La riposte anti-Marvel

Initiée par MAN OF STEEL, la nouvelle vague de films de super-héros DC s’inspire de toute évidence de l’orientation Marvel, tout en se démarquant pour apporter aux fans du genre une perspective différente. Et parmi la multitude de productions mises en chantier, outre l’inévitable et d’ores et déjà colossal Batman v Superman : L’AUBE DE LA JUSTICE, le projet le plus représentatif de cette approche semble bien être SUICIDE SQUAD de David Ayer, qui s’annonce comme le blockbuster super-héroïque le plus Mad des années 2010 !
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C’est un fait : le genre du film de super-héros est aujourd’hui fermement associé, dans l’inconscient collectif, aux productions Marvel. En envahissant sans relâche les multiplexes, la « Maison aux idées » (dorénavant rattachée à Disney) a marqué de son empreinte tout un pan de la culture cinématographique moderne. Seulement voilà : la formule adoptée par le studio, qui a accouché de succès planétaires, a tendance à se retourner contre lui, d’un point de vue artistique s’entend. Le pari – sacrément ambitieux par ailleurs – de créer à l’écran le même univers partagé que dans les pages des comic-books estampillés Marvel (le fameux « Marvel Cinematic Universe ») a amené à une standardisation aussi bien visuelle que tonale. Résultat, rien ne ressemble plus à un film Marvel qu’un autre film Marvel, même lorsqu’un réalisateur parvient à instiller un peu d’identité à son bébé (James Gunn dans Les Gardiens de la galaxie ou les frères Russo dans Captain America : le soldat de l’hiver). Le fait est que Marvel bride de plus en plus ses créateurs (voir les difficultés que semblent avoir rencontrées Alan Taylor sur le montage de Thor : le monde des ténèbres et Joss Whedon sur Avengers : l’ère d’Ultron, ou le départ d’Edgar Wright d’Ant-Man), même si certains parviennent encore à s’en sortir brillamment, comme Bryan Singer avec son excellent X-Men : Days of Future Past, il est vrai hébergé par la Fox.

DES DIEUX ET DES SURHOMMES

À la lumière des méthodes du studio hégémonique dans le genre super-héroïque, il est passionnant de scruter l’évolution de son plus fidèle concurrent : DC Comics, devenu en 2009 DC Entertainment. Car les deux firmes se sont livrées au fil des années à un chassé-croisé identitaire qui a amené à une intéressante inversion des valeurs, non sans que chacune tente de dupliquer les recettes de l’adversaire, avec plus ou moins de succès.
Revenir à la source même du phénomène – les comic-books papier – est ici primordial. DC et Marvel ont longtemps revendiqué des approches très différentes de la figure du super-héros. La culture DC a toujours favorisé des personnages plus grands que nature, qu’ils soient extraterrestres (Superman), quasi divins (Wonder Woman, Aquaman), héritiers de pouvoirs d’origine alien (Green Lantern) ou surnaturels (Captain Marvel)… quand ils ne sont pas des combattants du crime milliardaires (Batman, Green Arrow). Nés pour la plupart entre les années 30 et 40, ils véhiculent des idéaux forts et des idéologies empreintes d’honneur et de justice, typiques de la vision du monde plutôt binaire qui caractérisait l’entertainement américain d’alors. En un sens, Captain America est un héros plus DC que Marvel. Normal, il est né en 1941, tandis que Spider-Man, les X-Men ou Iron Man ont vu le jour dans les années 60, et sont donc les produits d’une époque plus ambiguë, moins moralisatrice. Leur nature, leurs problèmes et leurs univers sont plus proches des lecteurs et de leurs préoccupations, qu’elles soient de l’ordre du quotidien (les difficultés pour Spider-Man d’être un super-héros tout en joignant les deux bouts et en essayant de garder sa petite copine) ou sociétales (les X-Men comme allégorie des mouvements des droits civiques). La condition des héros Marvel est également révélatrice, puisque souvent issue d’une mutation engendrée par un accident ou l’évolution du génome humain. Des mutants moins glamours que les personnages DC, mais aussi plus aptes à susciter une identification du lecteur.

INVERSION DES RÔLES

Or, il est flagrant de constater que de cette différence primordiale, profondément inscrite dans l’ADN de chacune des deux firmes, s’est quasiment inversée sur grand écran avec l’avènement de l’ère du blockbuster super-héroïque. Si les premiers succès estampillés Marvel (les X-Men de Singer et les Spider-Man de Raimi) étaient respectueux des racines de leurs héros en matière de questionnements introspectifs, le triomphe de la formule Iron Man a profondément changé la donne, ouvrant la voie à dessurhommes cools, un tout petit peu torturés mais pas tropquand même, qui passent plus de temps à vanner qu’à se morfondre dans un coin. En restant globalement fidèle à son orientation initiale, c’est-à-dire des personnages empreints de gravité qui se confrontent à de lourdes questions existentielles, et ce dès le premier Superman, DC a finalement accouché de longs-métrages plus réalistes, plus habités et moins ouvertement calibrés, avec en point d’orgue la trilogie Dark Knight de Christopher Nolan. Bien sûr, cette opposition est moins systématique qu’il n’y paraît, puisque chaque camp a tout de même tenté d’imiter plus ou moins grossièrement l’approche de l’adversaire, avec à la clé des fortunes diverses : le raté Green Lantern de Martin Campbell essayait clairement d’imposer un héros fun et vanneur tandis que Captain America : le soldat de l’hiver des frères Russo, avec son léger parfum de film d’espionnage old school, opérait un rapprochement plutôt intéressant avec l’option « réaliste » chère à Nolan. De même, à la télévision, les rapports de force sont inversés, puisque là où Marvel peine à convaincre avec un show un peu bâtard (Agents of S.H.I.E.L.D.), DC s’épanouit avec de vrais feuilletons super-héroïques humbles et efficaces (Green Arrow, The Flash, Supergirl) ou carrément audacieux (Gotham). Une orientation qui n’a pas échappé à Marvel, puisque la très réussie première saison de Daredevil, qui a triomphé sur Netflix, est de toute évidence extrêmement influencée par Arrow dans son optique « vigilante urbain ». Bref, entre DC et Marvel, c’est une éternelle danse qui tend autant à marquer les territoires respectifs qu’à brouiller les pistes. Et les récentes annonces de Warner et DC Entertainment (qui appartient au groupe Time Warner) ne font qu’enfoncer le clou… dans les deux sens.



BIG BANG SUPER-HÉROÏQUE

Jusqu’au Man of Steel de Zack Snyder, Warner et DC ont traité leurs figures de proue séparément et avec des fortunes diverses. La saga Superman avec Christopher Reeve a porté le genre au firmament avant de s’enfoncer dans les limbes de la zèderie cannonesque, puis de revivre devant la caméra trop déférente de Bryan Singer. Batman a profité du baroque burtonien avant de succomber aux délires disco de Joel Schumacher puis de ressusciter sous l’égide de Christopher Nolan. Catwoman et Green Lantern se sont fracassés sur l’écueil du blockbuster décérébré… Et puis il y a le cas Watchmen, adaptation controversée mais puissante de la légendaire BD d’Alan Moore par Zack Snyder, l’un des réalisateurs les plus détestés de ce qu’on appelle la « communauté geek ». Capable de relayer les réflexions de Moore sur le statut super-héroïque tout en développant une iconographie démente et férocement comic-book dans l’âme (un aspect que les Batman de Nolan tendaient à ignorer), Snyder est l’homme de la situation pour DC, qui lui confie la réinvention de l’enfant de Krypton dans Man of Steel. Le film revêt une importance capitale pour le studio : il doit faire jeu égal en matière de spectaculaire avec les productions Marvel, qui ont placé la barre très haut avec le premier Avengers, tout en modernisant subtilement Superman afin de rendre crédible sa nature binaire dans un monde bien plus complexe que ne l’était celui habité par Christopher Reeve. Mais surtout, Man of Steel annonce la création de l’univers partagé DC. La firme est consciente que le pouvoir de Marvel réside dans cette capacité à offrir toujours plus aux fans en faisant se croiser storylines et personnages. Une méthode déjà appliquée aux séries télé par DC, mais nouvelle au cinéma. Le signe d’une « marvelisation » et donc d’une uniformisation forcément dommageable ? A priori non, car si DC entend bien jouer dans la même cour que sa rivale, elle ne compte pas employer les mêmes armes.

 

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