes (le champ/contrechamp révélateur dans le bureau du SS interprété par Kevin Bacon ; le montage parallèle entre la mort du méchant et la douleur ressentie par Xavier, toutes deux captées par un travelling latéral volontairement lent). Film miraculé, X-Men : le commencement apparaît a posteriori comme une vengeance d [...]
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